Polar particulièrement pervers, Eaux profondes profite de la maestria de son couple d’acteurs et d’une ambiance chabrolienne pour diffuser son venin. A redécouvrir.
Synopsis : Vic et Mélanie forment un couple heureux. Pourtant, leur amour se transforme peu à peu en passion dangereuse. Mélanie aime s’afficher avec ses amants qu’elle amène chez elle, tandis que Vic accepte ce jeu de séduction. Apparemment. Car il s’arrange pour faire disparaître de façon définitive les prétendants.
Critique : Après le succès remporté par Le mouton enragé (1974), excellent long-métrage coécrit par Christopher Frank, le réalisateur Michel Deville souhaite poursuivre ce partenariat à travers l’adaptation d’un polar de Patricia Highsmith intitulé Deep Water. Deville envisage d’en confier le rôle principal à Jean-Pierre Cassel, mais il éprouve des difficultés à trouver une comédienne pour lui donner la réplique. Il faut dire que le rôle féminin n’est pas très développé dans cette première version du scénario. Finalement, le projet est peu à peu laissé de côté et le cinéaste tourne plusieurs autres films plus faciles à monter.
Au début des années 80, Michel Deville fouille dans ses placards et revient sur le script abandonné depuis plus de six ans. Il trouve enfin ce qui cloche et relance le projet, cette fois-ci avec Jean-Louis Trintignant dans le rôle principal. Retravaillé et offrant cette fois-ci un rôle féminin plus étoffé, le script attire également la jeune Isabelle Huppert qui sort tout juste du tournage de Coup de torchon (Tavernier, 1981). Le long-métrage prend donc forme autour de ce couple vedette.
Certainement très influencé par Claude Chabrol – cinéaste qui a également adapté Patricia Highsmith à plusieurs reprises – Michel Deville signe une œuvre sulfureuse qui n’explicite aucun des actes des personnages, mais nous laisse imaginer la plupart. Ainsi, le couple est d’abord décrit comme un modèle de tolérance et de modernité : le mari semble accepter la présence d’autres hommes chez lui afin de divertir sa femme. Pourtant, derrière les sourires de ce bourgeois d’une exquise compagnie se cache en réalité un monstre de jalousie maladive.
Ce double jeu constant du personnage est porté par le jeu très intériorisé de Trintignant, vraiment au sommet de son art. On le sent capable du pire à chaque instant. Face à lui, Isabelle Huppert se livre à un grand numéro d’aguicheuse. On ne sait jamais si elle souhaite seulement nuire à son époux ou au contraire susciter une réaction de sa part. Ces jeux de l’amour, particulièrement pervers, vont faire de ce couple une menace létale pour leur entourage, comme autrefois dans La femme infidèle (Chabrol, 1969).
Emportés par un amour fou, sentiment jamais très éloigné de la haine lorsqu’il devient passionnel, ces deux êtres se heurtent, se blessent et se retrouvent au sein d’un foyer qui ne peut que prospérer sur le meurtre des intrus. Cela déclenche inévitablement le malaise du spectateur, d’autant que Michel Deville emploie une musique jazz agressive en contrepoint de l’action. Celle-ci, omniprésente, vient constamment parasiter l’image et créer une collision esthétique désagréable, mais intentionnelle. Le montage, parfois lâche puis soudainement saccadé, renforce un peu plus ce sentiment de malaise que le spectateur éprouve durant la projection de cette œuvre décidément inconfortable, mais diablement maîtrisée.
Aidé par le cadre original de l’île de Jersey, le cinéaste signe également quelques belles scènes situées sur les falaises, tout en osant un meurtre inattendu dans une piscine. On apprécie également la présence d’une petite fille finalement bien plus mature que ses parents, et d’une multitude de seconds rôles masculins issus du théâtre. L’occasion pour nous de retrouver Jean-Luc Moreau ou Robin Renucci, au début de leurs carrières respectives.
Sorti au mois de décembre 1981, Eaux profondes a été un joli petit succès d’estime, sans exploser le compteur du box-office national. Il a proportionnellement mieux marché sur Paris où il a réuni plus de 200 000 entrées, soit le tiers du total accumulé sur l’ensemble du territoire, obtenant donc un faible ratio Paris / Province. A revoir aujourd’hui, il s’agit de l’un des meilleurs films de Michel Deville qui allait retrouver un succès franc et massif avec Péril en la demeure en 1985.
Critique de Virgile Dumez