Galop d’essai des futurs Inconnus, Le téléphone sonne toujours deux fois !! est une comédie délirante plutôt maladroite, mais qui demeure attachante par sa volonté de dynamiter le comique français à l’aide de références américaines. L’ensemble est inégal, mais globalement drôle.
Synopsis : Marc Elbichon, privé, enquête sur la vague particulière d’assassinats qui se déroule en ville : un homme agresse les femmes et les tue en leur incrustant un cadran de téléphone sur le front…
Quand les Inconnus étaient… inconnus
Critique : En 1982 apparaît sur le petit écran d’Antenne 2 l’émission humoristique Le Théâtre de Bouvard qui obtient une audience favorable grâce à une formule gagnante, à savoir inviter des jeunes comiques à improviser des sketchs (en réalité travaillés en amont) sur des thématiques tirées au hasard par une vedette déjà confirmée. Sur cette petite scène de café-théâtre où un public est bel et bien présent défile donc toute la nouvelle garde de l’humour et les téléspectateurs peuvent faire la connaissance de Chantal Ledesous, Muriel Robin, Michèle Bernier, Didier Bénureau, Jean-Marie Bigard, Chevallier et Laspalès.
Mais parmi eux, les artistes les plus populaires sont sans aucun doute Didier Bourdon, Bernard Campan, Pascal Legitimus, Seymour Brussel et Smaïn. Ce nouveau combo explose tous les compteurs du rire et parviennent ainsi à fédérer un large public. Après avoir quitté l’émission en 1984, les humoristes fondent le groupe nommé Les Cinq et se lancent dans une aventure plutôt gonflée pour des transfuges de la télévision, à savoir tourner leur premier long métrage de cinéma. Avec Le téléphone sonne toujours deux fois !! (1985), le groupe comique envisage de tourner une parodie de film noir. Alors que le cinéma comique français croule sous les œuvres franchouillardes fondées sur un humour d’un autre temps, les jeunes loups entendent s’inspirer du renouveau venu des Etats-Unis en s’inspirant de manière évidente des ZAZ (pour Zucker–Abrahams–Zucker) et de leur triomphal Y a-t-il un pilote dans l’avion ? (1980), mais aussi des délires d’Hamburger Film Sandwich (John Landis, 1977).
Un humour décalé largement inspiré par le renouveau américain
En avance sur leur temps – du moins dans le contexte français – le groupe investit donc un humour totalement délirant et absurde qui fera la gloire postérieure des Inconnus (quand ils ne seront plus qu’un trio) et surtout des Nuls. Volontairement stupide, l’humour des cinq compères dynamite la comédie à la française tout en rendant un hommage sincère envers tout un pan du cinéma classique américain. Si le quintet ne va pas jusqu’à abattre le quatrième mur comme le faisait régulièrement Mel Brooks ou les Monty Python à l’époque, ils s’ébrouent dans un univers urbain plus à la mode en ce milieu des années 80.
Ainsi, leurs personnages sont à la poursuite d’un serial killer qui tue des femmes en leur incrustant un cadran de téléphone sur le front. L’enquête menée par le détective Marc Elbichon – en réalité Marcel Bichon – va le mener à collaborer avec ses amis d’enfance et à traverser des milieux interlopes comme une boite gay tendance cuir. Le tout sur fond de pop tendance. Pour donner plus de poids à leur première expérience cinématographique, les futurs Inconnus ont sorti leur carnet d’adresse et sont parvenus à débaucher Jean-Claude Brialy, Michel Galabru, Darry Cowl et Jean Yanne dans des participations plus ou moins longues. Ils se sont aussi entourés de potes dénichés sur les plateaux télé ou dans les cafés-théâtres comme Patrick Sébastien ou la débutante Clémentine Célarié.
Une réalisation passable qui manque d’un point de vue affirmé
A la réalisation, le groupe a fait appel au technicien Jean-Pierre Vergne, assistant-réalisateur très apprécié qui tourne ici son premier film en tant que cinéaste à part entière. S’il contribue également au scénario, Jean-Pierre Vergne peut être considéré comme un exécutant. Son travail est correct, mais loin d’égaler les performances de ses modèles américains. Il tente bien de dynamiser sa réalisation avec quelques mouvements de caméra au ras du sol, mais l’ensemble manque toutefois d’une réelle empreinte visuelle. Cela se ressent également au niveau du rythme puisque l’intrigue – assez simple au demeurant – lambine à plusieurs reprises, avec quelques passages à vide, d’autant que tous les gags ne sont pas forcément drôles. Pour autant, Le téléphone sonne toujours deux fois !! demeure une comédie fort amusante pour peu que l’on apprécie ce type d’humour franchement décalé.
Les amateurs de sociologie pourront aussi remarquer qu’il s’agit d’un film black, blanc, beur, comme le sera un an plus tard Black Mic Mac (Thomas Gilou, 1986), témoignant ainsi d’une évolution notoire de la population française, ce qui était absent des comédies du terroir qui vivaient leurs derniers instants durant cette première moitié des années 80.
