Les trois frères, cinéma d’un autre siècle ? Deux décennies et demi après sa sortie, l’amusement est toujours là, l’engouement beaucoup moins.
Synopsis : Trois frères qui s’ignorent héritent d’une fabuleuse fortune de 3 millions de francs. Cependant, en revenant chez le notaire quelques jours plus tard, tout s’effondre : ils découvrent que le délai pour prétendre à l’héritage a expiré. Huissiers, police aux trousses, cavale, vols, mendicité… et un gamin sur les bras. Les problèmes ne font que commencer.
Critique : Valeur sûre du box-office français pendant des décennies, la comédie franchouillarde avait disparu du top 10 annuel en 1987 pendant six ans !
Les trois frères est le phénomène de 1995 au box-office
Restructuration du marché hexagonal, crise en profondeur de l’industrie française qui doit se débarrasser d’un type de comédie d’un autre temps devenue atypique et carrément Z dans l’esprit de chacun, le nanar façon Paul Préboist, Francis Perrin, Max Pécas ou Les Charlots qui pullulait dans les années 70/80.
En 1993, Les visiteurs et ses 13 700 000 entrées permet au cinéma français de tenir son premier grand hit populaire depuis Les fugitifs de Veber en 1986 (4 400 000). En 1994, Un Indien dans la ville réitère l’exploit avec 7 900 000 spectateurs. Les Français semblent solliciter à nouveau le genre populaire et les producteurs se font l’oreille d’une demande inespérée : on y voit la fin de la déroute financière et de la crise de confiance ; l’humour sauve enfin une cinématographie exsangue.
En 1995, tout change vraiment avec pas moins de six productions nationales dans le top 10, dont 4 comédies… Une première depuis 1983, époque où Zidi, Coluche, Belmondo, Veber et autre Pierre Richard assuraient un carton à leurs producteurs. Les anges gardiens, Gazon maudit, Le bonheur est dans le pré, mais surtout Les trois frères réalisent un carton inespéré. Dans le cas de ce dernier, on se retrouve même devant le numéro 1 annuel. Les trois frères est un ouragan, une tornade assurée par un trio bien connu de la télévision qui fédère toute une génération au cinéma. 6.875.000 curieux se ruent voir leurs idoles sur le grand écran !
Vu de 2014, année de sortie du come-back raté des Inconnus avec Les 3 frères, le retour, il est intéressant de revenir sur le film. Beaucoup l’ont revu à la télévision ; d’autres ne la regardant jamais, n’ont pas eu l’occasion de se replonger dans cette litanie de sketchs inhérente à une décennie qui lui est propre. Le phénomène Les Inconnus, très en vogue à l’époque pour leur insolence à l’insu du système, gaillard, sardonique, mais jamais vulgaire, était joliment agréé par la presse, alors qu’en 2014, les médias parisiens se sont largement gaussés du retour des potos, bedonnants, vieillissants et opportunistes pour reprendre les griefs de la presse d’alors.
Les temps changent
En 1995, tout le monde (ou presque) appréciait l’humour travesti des trois loufoques et l’on s’énervait à peine de l’absence réelle de toute qualité cinématographique, c’est-à-dire, de son esthétique laide, de son goût pour la franchouille exacerbée. On avait tellement vu pire auparavant.
Après les années Splendid dont la troupe sillonnait désormais le marché en solo avec notamment Balasko et Clavier nettement au-dessus des autres, Les Inconnus, rois du top 50 avec trois tubes réels en 91-92, étaient alors, avec les Nuls, les comiques de la décennie. Ils étaient inattaquables.
Ce qui fait les défauts du sequel et tout ce que l’on a reproché au numéro 2 était pourtant déjà bien présent dans le volet original, à savoir un scénario prétexte autour d’un enfant et de la paternité, avec une construction narrative et des gags à l’identique, dont l’origine est le testament de la mère indigne… On retrouve donc, dès ce premier film, Campan déguisé en femme, un délire drogue burlesque, des personnalités récurrentes avec le gentil comédien loser, Campan, l’arnaqueur sans scrupule, Bourdon, et l’arriviste qui voit haut mais un peu trop coloré pour son grade, Pascal Légitimus.
