Thriller de tous les excès, L’éventreur de New York déploie sa misanthropie tout au long d’un film peu aimable, zébré d’incroyables éclats de violence. A ne pas mettre devant tous les yeux.
Synopsis : A New York, plusieurs femmes sont assassinées de manière atroce par un tueur en série, connu pour être doté d’une voix de canard. L’inspecteur Williams se charge de l’enquête alors que les meurtres sadiques s’enchaînent…
Un des derniers rejetons du giallo
Critique : Alors qu’il vient de terminer La maison près du cimetière (1981) qui clôt un cycle de films d’horreur gore marquants, Lucio Fulci est à nouveau approché par le producteur Fabrizio De Angelis pour mettre en boîte un giallo qui se situerait aux Etats-Unis. Il lui propose ainsi le script de Gianfranco Clerici et Vincenzo Mannino, avec qui Fulci avait déjà travaillé sur La longue nuit de l’exorcisme (1972). Toutefois, le producteur impose d’importantes réécritures qui sont effectuées notamment par Dardano Sacchetti. Ce dernier change notamment le mobile du tueur et délocalise l’action de Boston à New York.
Tourné en extérieur dans les rues de New York – sans aucune autorisation afin d’alléger les coûts de production – puis en studio à Rome, L’éventreur de New York peut être considéré comme l’un des derniers rejetons du genre giallo, alors passé de mode. Le réalisateur en reprend certains codes comme l’assassin qui tue des femmes avec des outils contondants, certains éclairages bariolés lors des scènes de meurtres, ainsi que la forme du whodunit.
L’éventreur de New York, un vilain petit canard
Toutefois, Lucio Fulci, peut-être inspiré par la violence qui se dégage alors des rues new-yorkaises, semble davantage s’inscrire dans un cinéma américain underground extrême qui s’impose progressivement sur les écrans. Ainsi, durant la projection, on pense davantage à des films comme Maniac (Lustig, 1980) ou Driller Killer (Ferrara, 1979). Pas sûr que Fulci en ait conscience à l’époque, lui qui a toujours cité Hitchcock parmi ses références, mais il semblerait que la ville américaine inspire ces mêmes sentiments extrêmes aux artistes de l’époque.
Décrite comme une ville du vice et de la violence, New York est bien plus qu’un décor, mais bien une antichambre de l’enfer où semblent se déverser toutes les perversions humaines. Souvent accusé de misogynie, L’éventreur de New York est en réalité bien plus que cela. Certes, le sort réservé aux femmes est particulièrement salé puisque le cinéaste se plaît à décrire leurs souffrances avec une forme de sadisme complaisant, mais il n’est guère plus sympathique avec les hommes. Outre un enquêteur incapable d’empathie, il nous propose une galerie de machos libidineux, de maris impuissants ou d’homosexuels plus ou moins refoulés. En réalité, le film nous montre surtout une gente masculine impuissante et dont les pulsions refoulées les poussent aux pires atrocités.
Un couin-couin d’enfer
Finalement, ce qui rend L’éventreur de New York aussi peu sympathique à suivre, c’est cette volonté avouée du cinéaste à décrire un monde en totale déliquescence, le tout baignant dans une misanthropie pleinement assumée. La grande force du long-métrage est de bousculer sans cesse le spectateur dans ses attentes et de lui proposer un spectacle finalement peu aimable. Certes, il y a du sexe, mais si peu excitant – la scène du pied sous la table, assez dégoutante. Oui, il y a de la violence, mais tellement outrancière que même les spectateurs les plus chevronnés risquent d’avoir des hauts le cœur – on pense au sort atroce réservé à la prostituée, découpée consciencieusement à coups de rasoir. Lucio Fulci donne donc au spectateur ce qu’il est venu voir, mais sans rien édulcorer.
Malheureusement, tout n’est pas réussi dans L’éventreur de New York, loin de là. Tout d’abord, l’intrigue policière comporte de nombreux trous qui ne sont jamais comblés et la résolution n’est guère convaincante. Ensuite, le réalisateur a pris le parti d’affubler son tueur d’une voix de canard ridicule. Certes, elle est là avant tout pour créer un décalage, mais elle ruine aussi plusieurs scènes par un comique involontaire. Enfin, la musique pop jazzy de Francesco De Masi n’est pas la plus belle partition de son auteur. Si l’on apprécie quelques passages où des distorsions créent une ambiance torve, elle paraît parfois en décalage avec les images.
Un spectacle qui a subi la censure et de lourdes interdictions
Enfin, alors que le réalisateur est capable de tourner de vraies scènes de suspense, toutes fortement teintées de sadisme, il se laisse trop souvent aller à la facilité, au nom d’une efficacité immédiate. On peut trouver au final ce film assez grossier, parfois franchement vulgaire. Il s’agit en tout état de cause d’un vrai bras d’honneur au bon goût. Bizarrement, c’est aussi ce caractère outrancier qui en fait la saveur, car le spectacle n’est jamais fade ou lisse, mais bien porté par une vision terriblement pessimiste de l’être humain.
Censuré un peu partout dans le monde, L’éventreur de New York est sorti en France avec une lourde interdiction aux moins de 18 ans. Il a ainsi attiré en salles 188 971 curieux, avant de connaître une belle carrière en VHS. Le film est récemment ressorti dans un Mediabook de toute beauté chez The Ecstasy of Films. Non seulement la copie est belle, non coupée et non recadrée, mais le Mediabook propose un livret très éclairant de Lionel Grenier et Alain Petit.
Attention, Mediabook à saisir d’urgence !
Ce fut l’occasion pour l’auteur de ces lignes de redécouvrir un film qu’il avait toujours considéré comme médiocre à cause d’une VHS à l’image pisseuse, proprement indigne. En tout état de cause, L’éventreur de New York reste un film inégal, mais porté par des fulgurances qui allaient peu à peu disparaître du cinéma de Fulci. Il s’agit assurément d’un spectacle à réserver à un public très averti.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 4 mai 1983
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