A la lisière du fantastique, Retour à la bien-aimée est un film d’auteur austère, exigeant, mais plutôt enthousiasmant. A redécouvrir impérativement.
Synopsis : Pour retrouver sa femme, Jeanne, Julien, obscur pianiste, n’hésite pas à se débarrasser d’un ami qu’il a manipulé. Il s’arrange pour que le nouveau mari de sa femme soit accusé du meurtre. Tout le monde et en particulier le commissaire chargé de l’enquête n’est pas dupe.
Critique : Déjà auteur de deux longs-métrages remarqués par la critique, mais pas le grand public (M Comme Mathieu et Le jeu du solitaire), l’acteur-réalisateur Jean-François Adam revient en force en 1979 avec Retour à la bien-aimée qui propose un casting alléchant composé de Jacques Dutronc alors en pleine ascension sur le plan cinématographique et d’Isabelle Huppert qui venait de s’imposer tour à tour dans La dentellière (Goretta, 1977) et Violette Nozière (Chabrol, 1978).
Au scénario, on retrouve également des valeurs sûres comme le grand Jean-Claude Carrière, mais aussi le réalisateur Benoit Jacquot et l’écrivain Georges Perec. Bref, les fées semblent s’être penchées sur ce projet qui fut pourtant une sacrée déception sur le plan commercial puisque le long-métrage s’est écrasé à moins de 50 000 entrées sur Paris et un score misérable de 119 406 curieux sur tout l’Hexagone, et ceci malgré des critiques encore une fois favorables.
Il faut dire que Jean-François Adam ne sacrifie jamais son film à la facilité. Certes, le postulat de départ peut s’apparenter à un film policier classique, mais c’est sans compter avec la forme que lui octroie le réalisateur. Cet ancien collaborateur de François Truffaut et Jean-Pierre Melville se glisse effectivement dans les pas de la Nouvelle Vague et livre une œuvre austère, froide et distanciée, qui peut désarçonner. Tout d’abord, les dialogues sont réduits au minimum et déclamés de manière neutre par des acteurs qui ne cherchent jamais à montrer les émotions de leurs personnages. Au vu du sujet, cela peut surprendre, d’autant qu’il est bien question de passion amoureuse menant à la folie.
Ensuite, les auteurs ne cherchent aucunement à susciter le suspense puisque la machination – bien perverse au passage – est expliquée dès les premiers instants. Là où un Claude Chabrol traitait un sujet similaire dans La femme infidèle (1969), faisant de son film une critique virulente de l’hypocrisie bourgeoise, Jean-François Adam vide son long-métrage de toute contextualisation. Il s’agit bien pour lui de toucher à l’essence des êtres, sans se laisser distraire par des explications sociologiques, politiques ou même psychologiques. En réalité, Adam détourne le sujet lui-même et signe un magnifique film sur la reconquête d’un amour perdu, même si la morale est battue en brèche.
Cela s’exprime de la plus belle des manières dans les cinq dernières minutes où Jean-François Adam fait glisser son œuvre vers le fantastique et l’onirisme. Outre la présence d’un brouillard qui englobe les protagonistes, il termine son film sur un magnifique travelling qui parcours la maison, établit le lien entre tous les personnages réunis pour l’occasion pour se finir sur le couple nouvellement uni dans une félicité fantomatique.
Pour arriver à ce point d’orgue, il faut que le spectateur soit prêt à supporter quelques passages à vide, des creux narratifs et une ambiance doucement perverse qui prend son temps pour diffuser son poison. Pour faire passer certaines longueurs, la musique d’Antoine Duhamel établit une ambiance trouble assez chabrolienne, tandis que la photographie de Pierre Lhomme sublime la grande demeure qui sert de cadre au drame. Malheureusement, la copie visionnée n’a pas été restaurée et ne permet pas de pleinement juger des qualités esthétiques du film, ce qui est bien dommage.
Déstabilisant, original et assez fascinant, Retour à la bien-aimée mériterait donc une réévaluation de la part des cinéphiles exigeants. Ceux qui aiment les atmosphères troubles proches des univers de Chabrol, André Delvaux ou encore Jean-Claude Brisseau doivent impérativement visionner ce film, certes inégal, mais ô combien intéressant par la radicalité de sa démarche. Malheureusement, Jean-François Adam n’a pas pu confirmer ces espoirs placés en lui puisqu’il s’est suicidé l’année suivante à l’âge de 42 ans. Assurément une perte considérable pour le cinéma français.
Critique du film : Virgile Dumez