Meilleur film de Lamberto Bava, Démons est un maléfice cinématographique magistralement contagieux qui convient les amateurs d’épouvante à un festin gore paroxysmique.
Synopsis : Un mystérieux homme masqué distribue dans le métro des invitations pour la projection d’un film d’horreur. La fiction va bientôt se confondre avec le réel lorsque les spectateurs vont subir le même sort que les personnages à l’écran…
Un classique du cinéma bis sous-estimé à sa sortie
Critique : Démons appartient au panthéon du cinéma bis des années 80. Victime du nom de son cinéaste, Lamberto Bava, le film a été largement sous-estimé par la presse spécialisée de son époque. De L’Ecran Fantastique à Mad Movies, en passant par Starfix, l’on envisageait l’engeance de Mario Bava avec beaucoup de dédain, voire de mépris, et c’est à peine si on lui accordait une chronique. Les films du fils Bava passaient inaperçus dans des circuits restreints et marchaient d’ailleurs mieux en province que sur Paris.
Démons connut, comme ses prédécesseurs, une sortie compliquée en France (voire rubrique box-office ci-dessous). Un distributeur indépendant, Actium Films, qui périclita en 1988 peu après avoir sortir le second volet, le proposa en exclusivité en dehors de Paris, durant l’été 1986, avant de lui octroyer une sortie francilienne bien méritée en octobre.
Une affiche culte d’Enzo Sciotti
Démons le sanglant restera trois semaines à l’affiche sur la capitale où il finit dans les cinémas de quartier pour un total intéressant de 16 000 entrées. On se souvient de son panneau gigantesque à l’entrée d’un cinéma Gaieté. Un souvenir délicieux tant l’affiche d’Enzo Sciotti avait de la gueule et conviait le spectateur à une mise en abîme rageuse où le film dans le film et l’écran tridimensionnel ouvraient la voie à une infection diabolique que seule la trilogie [Rec] ravivera dans les années 2000.
Pour son affiche, Sciotti s’inspire de l’une des scènes d’anthologie du film où l’on retrouve une esthétique bleutée qui ravive le souvenir des œuvres du père de Lamberto, Mario Bava, remis au goût du jour dans les années 80 jusqu’aux USA, avec des productions comme Creepshow, qui affichaient aussi un côté bariolé et baroque très à la mode autour de 1982.
Démons, strictement interdit aux moins de 18 ans, avec une mention de la commission de classification fièrement affichée sur le visuel promotionnel, repartira de Paris pour refaire le tour de la province avec une tournée des petits cinémas de village bienvenue, en guise de rattrapage. Le ratio Paris Province lui sera totalement favorable, puisque les suppôts du diable seront un peu plus de 100 000 en dehors de Paris contre 16 000 en intramuros. Et, dans l’indifférence des médias de genre, naîtra alors un culte que la cassette vidéo propagera comme un virus cannibale.
© 1984 National Cinematografica – Nuova Dania Cinematografica – Filmes International – Les Films du Griffon / Affiche : Enzo Sciotti. Tous droits réservés.
UGC proposera le film à deux reprises en VHS, après lui avoir accordé quelques-uns de ses écrans en 1986. A l’époque, le distributeur n’avait pas de complexe et avait déjà plongé dans les affres du nanar rital avec Les rats de Manhattan de Bruno Mattei, avec déjà l’une des actrices de Démons, l’iconique Geretta Geretta, et Apocalypse dans l’océan rouge, un fantasme sur 120X160 qui s’était avéré l’un des pires rejetons de Lamberto Bava ; le cinéaste peu fier du travail officiait d’ailleurs sous le nom de John Old Jr. pour les marchés étrangers. On se souvient d’ailleurs au casting de ce sous Jaws la présence de l’actrice française Valentine Monnier, devenue depuis une voix anti Roman Polanski en 2019. Le nanar lui réussissait plutôt bien, car avec 2019 après la chute de New York, elle obtiendra là les deux seuls titres de « gloire » de sa filmographie.
