Conçu comme un hommage au cinéma bis, Les prédateurs de la nuit, fantasme cinématographique de René Chateau, est une œuvre foutraque au casting hétérogène qui bénéficie toutefois d’un rythme soutenu et d’une réalisation soignée. Retour sur l’un des plus gros budgets jamais attribué au pape du Z, Jesús Franco.
Synopsis : Un détective privé recherche à Paris la fille d’un milliardaire américain et découvre sa trace dans une clinique aux agissements mystérieux.
Le pari de René Chateau : produire son remake des Yeux sans visage
Critique : Passionné de cinéma de quartier, en particulier du Midi Minuit, René Chateau décide de passer à la vitesse supérieure au milieu des années 80 après avoir été attaché de presse et distributeur attitré de Jean-Paul Belmondo pendant des années, et surtout éditeur vidéo au succès phénoménal lorsque le marché de la VHS démarrait à peine en France.
Cette fois-ci, l’homme d’affaires veut produire une version modernisée des Yeux sans visage, classique de Georges Franju déjà revu, mais sans grand succès commercial, par Claude Mulot à l’occasion de La rose écorchée en 1969. Par ailleurs, le chef d’œuvre avec Pierre Brasseur et Alida Valli avait connu une reprise à succès dans les cinémas, en 1986, ce qui lui avait permis d’être de nouveau d’actualité, plus de 25 ans après sa sortie.
Affiche : Jean Mascii. Tous droits réservés.
“Dark Mission”: canoniser Brigitte Lahaie hors du porno
L’objectif de René Chateau est noble, produire à une échelle prestigieuse un genre rarement abordé en France, tout en attribuant un rôle conséquent à sa compagne du moment, à savoir Brigitte Lahaie. L’ancienne gloire du X, très aimée des plateaux de télévision, notamment grâce à sa biographie très médiatisée en 1987 (Moi, la scandaleuse) et même un 45 tours la même année, Caresse tendresse, est toujours à la recherche d’une reconversion dans un cinéma plus traditionnel, après sa période pornographique mythique.
Avec son complice Michel Lebrun, scénariste de comédies (Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause!, avec Audiard et Jean-Marie Poiré), René Chateau signe le script sous le pseudonyme de Fred Castle. Il a déjà de nombreuses casquettes à assumer et il ne faut pas que son seul nom écrase le générique. On appréciera le pseudo à peine dissimulé qui sonne aussi comme une référence à l’un des grands noms du cinéma bis américain, William Castle.
René Chateau engage un pape du bis à la réalisation, Jess Franco
Au lieu de réaliser le film lui-même, René Chateau décide d’engager Jesús Franco pour diriger son long-métrage qui restera toutefois entièrement sous son contrôle. Les deux hommes se sont rencontrés sur le tournage de la production Eurociné Dark Mission (éditée en blu-ray en France par Pulse Vidéo), dans laquelle Brigitte Lahaie tenait un rôle, le second devant la caméra de Jess Franco après Je brûle de partout, un érotique réalisé en 1978 dont elle gardait un mauvais souvenir.
Le producteur est séduit par l’efficacité de l’Espagnol à travailler vite et sans trop de frais. Il lui donne donc l’occasion de diriger un budget conséquent, mais l’essentiel de l’argent passera par le cachet des noms, faussement bankables sur une affiche. La pression est grande pour Jess Franco, habitué depuis quelques années à enchaîner les films X ou érotiques fauchés en Espagne ou/et des séries Z pour Eurociné où son talent reste à démontrer. Et voici donc le réalisateur de L’abîme des morts vivants (une nullité insondable produite par la fameuse firme franco-espagnole) sur la place.
Copyright (Illustrateur) : Jean Mascii
Les finances ne sont pas au beau fixe pour le cinéaste ibérique, qui va sauter sur l’occasion pour improviser ses futurs nanars. Jesús Franco accepte la proposition, même si le sujet ne le motive pas plus que cela car il s’agit de tourner un énième remake de son Horrible docteur Orlof célèbre version déguisée du film de Franju. Dans Les prédateurs de la nuit, il baptisera le personnage d’Howard Vernon du nom d’Orlof, en clin d’œil à son film.
Franco souhaite toutefois embaucher son équipe technique espagnole habituelle, mais il essuie un refus catégorique de la part de Chateau qui compte superviser le film et surtout obtenir le soutien du CNC. Les prédateurs de la nuit sera avant tout français, via les sociétés René Chateau Productions, Les Films de la Rochelle et ATC 3000.
