Un classique machiavélique du thriller à l’italienne par Lucio Fulci. L’emmurée vivante est une œuvre brillante parmi les joyaux méconnus du réalisateur du Venin de la peur et La longue nuit de l’exorciste.
Synopsis : Après avoir eu une vision de mort, Virginia Ducci se rend dans l’ancienne maison de son mari et y découvre un squelette emprisonné dans l’un des murs. Pour cette femme douée de clairvoyance, la raison s’effrite alors aussi vite que le crépi. Aidé d’un expert en paranormal, elle va tout mettre en œuvre pour résoudre le mystère. Mais certains secrets gagnent à le rester. Et si la prochaine victime, c’était elle ?
La bataille de Lucio Fulci pour échapper à la comédie
Critique : Sorti à Paris le 7 mars 1981, L’emmurée vivante a pris quatre longues années avant d’apparaître sur nos écrans. Même les Américains ont pu en profiter dès le mois de mars 1979. Il faut dire qu’en Italie, le film, considéré par Fulci comme l’un de ses meilleurs, a été un lourd échec. Le cinéaste revenait au film de suspense -, genre qui l’avait vu briller avec Perversion Story, La longue nuit de l’exorcisme et Le venin de la peur. Toutefois, le cinéaste a dû se battre pour réaliser cette œuvre mélangeant épouvante, polar et surnaturel, puisqu’il est ici question d’un don méticuleux de voyance. Il lui a fallu plus d’un an passer à batailler pour imposer son scénario, coécrit avec Dardano Sacchetti, à des producteurs récalcitrants qui le voyaient davantage rester dans la comédie sexy à la mode, comme La pretora, son précédent long, avec Edwige Fenech.
Au final, c’est grâce au producteur Fulvio Frizzi, père du jeune compositeur Fabio (qui va devenir l’un des noms récurrents de la filmographie de Fulci), qu’il peut mettre en scène ce désir d’une detective story surnaturelle, où l’enquête est menée par une jeune femme aux visions traumatisantes. Pur film de mystère dans sa trame, où l’on titille les méninges du spectateur, L’emmurée vivante mélange adroitement les genres autour du polar, sans passer par les anecdotiques moments de comédie ou d’érotisme qui pullulaient alors dans les séries B italiennes.
La mécanique de la spirale
Convaincu par sa trame implacable, Fulci met en scène les affres du destin avec les gants d’un artisan qui peaufine tous les aspects de son œuvre. Captivant, inquiétant, son script est surtout celui des fulgurances qui mènent inéluctablement la protagoniste jouée avec conviction par Jennifer O’Neill, l’interprète de Un été 42 et Scanners, vers un funeste destin. Aussi, Fulci semble vouloir signifier l’incapacité de l’homme à altérer l’orientation de son existence. Pis, plus l’héroïne avance, plus elle semble précipiter les événements, victime d’un fatum cruel qui se joue des curiosités et vanités humaines.
Avec sa montée en puissance musicale inoubliable et un travail d’orfèvre sur le montage, le filmage et la lumière, Fulci est un véritable auteur qui scande l’effroi et le macabre. Il pulvérise les illusions et détourne les codes de la romance qui devient vénéneuse et mortelle.
Moins psychédélique que certains de ses gialli passés, L’emmurée vivante emprunte bien des rouages à ses classiques et préfigure déjà les obsessions à venir de L’au-delà. L’obstination de Fulci à filmer en abusant de son style et de ses métaphores est à mettre à son crédit. Le style Fulci est une ponctuation qui suscite un certain inconfort jouissif quant à l’ambiance générale où, finalement, le plus psychédélique des détails devient son goût vertigineux pour les enchâssements et les spirales. Paix à son âme.
La sortie de L’emmurée vivante en France
En 1980, Lucio Fulci a bénéficié de deux succès en salle, avec L’enfer des zombies en février et Frayeurs, en 1980. Des titres qui ont beaucoup fonctionné en province, en particulier. UGC les avait parfaitement distribués, et il en sera de même en octobre 1981 avec L’au-delà, le chef d’œuvre du maître. Le triomphe que l’auteur a reçu en juin 1980 au Festival du Film Fantastique du Grand Rex va précipiter la sortie de L’emmurée vivante qui y est proposé hors compétition. En revanche, pour Frayeurs, également présenté, les jeunes spectateurs présents sont en transe. Le film obtiendra le prix du public.
Le distributeur indépendant français n’était pas des plus vigoureux, puisqu’il s’agissait de Variety 7 aux titres de qualité douteuse : Les surdoués de la première compagnie, Faut s’les faire ces légionnaires, Prends ta Rolls et va pointer, La fiancée de l’évêque… Tel était le niveau des productions dont il disposait en 1981. Il ne laissera pas de trace l’année suivante, comme disparu après deux ans de service.
Variety 7 avait d’abord essayé de sortir L’emmurée vivante sur quelques écrans de province, notamment à Rouen, avant de trouver sept cinémas sur Paris, seulement dans l’intra-muros. A l’affiche de l’UGC Marbeuf, des Montparnos, du Magic Convention, du Mistral, de l’UGC Danton et Gare de Lyon, ainsi que du Rio Opéra, le Fulci passe totalement inaperçu avec à peine 5 534 spectateurs pour une semaine d’exploitation unique. Il sera effectivement retiré de l’affiche à l’issue de cette micro-sortie. Variety 7 n’est pas UGC Distribution et le sujet un peu vieillot de L’emmurée vivante ne peut faire concurrence aux obsessions sanguinaires des spectateurs de l’époque : Vendredi 13, Maniac et le gore italien.
“Dans un mur, personne ne vous entend pourrir !”
En VHS, le parcours du film sera périlleux. Des éditeurs que l’on qualifiera de dernière zone exploiteront le film, dans des copies lamentables, sous des titres et jaquettes pas toujours en raccord. Ainsi le titre de “Prédiction” est juste, mais sûrement trop explicite quand Fulci semble vouloir surtout rendre un hommage franc à Edgar Poe et son Chat noir.
On perdra de vue L’emmurée vivante, devenu un titre maudit pour le cinéaste dont les œuvres des années 80 remporteront dans leur ensemble bien plus de suffrage. Il faudra attendre 2005 et l’éditeur Neo Publishing pour bénéficier d’une sortie DVD, sous son titre original, avec la phrase d’accroche qui scotche : “Dans un mur, personne ne vous entend pourrir!”. Culte.
On notera qu’après près de quarante ans d’absence sur le grand écran, L’emmurée vivante fait l’objet d’une reprise dans le cadre d’une rétrospective estivale du maître du suspense. Ce sont les quatre gialli, Perversion Story (1969), Le venin de la peur (1971), La longue nuit de l’exorcisme (1971) et donc L’emmurée vivante (1977) qui dévoilent en haute définition un visage alternatif au cinéma gore qui fit de Fulci une icône de l’horreur italienne dans les années 80.