Un carton en VHS
Le succès de Démons de son côté sera générationnel. Les adolescents amateurs de films d’épouvante se précipiteront en masse sur la cassette vidéo, voir même profiteront de la multidiffusion sur Canal pour en perdre le sommeil d’effroi. Effectivement, l’entité filmique diabolique le promettait à juste titre sur son affiche : « Ils débarquent. Ils ne vous laisseront plus dormir… » Une accroche réservée aux plus jeunes machines à fantasmes à qui les salles étaient fermées, mais en VHS la carte d’identité n’avait plus de légitimité et la location rassasiait tous les désirs. La bande de la vidéocassette tournait lors de joyeuses programmations entre collégiens ou lycéens, ce qui permit au film de Lamberto Bava de se forger une pure identité de classique de l’horreur des années 80. Ce statut acquis dans le sang contaminé contredira les critiques un brin de mauvaise foi qui ne souhaitaient pas s’intéresser au sous genre du cinéma de quartier. Avec son ingéniosité narrative de mise en abîme, ses maquillages méphistophéliques, son casting charismatique, et sa musique hypnotisante…, Dèmoni n’aura aucun mal à transcender la réalité qualitative des autres films de son auteur que l’on aime plutôt bien jusque dans ses téléfilms (Graveyard Distrubance, Until Death, et The Ogre).
Carlotta canonise Démons de Lamberto Bava
En 2022, la sortie de Démons chez Carlotta, éditeur respecté et au répertoire exigeant marque la reconnaissance de l’œuvre à travers le temps. Bénéficiant d’une double édition, blu-ray steelbook ou 4K Ultra HD steelbook, regroupant le premier volet et sa seule vraie suite officielle, le classique malin de Lamberto Bava est officiellement canonisé. L’on évoque de nouveau l’œuvre, mais avec un enthousiasme curieux pour ceux qui ont connu les échos sourds de sa sortie, en 1986. L’éditeur a par ailleurs fait le choix de doté le boîtier métallique du visuel de Sciotti, sans mentionner le nom de l’artiste, tristement disparu en 2021.
Illustration : Enzo Sciotti. Design : L’Etoile Graohique. © 1985 DAC Films, Titanus. All Rights Reserved.
Démons, premier du nom, est le fait de l’association de deux maîtres du cinéma fantastique transalpin lorsque celui-ci était sur la voie du déclin, puisqu’après Démons, hormis Opéra d’Argento, et Bloody Bird et Dellamorte Dellamore, tous deux réalisés par Michele Soavi, le cinéma de genre italien sombrait dans un coma qui allait lui être fatal.
Dario Argento présente Lamberto Bava’s Demons
Lamberto Bava, ancien assistant de Dario Argento, notamment sur Inferno et Ténèbres, avait connu le maître du giallo sur les tournages des films de son illustre père, Mario Bava, dont Argento était un grand admirateur. Quatre ans plus jeune qu’Argento, Bava Jr. entretenait depuis toujours de bons rapports avec le réalisateur de Suspiria et selon les bonus et l’année de l’édition des suppléments, l’on découvre des variations sur la genèse du projet, jusque dans les anecdotes sur la raison d’un tournage à Berlin, en Allemagne de l’Ouest (Bava ou Argento diront des choses assez contradictoires à ce sujet)… On évitera la paraphrase de suppléments. Ce qui nous intéresse, à notre niveau, c’est cette collaboration naturelle et évidemment opportuniste pour les deux hommes. Lamberto Bava s’en remettait à l’expérience d’Argento, et montait un projet au budget conséquent pour une série B italienne, sur le nom écrasant d’Argento, dont le nom domine l’affiche et le générique du film. Le génie italien, qui sortait des expériences de Ténèbres et Phenomena, à la fois producteur et co-scénariste sur Démons, trouvera en Lamberto Bava un artisan efficace à la parenté formidable. Argento-Bava, sur une affiche, cela en jette, surtout quand Argento décide d’entreprendre davantage de productions en dehors de ses réalisations pour se cramponner à son titre de maître de l’épouvante italien, que Fulci lui convoitait au début des années 80, avec les succès post L’enfer des zombies, comme L’au-delà ou Frayeurs. Outre Démons, Argento avait produit Zombie, le crépuscule des morts vivants de George A. Romero en 1978, et produirait coup sur coup Sanctuaire et La secte, deux productions parfois exploitées à l’international comme des sequels à Démons 2.