Une sortie ratée faute de tête d’affiche
Lors de sa sortie le 23 janvier 1985, Le téléphone sonne toujours deux fois !! ne possède donc pas de réelle tête d’affiche puisque les futurs Inconnus étaient encore de parfaits anonymes, sauf pour certains téléspectateurs. Le distributeur UGC devait donc parvenir à imposer à la fois de nouvelles têtes et un type d’humour pas encore bien implanté dans l’Hexagone. La même semaine, Parafrance dégoupille son Palace (Edouard Molinaro) avec Claude Brasseur et Daniel Auteuil, tandis que les amateurs d’horreur peuvent hurler de plaisir devant La compagnie des loups (Neil Jordan) et que l’art et essai fête le retour de Godard avec Je vous salue Marie.
Tous ces films s’inscrivent dans un contexte général de baisse des entrées par rapport à 1984 et Le téléphone sonne toujours deux fois !! entre à la deuxième place du box-office parisien avec 65 308 Franciliens dans le réseau de salles UGC. Ce démarrage plutôt décevant se confirme dès la septaine suivante avec une chute à 38 712 spectateurs et un franchissement du seuil des 100 000 spectateurs assez laborieux. Les salles parisiennes étant vides, la comédie est lâchée par son distributeur et elle s’écrase à 16 845 survivants en troisième semaine. Le désaveu parisien est tel que le film termine sa course avec 129 359 entrées dans la capitale.
La province plus réceptive, mais en-deçà des attentes
Contrairement à Paris, la province permet au Téléphone sonne toujours deux fois !! de doubler Palace en première semaine et de se positionner en deuxième place du classement hebdomadaire, derrière Cotton Club (Francis Ford Coppola) qui regagne des couleurs en quatrième semaine. La comédie des futurs Inconnus totalise 166 285 curieux en ouverture. La dégringolade intervient très vite avec une deuxième tournée à 100 242 clients. Ensuite, la province est réceptive plus longtemps avec des entrées qui tournent autour des 60 000 par semaine. La comédie délirante fait désormais le tour des villages au mois de mars 1985 et termine sa course avec 509 573 tickets déchirés.
Rapidement, l’éditeur René Chateau va exploiter le film en VHS, avant que celui-ci ne tombe dans l’escarcelle de Studiocanal au cours des années 2000 pour plusieurs éditions DVD. On annonce d’ailleurs un blu-ray bien tardif pour le mois de septembre 2024.
Les conséquences immédiates de l’échec commercial
L’échec commercial du Téléphone sonne toujours deux fois !! a entraîné plusieurs bouleversements. Tout d’abord, le cinéaste Jean-Pierre Vergne est redevenu durant une dizaine d’années un simple technicien anonyme, avant de revenir en force à la télévision, avec pléthore de téléfilms et de séries à son actif. Mais surtout, le groupe comique Les Cinq est mort dès la sortie du film avec le départ de Smaïn pour une carrière solo.
Si Seymour Brussel a contribué à fonder Les Inconnus en 1986, il n’a effectué qu’une tournée avec le groupe avant de jeter l’éponge au moment où le combo comique commençait à connaître un grand succès. Le comédien évoque alors des désaccords profonds avec le producteur du groupe Paul Lederman. L’histoire retiendra désormais un trio qui a enflammé les scènes de France avec leurs sketchs, avant de revenir de manière triomphale au cinéma avec Les trois frères (1995), tout juste dix ans après ce premier galop d’essai, aussi inégal et maladroit qu’attachant.
Critique de Virgile Dumez
Box-office de la comédie française en 1985
Paradoxalement, l’année 1985 fut une année contrastée pour la comédie française. Le plus gros hit annuel portrait les traits d’une comédie de société, Trois hommes et un couffin, de Coline Serreau, forcément inattendu au sommet du podium avec ses 10 251 000 entrées. Phénoménal.
P.R.O.F.S, avec Patrick Bruel, accompagné par 2 845 000 mauvais élèves, a été la surprise burlesque.
Mais les Français faisait surtout de plus en plus de triomphes à des comédies américaines comme Le flic de Beverly Hills, avec Eddie Murphy (2 917 000), Recherche Susan désespérément avec Madonna (1 904 000), Police Academy 2 (1 208 190).
Alors que se passait-il vraiment du côté de la franchouille où les stars venaient du Splendid était gauche comme Pierre Richard ou macho comme l’Italien Aldo Maccione ? Petit tour d’horizon.
