Beau portrait d’une femme libre et indépendante, A propos de Joan bouleverse par son recours à une ambiance éthérée et le jeu inspiré d’Isabelle Huppert, aux choix décidément très pertinents.
Synopsis : Joan Verra a toujours été une femme indépendante, amoureuse, habitée par un esprit libre et aventureux. Lorsque son premier amour revient sans prévenir après des années d’absence, elle décide de ne pas lui avouer qu’ils ont eu un fils ensemble. Ce mensonge par omission est l’occasion pour elle de revisiter sa vie : sa jeunesse en Irlande, sa réussite professionnelle, ses amours et sa relation à son fils. Une vie comblée. En apparence.
Plongée au cœur d’une mémoire tourmentée
Critique : Après un premier film intéressant, mais pas totalement abouti intitulé Je suis un soldat avec Louise Bourgoin, le réalisateur Laurent Larivière nous revient avec un drame romanesque à la lisière du fantastique. Le cinéaste et son coscénariste François Decodts ont mis plusieurs années à écrire A propos de Joan (2022) dont le script n’a cessé d’évoluer. Pour Laurent Larivière, il s’agissait de peindre le portrait d’une femme libre et indépendante sur plusieurs décennies, tout en adoptant systématiquement son point de vue.
Ainsi, les premières scènes – assez maladroites, il faut bien le dire – montrent Isabelle Huppert au volant de sa voiture en train de s’adresser directement au spectateur afin de briser le fameux quatrième mur. Elle insiste notamment sur le fait que la mémoire est fluctuante et que celle-ci n’est pas toujours fiable, surtout lorsqu’elle construit à posteriori une fiction plus avantageuse que la réalité. Cet aspect programmatique constitue le fondement même de l’esthétique du film, ainsi que de son propos général.
De l’art du mensonge et de la fiction
Effectivement, Laurent Larivière prend le parti de la fiction et déroule ensuite l’histoire de la vie privée de cette femme libre qui fut autrefois amoureuse d’un Irlandais lorsqu’elle était jeune fille au pair. Le spectateur, par le biais de flashbacks qui bousculent les conventions narratives mais qui ne le perdent jamais, est amené à découvrir une vie entièrement fondée sur le mensonge. Le premier est bien entendu celui d’avoir caché à son amant irlandais l’existence d’un enfant, fruit de leur union. Le second apparaîtra bien plus tard dans le film et constitue un twist bouleversant que nous ne dévoilerons pas.

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Au fur et à mesure d’A propos de Joan se dessine le portrait d’une femme farouchement indépendante, parfois séduisante et touchante, mais également irritante, froide et distante. Le tout est magnifié par le jeu magistral de la grande Isabelle Huppert, soutenue par Freya Mavor qui interprète Joan durant sa prime jeunesse. Dans la partie plus contemporaine, le comédien allemand Lars Eidinger joue avec conviction un auteur ressemblant à Charles Bukowski qui meurt d’amour pour son éditrice pourtant très cinglante. Leur relation amoureuse tumultueuse a le grand mérite d’éviter le romantisme béat et de proposer de nombreuses aspérités. Enfin, Swann Arlaud et Dimitri Doré incarnent à des âges différents ce fils à la fois si présent et si évanescent auquel Joan se raccroche sans cesse comme à une bouée de sauvetage.
Des portraits de femmes précieux
La grande qualité du mélodrame tient aussi en sa capacité à évoquer d’autres destins tragiques comme celui de sa mère interprétée dans la partie ancienne par Florence Loiret Caille. N’écoutant que son désir, celle-ci fait le choix de quitter son foyer, mari et fille, pour suivre son amant au Japon. Son destin se révélera bien plus tragique que prévu, mais là encore, nous vous laissons le découvrir.
Si la réalisation de Laurent Larivière paraît parfois un peu fragile, elle sert au contraire à créer une ambiance flottante, comme une indécision manifeste qui correspond à l’état d’esprit de Joan. Durant le dernier quart d’heure, le spectateur est mis sur la piste d’une dimension fantastique par un récit qui embrasse de plus en plus son aspect fictionnel. Cela est finalement confirmé par le magnifique et bouleversant twist final qui permet de reconsidérer l’intégralité du film. Dès lors, le personnage de Joan apparaît encore plus intéressant jusque dans ses échecs, ses défaites, mais aussi sa capacité de résilience face à un terrible drame personnel.
Magnifié par l’ensemble du casting, A propos de Joan est donc un deuxième long-métrage que l’on chérit et qui nous accompagnera longtemps après la projection, contrairement à bon nombre de productions actuelles. Certes, l’ensemble n’est pas exempt de quelques défauts, mais cela est balayé par l’impression générale laissée par la projection de ce très beau drame intimiste.
A propos de Joan, un cruel échec commercial
Malheureusement, le long-métrage est sorti au mois de septembre 2022, lors d’un automne exécrable sur le plan de la fréquentation des salles. Pour mémoire, le mois de septembre 2022 est le plus faible en termes d’entrées depuis 40 ans. Concurrencé sur son propre terrain par le très réussi Chronique d’une liaison passagère d’Emmanuel Mouret, A propos de Joan est diffusé dès le mercredi 14 septembre 2022 sur 99 écrans. Mais ses 2 587 spectateurs pour son premier jour d’exploitation (dont 827 en avant-première) sont bien loin d’être satisfaisants pour une œuvre portée par Isabelle Huppert.
En sept jours, A propos de Joan n’a attiré que 10 441 spectateurs dans toute la France et le film a perdu plus de 50 % de ses entrées en deuxième semaine avec seulement 4 865 retardataires. Ainsi, le métrage a été lâché par les exploitants dont les salles étaient désertes. Après trois autres petites semaines chiches en tickets vendus, le drame a terminé sa carrière avec dans sa besace 15 570 entrées pour un budget estimé autour de 4,3 millions d’euros. La déconvenue est telle que le métrage n’est sorti qu’en DVD dès début janvier 2023 et qu’il faut donc avoir recours à la VOD pour le découvrir en HD.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 14 septembre 2022
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© 2022 2.4.7. Films – Gifted Films – Blinder Films / Affiche : Benjamin Seznec pour Troïka. Tous droits réservés.
Biographies +
Laurent Larivière, Isabelle Huppert, Lars Eidinger, Swann Arlaud, Eanna Hardwicke, Florence Loiret-Caille, Dimitri Doré, Freya Mavor
Mots clés
Les mères au cinéma, Les relations mère-fils au cinéma, Festival de Berlin 2022, Les flops de 2022