De La Dentellière de Claude Goretta à Elle de Paul Verhoeven, Isabelle Huppert a brillé pendant cinq décennies de cinéma français. Elle a travaillé avec Chabrol (Violette Nozière), Pialat (Loulou), Cimino (La Porte du paradis), Haneke (La Pianiste), Chéreau (Gabrielle)…
Lauréate de deux César, deux prix d’interprétation à Cannes et autres récompenses, Huppert a été partagée entre un jeu minimaliste et une puissance histrionique, dans la lignée des plus grands.
Du Conservatoire à Chabrol : une carrière exemplaire
Formée au Conservatoire, Isabelle Huppert débute au cinéma en 1972. On la remarque, cette année-là, dans César et Rosalie de Claude Sautet et, deux ans plus tard, dans une scène des Valseuses de Bertrand Blier, pour une séquence champêtre où elle est séduite par Depardieu, Dewaere et Miou-Miou. L’année 1975 la voit briller dans deux autres seconds rôles : elle est la jeune fille violée et tuée par Jean Carmet dans Dupont Lajoie, puis l’artiste peintre, jeune, dans le méconnu Aloïse de Liliane de Kermadec. Mais c’est La Dentellière (1977) de Claude Goretta qui lui offre son premier grand rôle, celui d’une jeune coiffeuse qui s’éprend d’un étudiant cultivé et bourgeois. Ce personnage marque la persona d’Huppert, qui se spécialise dans les compositions de femmes introverties, tantôt timides tantôt effrontées, avec un minimalisme de jeu mais une réelle complicité avec la caméra. C’est le cas avec Violette Nozière (1978) de Claude Chabrol, où son rôle de jeune parricide lui vaut son premier prix d’interprétation à Cannes, et la propulse valeur sûre du cinéma français.
Un temps compagne du producteur Daniel Toscan du Plantier, elle devient l’emblème de la société Gaumont dans plusieurs films : Les Sœurs Brontë (1979) d’André Téchiné, où elle partage l’affiche avec sa rivale Isabelle Adjani ; l’académique La Dame aux camélias de Mauro Bolognini, la même année ; surtout Loulou (1980) de Maurice Pialat, où elle se meut avec aisance dans l’univers du cinéaste. Elle devient d’ailleurs prolifique au début des années 80, collaborant avec Jean-Luc Godard dans Sauve qui peut (la vie) (1980) et Passion (1982), participant à la réussite artistique (mais fiasco commercial) de La Porte du paradis/Heaven’s Gate (1980) de Michael Cimino, ou changeant de registre dans Coup de torchon (1981) de Bertrand Tavernier. Dans ce polar baroque, son jeu est plus extraverti et s’enrichit d’une tonalité comique qui marquera plusieurs de ses futurs rôles.
Moins romanesque qu’Adjani et moins familière que Miou-Miou, Isabelle Huppert tente de changer de cap en 1983. Si elle ne néglige pas les films d’auteur comme L’Histoire de Piera/Storia di Piera (1983) de Marco Ferreri, elle s’essaie à un cinéma plus populaire. Cela lui réussit sur le plan commercial avec Coup de foudre (1983) de Diane Kurys ou Sac de nœuds (1985) de Josiane Balasko. Mais la comédie La Femme de mon pote (1983) de Bertrand Blier et le polar La Garce (1984) de Christine Pascal ne convainquent ni la critique ni le public. La seconde moitié des années 80 qui est celle de la crise du cinéma français forment une période creuse pour Huppert, qui ne trouve la grâce ni dans le cinéma australien (Cactus de Paul Cox, 1986), ni dans le polar hollywoodien (Faux témoin/The Bedroom Window de Curtis Hanson, 1987). Mais elle effectue un beau come-back avec Une affaire de femmes (1988) de Claude Chabrol, où son rôle de faiseuse d’anges lui permet de décrocher un premier prix d’interprétation à la Mostra de Venise.
Moins présente à l’écran dans les années 90, en raison d’un retour au théâtre, Isabelle Huppert se maintient en tête d’affiche de plusieurs films marquants. On peut citer La Vengeance d’une femme (1990) de Jacques Doillon, où elle est confrontée à Béatrice Dalle, le film américain indépendant américain Amateur (1994) de Hal Hartley, ou L’École de la chair (1998) de Benoit Jacquot, d’après le roman de Mishima. Mais c’est encore avec Chabrol qu’elle donne le meilleur d’elle-même : plus que dans l’inégal Madame Bovary (1991), c’est dans le sublime La Cérémonie (1995) qu’elle crève l’écran. Son rôle de postière déviante lui vaut un second prix d’interprétation (partagé avec Sandrine Bonnaire) à la Mostra de Venise, et son premier César de la meilleure actrice. Elle retrouvera Chabrol pour trois autres films moins aboutis, dont Rien ne va plus (1997) et Merci pour le chocolat (2000).