Un casting plus vénal qu’international
Afin de vendre son produit à l’étranger, René Chateau voit grand en engageant des figures internationales. On citera volontiers Helmut Berger, depuis longtemps en perdition malgré un début de carrière marquant sous l’égide de Visconti. L’acteur, fêtard et un brin décadent, pose quelques problèmes au début de la production et ne s’entendra guère avec Jess Franco qu’il ne considère pas comme l’homme au pouvoir derrière le film.
Autre nom connu d’un public large Telly Savalas, la star de Kojak, désormais d’un grand âge pour les jeunes spectateurs de l’époque, est promue en haut de l’affiche. Il fera même la Une d’un mensuel de cinéma à l’occasion du tournage de Faceless (titre international), le fameux Clap Magazine. Mal intégré dans le film, l’acteur cachetonne à distance, avec trois petites scènes au compteur que l’on imagine avoir été tournées en une demi journée, loin des autres acteurs. Savalas incarne le père inquiet de la disparition de sa fille, un top-modèle. Il lance sur ses traces un détective joué par un certain Christopher Mitchum.
Mitchum, vous avez dit… Mitchum?
Chris Mitchum est donc l’autre gloire du bis que sort du chapeau René Chateau. A cette époque, l’acteur prometteur du western américain qui avait joué à trois reprises avec John Wayne au début des années 70, n’est plus que l’ombre de lui-même ; il tourne dans des productions Eurociné (Commando Mengele, Dark Mission), des nanar indonésiens. Il connaît bien Franco qu’il respecte. Evidemment, l’erreur de casting est manifeste. Le rejeton de Robert Mitchum confirme une fois encore son absence totale de charisme, malgré une certaine ressemblance physique avec son père. On vous conseille à ce sujet de jeter un coup d’œil sur son incroyable oeuvre.
DVD René Chateau des Prédateurs de la nuit édité en 2003 © Copyright 1988 Productions René Chateau
Brigitte Lahaie, blonde machiavélique, habillée mais investie
Face à ce casting international, René Chateau dispose d’un casting féminin qui possède un certain cachet auprès des amateurs de productions underground. Toutefois, malgré des situations qui se prêtent à un érotisme torride, René Chateau gardera les actrices plutôt vêtues à l’écran. La raison est simple. Le producteur mise sur une interdiction aux moins de 13 ans. Cette décision tournera probablement au regret en raison de l’échec du projet au box-office.
Brigitte Lahaie est donc au sommet de l’affiche entre deux stars de cinéma. La consécration est-elle enfin venue? Dans le film, elle veut y croire et s’investit particulièrement, bien décidée à tourner la page avec son encombrant passé. Elle n’est pas vraiment juste, mais réussit à s’imposer dans des scènes de meurtre où elle est suffisamment glaçante et pugnace pour assurer le job. Archétype hitchcockien de la blonde vénéneuse, Lahaie a quelques talents pour jouer la garce sadique et n’a pas à rougir de son travail. Elle campe une femme au cœur cruel, jalouse de la sœur incestueuse – mais défigurée -, de son amant, un prestigieux directeur de clinique et chirurgien plasticien qui essaie de rafistoler sa moitié familiale.
Une œuvre qui ose davantage dans la violence que dans le sexe
La “scandaleuse” est froide comme la mort et semble particulièrement à l’aise dans les supplices qu’elle assène sans pitié. Lors d’une scène que René Chateau voulait comme un clin d’œil au film de Gary Sherman, Réincarnations (Dead or Buried), elle tue Stéphane Audran en lui enfonçant une seringue dans l’une de ses orbites. L’effet produit lors d’un gros plan assez factice n’est pas réussi, mais l’idée est là. Les prédateurs de la nuit est une œuvre qui ose dans la violence.
Un des éléments de satisfaction vient probablement des effets spéciaux gore concoctés par le maquilleur Jacques Gastineau qui avait déjà travaillé sur Lifeforce de Tobe Hooper en 1985 et un certain Terminus de Pierre William Glenn, avec Johnny Hallyday (post nuke français au bide historique en 1987). Même si on ne peut les qualifier de bons ou de très réalistes, ils sont nombreux et généreux, allant jusqu’à rendre un hommage au Frayeurs de Lucio Fulci. Cette générosité satisfera encore aujourd’hui les fans de cinéma déviant.
