N’échappant pas aux clichés, Sidonie au Japon est un drame romantique un peu trop convenu, heureusement porté par une actrice formidable. L’ennui pointe parfois le bout de son nez.
Synopsis : Sidonie se rend au Japon à l’occasion de la ressortie de son best-seller. Malgré le dévouement de son éditeur japonais avec qui elle découvre les traditions du pays, elle perd peu à peu ses repères… Surtout lorsqu’elle se retrouve nez à nez avec son mari, disparu depuis plusieurs années !
A l’origine, un voyage au Japon
Critique : Au début des années 2010, la réalisatrice Élise Girard accompagne son premier film de fiction Belleville-Tokyo (2010) au Japon afin d’en promouvoir son exploitation. Ce premier contact de la cinéaste avec le pays du soleil levant constitue pour elle un véritable choc tant elle ressent au plus profond d’elle-même le décalage civilisationnel entre l’Occident et l’Orient. Dès lors, elle décrit son ressenti dans un journal qui sera ensuite la base de travail du futur script de Sidonie au Japon (2023).

© 2023 10:15! Productions – Lupa Film – Box Productions – Film-In-Evolution – Mikino – Les Films du Camélia. Tous droits réservés.
En fait, la maturation prend plus d’une décennie, Élise Girard ayant depuis voyagé à nouveau au Japon. Petit à petit, l’idée de développer ses notes en un scénario construit prend forme et la réalisatrice s’appuie aussi sur l’expertise de Maud Ameline et la regrettée Sophie Fillières pour finaliser son script. De cette dernière on retrouve aisément l’empreinte dans le traitement parfois humoristique de certaines situations et dans l’aspect décalé de quelques passages.
Carte postale du Japon
C’est d’ailleurs ce ton primesautier qui interpelle le spectateur en début de projection, soutenu par le jeu d’Isabelle Huppert, aussi à l’aise dans la comédie que le drame. Malheureusement, cet aspect plus ludique va peu à peu s’effacer du long métrage pour laisser la place à une intrigue bien plus balisée qui émarge à la fois du côté du classique film de deuil, mais aussi de la comédie romantique. Effectivement, l’écrivaine incarnée avec beaucoup de justesse par Isabelle Huppert est rapidement confrontée au fantôme de son mari (August Diehl, pas forcément bien servi ici), tandis qu’elle tombe progressivement amoureuse de son éditeur japonais – joué de manière mutique par Tsuyoshi Ihara.
Ce (faux) triangle amoureux n’est assurément pas le point fort de ce long métrage qui sacrifie également au piège de la carte postale vis-à-vis du Japon. Ainsi, le spectateur européen aura tout le loisir de revisiter ses connaissances du pays, visitant tour à tour des lieux ancestraux comme des temples ou des architectures plus contemporaines. On a évidemment droit au cerisier en fleur, emblème immédiatement identifiable du pays.
Le deuil en Asie, un cliché du cinéma d’auteur français ?
Mais ce n’est pas le seul cliché véhiculé par Sidonie au Japon puisqu’il est désormais classique d’envoyer une actrice française se confronter à la culture japonaise, avec toujours à la clé une histoire de deuil. On se souvient notamment du Voyage en Chine (Zoltán Mayer, 2015) de Yolande Moreau sur les traces de son fils décédé, mais aussi d’Isabelle Carré faisant le deuil de son frère dans Le cœur régulier (Vanja d’Alcantara, 2016), tandis que très prochainement Catherine Deneuve poursuivra son propre fantôme dans Yôkai – Le monde des esprits (Eric Khoo, 2025). Autant d’itérations de la même idée, malheureusement au détriment de Sidonie au Japon qui est sans doute le plus faible de tous.

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Si l’histoire d’amour naissante entre l’écrivaine et son éditeur peut éventuellement se concevoir, la thématique du deuil est abordée de manière maladroite, à tel point que l’on ne parvient pas à s’émouvoir de la situation de cette femme perdue entre deux mondes, et donc entre deux vies. D’ailleurs, comme si elle était lost in translation, Isabelle Huppert semble parfois s’effacer devant la caméra d’Élise Girard. Après un démarrage intrigant, Sidonie au Japon se délite peu à peu et finit par ennuyer à force de scénettes répétitives. La fin parvient tout juste à reprendre un peu d’intérêt, notamment sur le plan visuel, mais il est un peu tard pour faire du film un incontournable.
Aidé par une jolie musique de Gérard Massini, le film souffre d’une réalisation assez banale, cherchant à tout prix l’épure là où le script appelait parfois une certaine forme de fantaisie. Le résultat n’est jamais désagréable, ni franchement enthousiasmant, au point que l’on devrait rapidement oublier cette comédie dramatique / romantique au parfum quelque peu frelaté.
Box-office de Sidonie au Japon
D’ailleurs, les spectateurs français ont boudé cette proposition, pourtant passée par de nombreux festivals durant la fin de l’année 2023, dont la prestigieuse Mostra de Venise. Sorti le 3 avril 2024, Sidonie au Japon a pourtant bénéficié du savoir-faire du distributeur Art House en matière de communication. Pour mémoire, la firme a enchaîné les succès ces dernières années en proposant un cinéma japonais d’auteur bien spécifique dans lequel s’insère aisément Sidonie au Japon. L’affiche s’apparente d’ailleurs aux autres sorties du distributeur, avec un personnage regardant dans le vague au centre d’une affiche épurée à l’extrême. Mais cette fois, il s’agit de la star Isabelle Huppert.
Malgré la présence de l’actrice – qui n’a pas connu le succès durant une année 2024 mortifère – le métrage n’a suscité l’adhésion que de 53 732 cinéphiles sur une combinaison de 162 écrans. La moyenne n’est guère enthousiasmante, mais le distributeur choisit d’injecter plus d’une soixantaine de copies supplémentaires pour soutenir son poulain. En résulte tout de même une chute de 46 % en deuxième septaine, avec seulement 28 629 retardataires.
On note un maintien en troisième semaine avec 23 923 asiatiques supplémentaires, permettant au film de franchir la barre des 100 000 spectateurs. Le véritable effondrement intervient au mois de mai et le long métrage termine sa carrière à 132 850 entrées, ce qui en fait une sacrée déception pour une œuvre portée par la grande Isabelle. Il s’agit toutefois du film le plus vu de la réalisatrice Élise Girard à ce jour.
Critique de Virgile Dumez
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© 2023 10:15! Productions – Lupa Film – Box Productions – Film-In-Evolution – Mikino – Les Films du Camélia / Affiche : Jeff Maunoury. Tous droits réservés.
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Élise Girard, Isabelle Huppert, August Diehl, Tsuyoshi Ihara
Mots clés
Cinéma français, Le deuil au cinéma, Le voyage au cinéma, Les écrivains au cinéma, Les fantômes au cinéma, Festival de Venise 2023