Isabelle Huppert : d’autres grands rôles avec Haneke et Verhoeven
La décennie suivante maintient voire accroît sa réputation, et Huppert devient définitivement l’actrice française la plus prestigieuse et bankable de sa génération, après les déclins d’Adjani (longtemps number one) et Miou-Miou, et malgré la concurrence de Nathalie Baye. Une série de films réussis et qui trouvent leur public consolident son aura. Dans Saint-Cyr (2000) de Patricia Mazuy, elle incarne avec subtilité une Madame de Maintenon pédagogue. La Pianiste (2001) de Michael Haneke, d’après le roman d’Elfriede Jelinek, la met dans la peau d’une musicienne rigide, et lui fait gagner son second prix d’interprétation à Cannes. Et elle joue la fantasque et coincée Augustine des Huit femmes (2002) de François Ozon, le métrage où son talent burlesque est le plus fort. Gabrielle (2005) l’introduit dans l’univers distancée de Patrice Chéreau. Dans Nue propriété (2007) de Joachim Lafosse, elle est la mère tourmentée des deux frères Jérémie et Yannick Renier.
Et une trentaine de films la voient encore en tête d’affiche dans les années 2010, du premier long métrage My Little Princess (2011) d’Eva Ionesco à la coproduction Frankie (2019) d’Ira Sachs, en passant par Tip Top (2013) de Serge Bozon, Valley of Love (2015) de Guillaume Nicloux, L’Avenir (2016) de Mia Hansen-Løve, ou La Caméra de Claire (2017) de Hong Sang-soo. Mais le sommet de cette décennie est son rôle dans le thriller psychologique Elle (2016) de Paul Verhoeven, qui lui vaut son second César, une nomination à l’Oscar et le Golden Globe de la meilleure actrice dans un drame.
Au cours de sa riche carrière cinématographique qui est loin d’être achevée, Isabelle Huppert a également tourné avec Otto Preminger (Rosebud, 1975), Patricia Moraz (Les Indiens sont encore loin, 1977), Jean-François Adam (Retour à la bien-aimée, 1979), Márta Mészáros (Irène, 1980), Michel Deville (Eaux profondes, 1981), Joseph Losey (La Truite, 1982), Andrzej Wajda (Les Possédés, 1988), Werner Schroeter (Malina, 1991), Christian Vincent (La Séparation, 1994), les frères Taviani (Les Affinités électives, 1996), Claude Pinoteau (Les Palmes de Monsieur Schutz, 1997), Laurence Ferreira Barbosa (La Vie moderne, 2000), Raoul Ruiz (Comédie de l’innocence, 2001), Christophe Honoré (Ma mère, 2004), Ursula Meier (Home, 2008), Claire Denis (White Material, 2009), Marc Fitoussi (Copacabana, 2010), Brillante Mendoza (Captive, 2012), Catherine Breillat (Abus de faiblesse, 2014), Joachim Trier (Back Home, 2015), Neil Jordan (Greta, 2018) et Anne Fontaine (Blanche comme neige, 2019).
Isabelle Huppert a par ailleurs connu un parcours théâtral de 1971 à 1977, et qu’elle a repris en 1989. Parmi ses spectacles les plus célèbres figurent Un mois à la campagne d’Ivan Tourgueniev, mis en scène par Bernard Murat au Théâtre Edouard VII (1989), Mary Stuart de Friedrich Schiller, mis en scène par Howard Davies au Royal National Theatre de Londres (1996), Médée d’Euripide, mis en scène par Jacques Lassalle au Festival d’Avignon (2001), Le Dieu du carnage, de et mis en scène par Yasmina Reza au Théâtre Antoine (2008), et La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, mis en scène par Ivo Van Hove au Théâtre de l’Odéon (2020). Elle a reçu un Molière d’honneur en 2017.
Isabelle Huppert est la sœur de la réalisatrice et écrivaine Elisabeth Huppert, et de la réalisatrice et scénariste Caroline Huppert ; l’épouse du producteur, réalisateur et distributeur Ronald Chammah ; et la mère de l’actrice Lolita Chammah.