Gérard Zalcberg, seul élément de terreur dans un film qui ne fait pas vraiment peur
Pour accompagner cette violence graphique, comme dans tout bon film de tortionnaire, le personnage du sbire malfaisant est une évidence narrative. Pour ce rôle, Jess Franco a eu recours à l’un des visages du polar français de l’époque, Gérard Zalcberg (Cross, Bleu comme l’enfer), qu’il a rencontré par hasard, dans la rue.
L’acteur découvert par Walerian Borowczyk en 1980, à l’occasion de Dr. Jekyll et les femmes, dans lequel il jouait l’alter ego malfaisant d’Udo Kier, est une plus-value évidente dans le film. Doué pour incarner la démence, le comédien effraie. Son mutisme associé à son sadisme en font l’un des éléments réellement effrayants dans une œuvre qui, elle, ne fait guère peur. Bourreau embauché par Berger et Lahaie pour vaquer à la surveillance des victimes kidnappées, il est surtout cruel, sadique, violeur. Pour l’incarner sans être grotesque, le choix de Zalcberg est pertinent et ne s’oublie pas, contrairement à d’autres.
Audran, Munro, Guérin et les autres
Parmi les autres actrices, revenons sur le cas Stéphane Audran. Très pro en peau de vache qui pense avoir compris ce qui se trame dans cette clinique de la mort, elle empochera un beau chèque pour seulement une journée de tournage. Elle venait d’ailleurs de tourner dans une autre production AT 3000 Diffusion, sortie une semaine avant Les prédateurs de la nuit, l’inénarrable Corps z’à corps, comédie franchouillarde qui démontrait une fois de plus, dans les années 80, que la star du Festin de Babette était un peu prête à tout tourner pour un cachet relativement confortable. René Chateau, respectueux de cette grande dame, s’en accommodera aisément.
Les films sortis en VHS et/ou DVD chez René Chateau Vidéo
Autre référence du cinéma bis employée par Chateau, la Britannique Caroline Munro, que les amateurs de films d’horreur connaissent bien pour avoir été le coup de cœur du Maniac de William Lustig, l’un des plus gros succès de René Chateau vidéo. Toujours aussi jolie et sculpturale dans un rôle de victime outragée, elle livre une prestation correcte. Droguée, séquestrée, violée, elle restera elle aussi vêtue, ce qui n’aidera pas à faire du film un succès.
Parmi les très nombreuses vedettes du thriller d’épouvante, on notera également la présence de Florence Guérin. Adulée par les Japonais, l’actrice très juvénile fut révélée dans la comédie érotique Le déclic en 1985 avec Jean-Pierre Kalfon, dont on parla beaucoup, et elle partagea l’affiche d’un giallo avec Brigitte Lahaie, réalisé par Claude Mulot, sous forte influence de René Chateau qui l’édita en VHS, Le couteau sous la gorge. On ne comprend guère la raison pour laquelle Florence Guérin est kidnappée par le duo sadique Berger – Lahaie, puisque de par sa célébrité – elle joue son propre rôle -, un tel kidnapping diligenterait forcément une enquête importante et c’est donc un sacré risque que ses ravisseurs prennent. Mais on n’est pas à une faiblesse près dans un script fourre-tout qui n’aura pas le budget de ses ambitions réelles.
Affiche : Jean-Louis Lafon – Photos : LPH / Rodrigue / Gamma © Cinema International Corporation
Le dernier rôle de Christiane Jean au cinéma
La jeune Christiane Jean est également de la partie et tente son va-tout. Elle n’a que deux titres de gloire à son actif, Les misérables de Robert Hossein (1982) et Les spécialistes de Patrice Leconte, avec Gérard Lanvin et Bernard Giraudeau. Ce polar d’action a réalisé près de 5 400 000 entrées en 1985, mais la suite pour l’actrice a été plus difficile (la déception de L’amour braque de Zulawski) ou nanardesque (Le débutant avec Francis Perrin et le mémorable La nuit du risque de Sergio Gobbi, avec Stéphane Ferrara). Dans Les prédateurs de la nuit, Christiane Jean joue essentiellement parée d’un maquillage disgracieux sur le visage puisqu’elle se sacrifie en début de film pour sauver le visage de son chirurgien de frère, lorsqu’une patiente mécontente du travail de son frérot tente de brûler son visage à l’acide. Toutefois, le personnage de Christiane Jean s’avère plus complexe que prévu. Celle qui paraît être la victime d’une vengeance est surtout capable de bien des perversions. Cela peut certainement créer une distance avec ce rôle qui ne suscite ni empathie ni dégoût de par son grimage. Associée à de nombreux échecs commerciaux, Les prédateurs de la nuit inclus, Christiane Jean goûtait malheureusement à son dernier rôle important dans un film de cinéma et allait disparaître pour la télévision.