Les trois frères a tristement mal vieilli
Le rapport de l’homme démuni, seul, abandonné de la femme avec l’enfant sur le dos, cet “inconnu”, avait déjà été exploité quelques années auparavant dans Les compères de Veber puis dans Trois hommes et un couffin de Coline Serreau. Les trois frères exploitait un sillon balisé à la sauce 90 qui sera repris régulièrement par la suite (10 jours en or, avec Dubosc…).
Il est donc aisé aujourd’hui, pour ceux qui ont pu connaître cette poilade au bel âge, d’éprouver un fond de nostalgie et de l’indulgence à l’égard de ce qu’ils ont aimé hier. Pourtant, force est d’admettre que cinématographiquement Les trois frères ne vaut pas grand-chose, à l’instar des incursions suivantes du trio au cinéma, L’extra-terrestre représentant probablement leur pire incursion commune en salle (en fait, ils n’étaient plus que deux). On ne sera ni méchant ni subversif en disant que, les comédies populaires dans les années 80 et 90, en France, avaient d’autres buts que de ressembler à du cinéma, mais c’était aussi pour cela qu’on les appréciait avec un plaisir coupable.
Le saviez-vous ?
Même si Bernard Campan est crédité comme co-réalisateur, c’est bien Didier Bourdon qui était à l’avant-poste sur cette aventure qu’il décrit comme le résultat de quinze ans d’amitié. Campan aime se décrire sur cette aventure comme le soutien et le conseiller de Bourdon. Pascal Légitimus, pris par d’autres projets parallèlement, a décrit son rôle, dans Le Film Français, en février 1995, comme consistant à maintenir une bonne énergie relationnelle entre eux. Il était l’oeil extérieur.
Les trois frères a obtenu le César de la Meilleure première œuvre lors de la 21e cérémonie des César, raflant le prix que beaucoup considérait comme acquis pour Laetitia Masson et En avoir (ou pas).
Les sorties de la semaine du 13 décembre 1995
Voir en VOD
Crédits : Renn Productions, Paul et Alexabdre Lederman, TF1 Films Production. Tous droits réservés – Photo Pascalito
Le blu-ray :
Compléments : 0 /5
C’était Pathé qui en son temps distribuait Les Inconnus… Aujourd’hui, l’éditeur en profite donc pour saisir l’opportunité d’une galette HD, geste que l’on apprécie, mais qui laisse pantois quant à l’absence de tout bonus : même la bande-annonce a été filoutée. Est-ce que les trois célèbres Inconnus se seraient fâchés avec les pontes de Pathé ? En tout cas, ils sont désormais distribués par Wild Bunch, et ne sont nullement impliqués dans cette sortie vidéo.
Image : 3 / 5
Belle copie pour un film moche. C’est ce qui nous vient tout de suite en tête. Le master a authentiquement été lavé de toute scorie ; les vertus de la HD sont réelles avec un soin apporté au détail, des couleurs plus pétantes et une profondeur de champ réelle. Le seul problème est le matériau de base, pas très beau, proche du téléfilm… Cela en devient presque un oxymore à ce niveau.
Son : 2.5 / 5
La copie est parée d’un DTS HD Master Audio, dynamique comme il faut, alors que l’on s’introduit dans une boîte house au bon son bourrin des années 90 ou que le film s’achève sur une chanson pêchue de Catherine Ringer. Toutefois, gare aux oreilles contemporaines, il n’a pas été rehaussé d’un 5.1, on le redécouvre en stéréo. La piste (avec ou sans sous-titres) est pure et ne porte pas de stigmate. Cela ne nous choque pas plus que cela, mais en dit long sur la valeur d’un titre considéré par son propre éditeur comme techniquement limité et donc indigne d’une restauration exemplaire, malgré son succès phénoménal à l’époque.