Madame Hyde marque la collaboration du réalisateur Serge Bozon et Isabelle Huppert après l’impertinent Tip Top. Le résultat est forcément une comédie décapante et mordante, qui consolide l’approche douce-dingue des deux collaborateurs, dans un style et un ton frappés qui ne plaira qu’aux esprits lunaires.
Synopsis : Une timide professeur de physique est méprisée par ses élèves et ses collègues dans un lycée professionnel de banlieue. Un jour, elle est foudroyée et sent en elle une énergie nouvelle, mystérieuse et dangereuse…
L’union sacrée
Critique : Tip Top de Bozon, avec Huppert et Kiberlain, avait dérouté une partie de la critique et irrité le public qui pensait y voir une comédie, certes, décalée, mais pas au point d’une violence absurde, devenue burlesque, et d’une caractérisation sadomasochiste des personnages.
Madame Hyde réunit une fois de plus le cinéaste social et l’iconoclaste Isabelle Huppert. Les deux acolytes se détournent néanmoins du jusqu’au-boutisme radical de leur collaboration précédente, pour un traitement moins osé, sans pour autant réfuter leur goût pour les divertissements étranges et décalés.
Adapter le classique gothique de Robert Stevenson, L’Etrange cas du Dr. Jekyll et Mr. Hyde, afin d’en faire une réflexion cosmique sur l’école, épicentre du quartier d’une France cloisonnée, relève d’une approche singulière, alors que le cinéaste joue volontiers de la métaphore filée des sciences – physique et fiction-, pour nourrir une réflexion qui est tout sauf scolaire.
Madame Hyde, dans le ton, ne ressemble qu’à Huppert et à ses personnages déconcertants ; on lui reconnaît cette fantaisie qu’elle affectionne, en prêtant ses névroses à un personnage de prof psychologiquement fragile et bordélisée par ses classes. Actrice lumineuse, elle se transforme en astre de lumière à la tombée de la nuit, à la suite d’une expérience électrisante, dans le labo modulaire de son établissement. Vient alors la revanche d’une fonctionnaire que l’on n’a que trop serrée et oppressée. Forcément mordant et jubilatoire.
Romain Duris trouve le ton
En proviseur tyrannique, imbu de sa personne, intransigeant face aux faiblesses et aux excentricités de sa professeure de sciences physiques, Romain Duris, devient d’une certaine façon M. Convenances, l’insupportable système qui semble déplaire à Bozon ; l’acteur, qui n’est jamais le dernier quand il s’agit de jouer avec son image, se plie à l’expérience de l’absurde, sans jamais rechigner, riant de la hiérarchie qu’il incarne avec une hypocrisie savoureuse. L’acteur s’accommode parfaitement des exigences de Bozon.
Rêverie poétique des années 70
Fidèle à son univers entre réalisme pointilleux, texture documentaire, mais aussi littéraire, toujours prompt à peindre le portrait de la France des oubliés, Serge Bozon revêt Madame Hyde d’un surréalisme exquis propre aux années 70, où l’on pourrait presque penser aux délires poétiques des Alain Robbe-Grillet de l’époque, l’érotisme en moins. Le mélange des genres est déroutant, le microcosme d’Entre les murs baignant dans un humour lettré qui lui sied plutôt bien. Face aux enseignants, se tiennent les mômes, leur verve, et leur provocation. Les sorties nocturnes d’une jeunesse désœuvrée nourrissent l’énergie meurtrière dont se repaît Madame Hyde qui fait griller toute vie qui vient se frotter d’un peu trop près à sa revanche de prof cabossée.
Madame Hyde, comédie barrée de la truculence
Mi-lunaire, mi-solaire, le monstre Hyde est ici traité avec dignité, au cœur d’un environnement de béton dont le gothique prend l’allure d’une fable sociologique. Le réalisateur de La France est conforme à sa vision de couleurs de l’Hexagone, et semble donc plus intéressé par la psychologie et le milieu social que par l’imagerie fantastique, que les amateurs de cinéma de genre rejetteront en bloc. Pour son humour, son audace, son énergie folle, Madame Hyde est un pur concentré de ce qui fait l’art de Bozon et d’Huppert, ces deux-là semblant in fine se marier en un univers unique où il est difficile de dire lequel des deux est Hyde et Jekyll. Dans la truculence, ils ne font qu’un.