Enfin, pour clôturer la ronde d’un casting impressionnant, on mentionnera également quelques vieux de la vieille comme Howard Vernon, inlassablement fidèle à Jess Franco ou encore Anton Diffring, dans le cliché du scientifique nazi ici très heureux de pouvoir poursuivre ses expérimentations grotesques interrompues après la guerre. La sulfureuse Tilda Thamar, vedette argentine de séries très B françaises dans les années 50, sort de sa retraite après 15 ans d’absence. René Chateau, éternel amateur de polars à l’ancienne et de film du patrimoine, a d’ailleurs, par la suite, édité de nombreux films avec cette actrice tristement oubliée. Thamar trouvait là elle aussi son dernier rôle au cinéma, juste avant un accident de la route mortel en 1989.
Jaquette Recto des Pépées au Service Secret © Les Films Marceau © Collection René Chateau © 2019 René Chateau Vidéo
Jess Franco, seul contre tous?
Si l’interprétation peu concernée de bien des acteurs peut paraître juste, voire médiocre, la réalisation de Jess Franco, en revanche, est plutôt soignée et le rythme d’ensemble ne faiblit que rarement si bien que l’on ne s’ennuie jamais durant la projection de ce projet au budget cossu pour son mauvais genre.
De la part de Jess Franco dont les films étaient particulièrement lents, vides de sens et tournés sans conviction, en se contentant de la première prise, on est agréablement surpris, puisque Les prédateurs de la nuit n’est certes pas un bon film, mais il n’appartient pas non plus à la liste des nanars. Il est même parmi les plus accessibles de son cinéaste.
Un film de René Chateau ou de Jess Franco?
Docile, le pape du bis espagnol subira pourtant beaucoup d’affronts sur le tournage, beaucoup considérant qu’il n’était pas capable de gérer un budget aussi élevé. Même René Chateau semble avoir eu de nombreux désaccords avec le cinéaste célèbre pour son sens de l’économie et une certaine capacité d’adaptation. Dans un ouvrage sur sa carrière, Brigitte Lahaie reconnaîtra que la présence insistante du producteur sur le tournage lui ôtait beaucoup de liberté.
Surveillant les dépenses de près, René Chateau devait sur bien des points jouer la carte de l’économie. Cela va considérablement réduire le potentiel de l’œuvre qui ne s’en relèvera pas. Ainsi Les prédateurs de la nuit est pris en plein flagrant délit de défauts inhérents à ce type de films de genre français, notamment une écriture paresseuse, un montage incapable de réparer les défauts du script et une musique à côté de la plaque, mal pensée, mal gérée.
Jaquette du Blu-ray américain des Prédateurs de la nuit, chez Severin. Design d’après © Vanni Tealdi. Tous droits réservés / All rights reserved
Une bande originale à la ramasse
Puisqu’il faut des noms sur une affiche qui n’en manque décidemment pas, le choix du compositeur importe. Romano Musumarra, maître de la mélodie tubesque (Stéphanie et son Ouragan, Elsa et son T’en va pas, et surtout Jeanne Mas, avec Toute première fois), a très certainement coûté cher à la production au détriment d’aspects plus essentiels, et il alterne le meilleur et le pire dans le domaine de la bande originale où il était très souvent employé. Dans Faceless, il fait montre de cet orgueil consistant à vouloir extirper un tube de n’importe quoi. Devait-il envisager cette série B horrifique comme une porte d’entrée pour le top 50? Il aurait dû s’abstenir ; la crédibilité du divertissement était en jeu.
Si on admettra que les ambiances musicales sont intéressantes et donnent un cachet indéniable à la bande originale, ce sont bien les chansons qui abîment le film. Ainsi l’omniprésence du morceau Faceless, piteusement interprété par Vincent Thomas, fidèle collaborateur de Musumarra, tend à l’overdose. Du générique du début aux crédits de fin, la ballade est réutilisée une dizaine de fois, à des moments très inopportuns, comme si l’on souhaitait moins vendre un bon film qu’un hit pour les radios. L’utilisation de cette chanson au romantisme mielleux est surtout une faute de goût majeure qui casse l’ambiance et sort systématiquement le spectateur de l’atmosphère du film. Pour la petite histoire, Musumarra en fera néanmoins un petit succès en adaptant ce titre pour la comédie musicale Cindy (Cendrillon 2002). Le morceau, désormais intitulé Un monde à part , et chanté en binôme par Lââm et Frank Sherbourne, y trouvera davantage de légitimité.
