La religieuse, nouvelle adaptation du roman scandaleux de Diderot plonge dans les zones d’ombre des couvents avec rigueur, sans faire appel au voyeurisme. Sa dénonciation n’en est que plus efficace et radicale.
Synopsis : XVIIIe siècle. Suzanne, 16 ans, est contrainte par sa famille à rentrer dans les ordres, alors qu’elle aspire à vivre dans « le monde ». Au couvent, elle est confrontée à l’arbitraire de la hiérarchie ecclésiastique : mères supérieures tour à tour bienveillantes, cruelles ou un peu trop aimantes… La passion et la force qui l’animent lui permettent de résister à la barbarie du couvent, poursuivant son unique but : lutter par tous les moyens pour retrouver sa liberté.
Une nouvelle version du chef d’œuvre sulfureux de Diderot
Critique : Roman du scandale, La religieuse de Diderot n’a pas fini de susciter les passions depuis sa publication à titre posthume à la fin du XVIIIème siècle. Non content d’avoir déchaîné les censeurs littéraires, l’œuvre a continué à subir l’ostracisme à travers la première version filmée signée Jacques Rivette en 1966. Suzanne Simonin, la religieuse de Diderot a effectivement été interdite jusqu’à sa présentation à Cannes en 1967, provoquant au passage pas mal de remous dans l’opinion publique, dominée par une certaine intransigeance religieuse.
Autant dire que le pari de Guillaume Nicloux de donner sa propre vision de l’œuvre de Diderot est encore risqué, même si les passions sont quelques peu retombées ces dernières années. Lors de sa sortie, son film tombait tout de même en plein scandale sexuel touchant un Vatican déstabilisé par la récente démission de Benoît XVI et se retrouvait ainsi au cœur d’une actualité brûlante.
La religieuse condamne un système patriarcal cruel
Si le long-métrage de Nicloux ne cherche jamais à faire de l’esbroufe sur un sujet qui pouvait donner lieu à des débordements outranciers, il n’hésite tout de même pas à dénoncer un système social abominable mettant sous cape les désirs personnels des femmes. Plus qu’une condamnation sans appel de la religion catholique, La religieuse de Nicloux se veut d’abord un film féministe qui aborde frontalement la condition du sexe dit faible au XVIIIème siècle. Par-là même, il dénonce aussi toutes les tentatives d’enfermement des femmes afin de les soumettre aux volontés des hommes.
Ainsi, le long-métrage ne condamne jamais les nonnes ou les abus des mères supérieures qui sont finalement toutes des victimes d’un système patriarcal impitoyable. Il préfère plonger au cœur des névroses de ses personnages afin de leur donner une profondeur à même d’expliquer leurs actes. Il peut dès lors dérouler le cortège des petites humiliations qui vont crescendo tout au long d’une histoire cruelle à souhait. Des simples privations en passant par les punitions et autres châtiments corporels, le cinéaste ne se départit jamais d’une certaine cruauté, tout en évitant le piège du voyeurisme inhérent à ce type de sujet.
Un film sobre, sublimé par ses actrices
Réalisé avec beaucoup de retenue par un Guillaume Nicloux qui a laissé au vestiaire ses tics de mise en scène, La religieuse est entièrement habité par le jeu intense de la jeune Pauline Etienne, incarnation vibrante d’une jeune fille frêle sur le plan physique, mais déterminée à lutter contre un système qui broie les individus. L’actrice est tout bonnement bouleversante. Elle est aidée par un casting impressionnant largement dominé par l’excellente Françoise Lebrun, et surtout par l’impériale Isabelle Huppert – qui n’apparaît qu’au bout d’une heure et demie – dont le rôle borderline d’une mère supérieure lesbienne totalement névrosée ravira une fois de plus ses fans les plus ardents.
On reste plus réservé quant à la prestation de Louise Bourgoin dans un contre-emploi qui n’est pas totalement satisfaisant par son manque d’incarnation d’un personnage pourtant fascinant sur le papier. Sans concession, mais également sans volonté de choquer inutilement, cette nouvelle version de l’œuvre de Diderot est donc une expérience enthousiasmante à plus d’un titre, quelque part entre la rigueur formelle d’un Alain Cavalier (Thérèse) et l’immédiate accessibilité d’une œuvre d’Alain Corneau (Tous les matins du monde).
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 20 mars 2013
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Guillaume Nicloux, Isabelle Huppert, Louise Bourgoin, François Négret, Alice de Lencquesaing, Marc Barbé, Gilles Cohen, Françoise Lebrun, Fabrizio Rongione, Agathe Bonitzer, Lou Castel, Pauline Étienne