Démons, VHS américaine chez Palace Home Video © 1985 DAC Films, Titanus. All Rights Reserved.
La proximité de Lamberto Bava avec le casting ne saurait trop ternir le boulot de Lamberto qui est vraiment aux affaires et pleinement occupé sur ce film passionnant, même si Argento s’implique et visite régulièrement le plateau du tournage. Au générique, on aime souligner la présence de Dardano Sacchetti parmi les crédits du scénario, en raison de son travail en investiture qu’Argento souhaitera toutefois orienter et développer autrement. Pour mémoire, Sacchetti est le monument du cinéma bis italien quand on en vient aux scénarii de films de genre qui ont marqué leur époque, notamment pour Lucio Fulci (L’emmurée vivante, L’Enfer des zombies, Frayeurs, L’au-delà, La maison près du cimetière, L’éventreur de New York). Il avait fait ses débuts sur Le chat à neuf queues d’Argento et La baie sanglante de Mario Bava, dont il était partiellement à l’origine des histoires. Avec Lamberto, il travaillera sur Blasfighter, Apocalypse dans l’océan rouge, les deux Démons, Midnight Horror, La maison de l’ogre…
Chacun à leur manière, Argento et Bava marquent de leurs griffes le monument horrifique qu’est Démons. Ils le parent d’une efficacité sans aucun temps mort, d’un script, parfois incohérent certes (les deux hommes n’ont jamais été de grands scénaristes), mais dans l’ensemble bien charpenté, d’une réalisation chiadée dont on se repaît de l’identité visuelle forte, et évidemment de la galerie de personnages joués par des acteurs qui apportent un complément d’âme. Outre Urbano Barberini, jeune premier qu’Argento réemploiera dans Terreur à l’opéra, citons Natasha Hovey déjà vedette d’une grosse comédie à succès et donc déjà sur tous les radars des producteurs, Karl Zinny, fils de la comédienne Victoria Zinny, Paola Cozzo et sa beauté latine qui a disparu trop vite de l’industrie du film, Nicoletta Elmi et son regard machiavélique qui irradiait les productions transalpines des années 70, et évidemment Bobby Rhodes, dans le rôle d’un maquereau macho aux gros bras qui trouvera dans Démons 2 une nouvelle proposition de leader baroudeur, celui d’un prof de muscu brut de décoffrage.
DVD de Démons 2 chez Carlotta (2022) – Design : L’Etoile Graphique. © 1986 DAC Films, Titanus. All Rights Reserved.
Le temple de la terreur
Dans Démons, la perspective d’un huis clos dans un temple cinématographique, pouvait laisser redouter des baisses de rythme, mais cela ne sera jamais le cas. La bande originale métal chère à Dario Argento et surtout la partition originale de Claudio Simonetti, de la formation adulée des Goblin, donnent du panache aux images hantées par l’idée d’une malédiction contagieuse, la perspective nihiliste d’une apocalypse diabolique. Les théories foireuses de jeunes gens sur la tombe de Nostradamus dans le film projeté dans le film, deviennent réalité dans l’immense temple cinématographique recréé pour les besoins du film dans une boîte de Berlin. Le Métropole et son imposante façade, est un personnage à part entière, avec ses couloirs terrifiants, ses tentures meurtrières, les coulisses de son écran théâtralisées avec une scène qui offre un spectacle de grand-guignol. Le Métropole est le huis clos qui préfigure l’épique Terreur à l’opéra d’Dario Argento et Bloody Bird de Soavi. Les murs du cinéma laissent entrevoir des affiches de productions horrifiques, comme celle de Creepshow par Sciotti ou le Nosferatu d’Herzog. Il faut dire que l’établissement ouvre ses portes dans le film à l’occasion d’une mystérieuse avant-première à laquelle des passants sont conviés par un étrange Michele Soavi masqué, distribuant des tracts dans le métro et la rue.