Dans la bande originale, on retrouve également deux morceaux que Romano Musumarra a composés pour la débutante Carol Welsman, qui deviendra une vedette dans le domaine du jazz. Just Imagination, plutôt sympathique, surtout en maxi 45 tours, n’a pas sa place dans le film, quant à Mais que Bonita, Musumarra remixera le titre deux ans plus tard et l’offrira à la jeunette Dana Dawson qui sortait du succès de Ready to Follow You. Devenu Tell Me Bonita, le single deviendra un authentique carton au top 50, l’un des plus gros de la jeune artiste, partie trop tôt, avec Romantic World. Et oui, dans le cinéma bis, tout se recycle. Ce n’est pas ce grand bidouilleur de Jess Franco qui aurait pu dire le contraire.
Ecoutez la bande-originale des Prédateurs de la nuit
Les prédateurs de la nuit, une histoire sans fin?
Si Les prédateurs de la nuit se regarde très facilement et sans animosité, on ne peut que regretter la fin ridiculement abrupte qui laisse un sentiment d’inachèvement particulièrement frustrant. Plate, sans paroxysme, elle vend maladroitement une suite qui ne viendra jamais. Là encore, c’est une illustration de la faiblesse d’un cinéma un peu fauché qui n’avait guère les moyens de prolonger la trame une fois le dénouement révélé. Les Italiens dans le bis ou les Français dans leurs comédies franchouillardes étaient passés maîtres dans cet art. Chateau scénariste et les nombreux collaborateurs au scénario qui l’ont accompagné dans cette adaptation, en sont responsables. Le scénario lacunaire et le sentiment d’inachevé qu’impose une fin insatisfaisante est devenu un problème dont le producteur s’est rendu compte à la fin du tournage et lors d’un montage chaotique qui, selon les versions, revient intégralement à Christine Pansu (assistante au montage sur Diva et La boum 2) ou partiellement à René Chateau. Franco aurait été écarté de cette tâche selon certains écrits, ou au contraire aurait été rappelé d’urgence pour parachever un montage qui virait à la catastrophe et qu’il aurait rattrapé selon d’autres sources sérieuses.
Oubliez les coupables, savourez le plaisir
Mais au final, peu importe le ou les coupables, puisqu’ici c’est l’ensemble du métrage, très perfectible, qui mélange les fautes de goût et les erreurs grossières, la première ayant été probablement de vouloir refaire Les yeux sans visage, classique absolu qui s’auto suffisait (on notera que les deux films sont édités en France sur support physique HD par Le Chat qui fume).
Doit-on pour autant déconseiller l’œuvre? Sûrement pas. Pour les amateurs de bis que nous sommes, il n’y a aucun mal à puiser dans cette rare expérience de cinéma de genre français un plaisir coupable. Parfois, et c’est le cas pour nous, on trouve toujours plus de plaisir à revoir des œuvres imparfaites qu’à ressasser toujours les mêmes chefs d’œuvre. Aussi, nous pouvons vous confesser avoir vu beaucoup plus de fois Faceless que Les yeux sans visage. Et pour des curieux qui souhaiteraient découvrir un film accessible et “commercial” du pape espagnol du cinéma Z, force est d’admettre que sur près de deux cents films, Les prédateurs de la nuit demeure l’un de ses plus aimables.
Sorties de la semaine du 22 juin 1988
Box-office :
Si Brigitte Lahaie intégra le jury du Festival du Film Fantastique de Paris, en juin 1987, on aurait pu espérer que Les prédateurs de la nuit figurerait dans la cuvée de 1988, puisque le thriller est sorti le 22 juin quand les festivités de la 17e édition battaient son plein.
Pas de Festival du Film Fantastique de Paris, mais la Fête du cinéma dans le viseur
Mis en place un 22 juin par le distributeur de nanars ATC3000, il s’agissait de garantir au film une bonne première semaine possible, sans trop l’exposer au préalable auprès des professionnels, et de capitaliser sur la Fête du Cinéma qui se tenait sur un jour lors de sa deuxième semaine.
Il ne faudra pas compter sur la presse généraliste pour être favorable au film qui devra se défendre grâce à son casting, une bande-annonce et une affiche élégante faisant la part belle au casting photographié dans la partie supérieure et une illustration du très grand Vanni Tealdi dans la partie inférieure qui sera reprise sur bien des visuels promos plus tard.
