Amateur confirmait en 1994 l’importance du cinéaste Hal Hartley sur la scène indépendante américaine. Malgré ses innombrables qualités et la présence d’Isabelle Huppert, le film fut un échec public.
Synopsis : Isabelle, une ancienne religieuse, recyclée dans le roman porno et investie par Dieu d’une mission qu’elle ignore encore, Thomas, un amnésique et Sofia, une jeune femme, star du porno, se rencontrent dans les rues de New York et se retrouvent vite poursuivis par des tueurs à gages.
Hal Hartley, espoir du cinéma indépendant du début des années 90
Critique : En 1992, les jeunes cinéphiles français ont découvert la naissance d’un artiste indépendant au talent évident, un certain Hal Hartley. Grâce au formidable écho remporté par son chef-d’œuvre Trust Me, les distributeurs français se sont lancés à corps perdu dans l’exploitation du catalogue du réalisateur, fort d’un premier long-métrage inédit (The Unbelievable Truth) et de courts-métrages réunis au sein d’un film omnibus nommé Surviving Desire. Dans le même temps sortait son troisième long, Simple Men. La plupart de ces films étant excellents, beaucoup ont vu en lui l’espoir du cinéma indépendant américain. De quoi lui attirer un financement plus important pour son œuvre suivante intitulée Amateur (1994).
Tourné comme Simple Men avec un budget triple par rapport à celui de ses premiers essais, Amateur permet au réalisateur de se payer les services d’une star française, en l’occurrence Isabelle Huppert, qu’il confronte à ses acteurs habituels comme Martin Donovan, Elina Löwensohn et Damian Young.
Un film sous forte influence du cinéma de Godard
Toutefois, pas question pour le réalisateur de se laisser gagner par les sirènes d’un cinéma plus conventionnel puisqu’il clame à travers ce nouvel opus son amour pour le cinéma de Godard. Pas celui des années 80-90 gagné par un hermétisme absolu, mais bien celui des années 60 qui était capable de livrer des chefs-d’œuvre comme A bout de souffle, Pierrot le fou, Le mépris et tant d’autres. Les références à son cinéma pullulent ici que ce soit par la circulation d’un revolver entre les personnages, mais aussi par les dialogues (pastiche de la scène d’amour inaugurale du Mépris).
Revisitant le cinéma de la Nouvelle Vague française qu’il maîtrise sur le bout des doigts, Hal Hartley n’en oublie pas pour autant de développer ses propres thématiques. Il nous invite à suivre les errances de personnages paumés (un amnésique, une ancienne nonne devenue romancière porno et une star du X en rupture) dans un New York interlope qui convoque immédiatement l’ombre tutélaire du grand cinéma indépendant des années 60-70. Si Hartley adore confronter les contraires (la foi et le profane, l’homme et la femme, l’amour et le sexe), il clame surtout son amour pour les êtres humains borderline.
Une critique à peine voilée d’une société normative
Le plus bel exemple de cet amour de la marge réside dans le fait que tous les truands du film arborent un magnifique costume-cravate, comme si la menace qui allait s’abattre sur le monde ne pouvait venir que des cols blancs. Représentants d’un univers formaté dicté par des impératifs économiques, ces hommes ne sont que des pantins désarticulés que le cinéaste filme donc de manière outrancière (on adore la gestuelle particulière adoptée par Damian Young, dans un rôle difficile).
Certes, les héros incarnés par le trio principal (Huppert, Donovan, Löwensohn) sont également des êtres à la dérive, mais l’auteur les valorise par leur capacité à rêver. Il s’agit de personnages évanescents, comme issus d’un monde fantomatique, et d’ailleurs on peut même se demander si le protagoniste incarné par Martin Donovan n’est pas un spectre errant, comme un mort qui aurait oublié de passer totalement l’arme à gauche.
Une ambiance musicale savoureuse et enveloppante
C’est cette capacité à nous montrer une réalité déformée qui fait tout le prix du cinéma de Hal Hartley. Le tout est porté par une réalisation sobre, mais qui sait aller à l’essentiel. Sans en abuser, le cinéaste utilise également une superbe bande sonore composée à la fois du score écrit par lui-même (sous le pseudo de Ned Rifle) et Jeffrey Taylor, mais aussi de titres venus de la scène rock indépendante américaine. Le tout tisse une ambiance qui sait alterner les moments de poésie, avec quelques accès de violence et des instants plus loufoques.
Si Amateur n’est pas le film le plus abouti de son auteur, il n’en demeure pas moins l’un des derniers travaux vraiment intéressants d’un réalisateur qui a ensuite assez vite perdu l’inspiration de ses débuts.
Un échec public qui est devenu rare
Malgré la présence d’Isabelle Huppert en tête d’affiche et des critiques plutôt favorables, Amateur n’a réuni dans les salles françaises que 126 813 spectateurs amoureux du cinéaste indépendant. Le long-métrage a ensuite totalement disparu des écrans. Il est toutefois désormais disponible sur les plateformes de VOD, permettant à toute une nouvelle génération curieuse de découvrir le dernier grand film d’Hal Hartley.