Le masque du démon
Le lieu de cinéphilie rouge sang deviendra le tombeau des spectateurs qui comptent des acteurs comme l’Américaine Geretta Geretta, en prostituée qui transmettra en premier lieu le virus maléfique après s’être griffé le visage avec un goodie exposé à l’entrée du site. A l’époque où le sida commence à faire des ravages, le sang tue également dans Démons.
Le masque maudit fait évidemment référence au mythique Masque du démon de Mario Bava, chef d’œuvre d’un certain gothique à l’italienne en noir et blanc. L’hommage du fils Lamberto à son père, lui, n’est pas masqué. Il force l’admiration tant on ressent la dévotion filiale au-delà de la mort. Lamberto Bava tournera peu après, en 1990, Le masque de Satan, remake contemporain du Masque du démon. Mauvais, mais fun. Un film de son époque qui tourne dans le vide, et surprend par son cadre neigeux.
Goules purulentes au service de l’effroi
Avec son ambiance méphistophélique, Démons est un lieu de sévices corporels que le maquilleur Sergio Stivaletti (Phenomena) complètera par des transformations diaboliques réjouissantes. Les contaminés du film sont terrifiants et comptent parmi les plus beaux monstres des années 80, loin des zombies lents et décrépits des contes lugubres de Lucio Fulci ou de la trilogie de Romero. Ils éviscèrent, énucléent, égorgent… Ils pratiquent de leurs grosses pattes griffées le massacre de masse qui imposera l’interdiction aux moins de 18 ans. Le travail de Stivaletti est épatant et traumatisera une bonne génération d’adolescents qui, jusqu’à cette époque-là, ne croyaient pas en l’enfer sur terre.
Edition britannique chez Arrows Films. © 1985 DAC Films, Titanus. All Rights Reserved.
La peur par l’horreur
Antithèse des productions diaboliques des années 2010 (Conjuring, Paranormal Activity, Insidious), l’enfer dramatique de Démons est celui d’une générosité des effets où l’explicite tue tout sauf la peur qui reste palpable dans une ambiance moite de terreur. Bava Jr. ne filme pas du vide, mais sait filmer parfois l’espace vide qu’il aime opposer à la confusion de l’invasion démoniaque, avec un final d’action et de gore, qui préfigure Brain Dead de Peter Jackson, lorsque Urbano Barberini à moto, armé d’un sabre, tranche tous les monstres qui accourent sur lui… La réminiscence avec le massacre à la tondeuse du Grand Prix d’Avoriaz 1993, est évidente, même si ici, l’action a pris le dessus sur le burlesque de Peter Jackson. Dèmoni inspirera bien d’autres cinéastes, de Wes Craven (l’incipit de Scream 2) à Maximiliano Contenti pour le récent Red Screening.
Le final de Démons, avec un hélicoptère fou qui perfore la toiture du cinéma et s’écrase dans la salle, ajoute un côté WTF, propre à son époque où l’action et les bras musclés dominaient les productions. Le final pessimiste proche d’un Walking Dead sous amphétamine confère à la série B la vitalité d’une production bien budgétée quand tant de compatriotes nanardesques se débattaient dans le vide du système F comme fauché au sein d’une production à l’agonie (après 1986, les films de Joe d’Amato, Fragasso, Mattei, Lenzi, Fulci, toucheront le fond).
Succès mondial, Démons engendre une suite en 1986, qui sort en catimini sur les écrans français en 1987. Démons 2 était tout à fait honnête, mais le temps du cinéma italien était révolu. La crise culturelle en Italie allait faire plus de dégâts que les deux Démons réunis. Berlusconi en personne fera de la télévision un tombeau cathodique qui précipitera tous les artisans du bis dans le télévisuel ou le programme vidéo à bon marché. Paix à leur âme.
Sortie parisienne le 1er octobre 1986
Le cinéma bis italien
© 1985 DAC Films, Titanus. All Rights Reserved.