Côté France, Scout toujours…, deuxième réalisation de Gérard Jugnot, était dans une dynamique satisfaisante, mais réalisait 700 000 entrées en moins que Pinot simple flic (1 755 081) en 1984. La cage aux folles 3 était très loin de La cage aux folles 1, passant de 5 406 000 entrées en 1978 à 1 693 000 entrées en 1985. Les Rois du gag de Claude Zidi (1 510 000) et Le mariage du siècle (1 493 000), tous deux avec Thierry Lhermitte, sont de grosses déceptions, très loin des attentes de leurs producteurs dont l’intouchable Yves Rousset-Rouard pour le second. Le producteur des Bronzés et Le père Noël est une ordure avait beaucoup investi, mais il n’arrive pas faire de l’ombre à Christian Fechner (Papy fait de la résistance en 1983, Marche à l’ombre, fin 1984, puis Les Spécialistes en mars 1985). Pour Les rois du gag, l’addition est amère : Claude Zidi sortait du césarisé Les Ripoux qui avait fédéré 5 882 000 spectateurs entre 1984 et 1985. Le second rôle de Coluche dont le virage italien (Le Bon roi Dagobert, Le fou de guerre) ne passait pas, aurait pu aider, mais non.
Soyons Furax !
Avril 1985 : Liberté égalité choucroute (778 787) a été un accident industriel sanglant qui a rabattu les cartes dans le secteur. Jean Yanne sortait en effet d’une autre comédie au budget faramineux, Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ (4 601 249, 1982). Mais, détesté par la presse et le public, le pastiche sur la révolution française lui vaut une presse épouvantable. Jean Yanne abandonnera la réalisation.
La série de saynètes Tranches de vie, avec Anémone, Clavier et Jugnot réalisait des résultats moribonds (649 504), Sac de nœuds avec Josiane Balasko réalisatrice était empêtré dans son propre bordel de brouillon (633 320). Au moins A nous les garçons de Michel Lang, avec le débutant Franck Dubosc, séduisait 1 016 000 teenagers. Ce n’était pas déshonorant au vu des résultats d’On n’est pas des anges… elles non plus (594 589, 1981). Le cinéaste retrouvait des chiffes dans la lignée du Cadeau (1 324 672) et retrouvait le sourire après le flop de L’étincelle, en 1984 (141 000).
Des bides, la franchouille en subit plein d’autres en 1985. Cela sentait la fin de carrière cinématographique pour Francis Perrin : Ca n’arrive qu’à moi (977 682) et Billy Ze Kick (163 053) étaient des ratages. LA même année pour l’acteur, cela lançait un mauvais signal.
Le “Cowboy”, de Lautner, d’après Wolinski, était en plein désarroi (707 265). Aldo Maccione en était la star et se prenait clairement pour Belmondo. Il rempilait la même année dans Pizzaiolo et Mozzarel de Christian Gion. Au bout du rouleau, l’ancien playboy des plages rencarde 623 637 spectateurs. Gros dégueulasse d’après Reiser s’encrassait (601 019). Les Nanas était un four (584 000). Une femme ou deux avec Depardieu et Sigourney Weaver ne savait plus compter (269 864). Le facteur de Saint-Tropez, avec Paul Préboist, était en panne (426 510). Patrick Sébastien ne touchait pas Le pactole chez Mocky (245 535). Jean Lefèbvre décevait dans Le gaffeur (229 636). Ne prends pas les poulets pour des pigeons de Jean Rollin, avec Popeck et Michel Galabru, était une nullité (11 906). Drôle de samedi avec Huster, Carole Laure, Michel Blanc et Villeret était en week-end (60 767). Daniel Auteuil foirait doublement son année en salle : Palace (374 531) et L’amour en douce (299 550). Au moins rencontrait-il dans ce dernier son grand amour des années 80, Emmanuelle Béart…
81e annuel, Le téléphone sonne toujours deux fois n’avait pas les stars pour pouvoir briller au box-office. Sur 38 écrans parisiens, la parodie de film noir qui annonçait La cité de la peur de Les Nuls, avec une décennie d’avance, devait affronter pas mal de monde, en particulier Palace d’Edouard Molinaro, avec Daniel Auteuil et Claude Brasseur. La star des Sous-Doués et de La boum chez le réalisateur de La cage aux folles, dans un contexte de Paris sous l’occupation, cela n’a pas donné grand-chose, avec pourtant davantage de moyens. Voici les chiffres…
Au final, avec la sortie des Nanas et de Ca n’arrive qu’à moi, lors de sa 2e semaine, puis de Tranches de vie lors de sa semaine 3, Le téléphone sonne toujours deux fois n’aura pas l’occasion de se maintenir. Son score est forcément décevant par rapport à son potentiel et sa combinaison, mais ses acteurs étaient très certainement trop Inconnus pour faire accourir le public de télévision dans des cinémas aux sorties multiples mais pas toujours heureuses.
Les sorties de la semaine du 23 janvier 1985
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Biographies +
Jean-Pierre Vergne, Darry Cowl, Didier Bourdon, Jean Reno, Jean-Claude Brialy, Bernard Campan, Michel Galabru, Michel Constantin, Jean Yanne, Pascal Légitimus, Dominique Pinon, Clémentine Célarié, Philippe Dormoy, Smaïn, Olivier Hémon, Michel Delahaye, Julie Arnold, Seymour Brussel
Mots clés
Comédies françaises des années 80, Parodie, Comédie policière, Les tueurs fous au cinéma, Paris la nuit