L’exposition parisienne des Prédateurs de la nuit
Les résultats des Prédateurs de la nuit seront inférieurs aux espérances de René Chateau qui devra mettre un terme à ses ambitions de producteur pour le grand écran, mais cela ne sera pas forcément de la faute au film en lui-même. L’affluence en 1988 était en berne et la crise particulièrement sévère envers les cinémas qui diffusaient ce type de programmes désormais relégués à la VHS ou la télévision. Les écrans fermaient et le cinéma bis disparaissait.
Le 22 juin 1987, René Chateau doit affronter plus d’une dizaine de nouveautés et de reprises d’envergure. Son gros challenger est Police Academy N° 5, oui, déjà le cinquième. Warner trouve 34 salles parisiennes pour son increvable franchise potache, soit une de moins que la reprise des Aristochats de Disney que personne ne pourra taxer de concurrent au Jess Franco. Avec 24 cinémas, Les prédateurs de la nuit est très bien paré. C’est mieux que La sorcière avec Béatrice Dalle, film cannois post 37°2 le matin, qui est considéré comme un mauvais Marco Bellocchio. C’est un nombre de salles aussi plus élevé que la comédie avec Dany DeVito Balance maman hors du train, à l’humour trop américain pour attirer, ou les 17 salles de Maniac Cop de William Lustig qui, grâce à Mad Movies ou Starfix, deviendra le concurrent numéro 1 de Faceless. Un tour du destin ironique pour René Chateau qui avait distribué le chef d’œuvre de Lustig, Maniac.
Maniac Cop © 1988 Shapiro Glickenhaus Entertainment. Tous droits réservés.
Démarrage poussif sur Paris – Périphérie
Pour son premier jour parisien, les chiffres des Prédateurs de la nuit ne sont pas bons, avec 2 819 spectateurs, devancé par Police Academy 5 (8 230), Les aristochats (6 097) et surtout par la série B américaine Maniac Cop qui fait 200 entrées de plus avec 7 écrans de moins.
En première semaine, le remake des Yeux sans visage ouvre en 8e position, battu par Police Academy 5 (62 254), Les Aristochats (46 318), La sorcière (34 244 entrées, 4e) et de peu par Maniac Cop (24 019). Les prédateurs se situe juste après à 23 327 entrées.
L’exécutrice déjà battu
Cela aurait pu être pire, mais une météo très médiocre et la fin de la plupart des cours ont permis une embellie de la fréquentation par rapport à la semaine passée. L’interdiction aux moins de 13 ans qu’il a fallu acquérir grâce à un montage largement retravaillé, aura permis d’éviter un désastre au démarrage. Pour mémoire, L’exécutrice de Michel Caputo avec Brigitte Lahaie n’avait même pas atteint les 20 000 entrées sur Paris-Périphérie en fin de carrière.
© Tiphany Productions, Fil à Film, Zoom 24
Fête du Cinéma : Les prédateurs de la nuit contre Maniac Cop, lui-même en lutte contre Flic ou Zombie
En deuxième semaine, Les prédateurs de la nuit est dans l’illusion de la stagnation en 9e position, avec 26 299 spectateurs contre 25 904 pour Maniac Cop. C’est évidemment la Fête du Cinéma qui permet aux nouveautés et aux continuations de célébrer de beaux chiffres. L’horreur est d’ailleurs représentée Flic ou zombie (4e, 48 690) qui entame l’attraction de Maniac Cop et, en 8e place, The Gate, connu aussi sous le titre de La fissure, trouve 29 752 gnomes dans 17 cinémas.
Après la Fête, le désenchantement
La semaine qui suit sera un dur retour à la réalité face au désamour du public avec la série B horrifique en salle. Flic ou zombie chute à 10 448 entrées, The Gate à 6 374, Maniac Cop à 3 870 entrées dans 8 cinémas, et Les prédateurs de la nuit se couche à 3 643 entrées en 3e semaine, pour un total de 53 269 spectateurs. Il est encore au coude à coude avec Maniac Cop (53 793), mais les deux longs n’ont pas les mêmes cibles en tête de par le casting. On notera qu’Amsterdamned en 5e semaine, par Dick Maas (L’ascenseur), trouvait 3 636 spectateurs. Un comble. Quant à la nouveauté horrifique Panics (20th Century Fox) trouvait seulement 10 172 spectateurs sur 18 sites.
Illustrateur : Michel Landi © 1986 The Gate Film Productions Inc © 2017 Lions Gate Entertainment. All Rights Reserved.
En 4e semaine, Les prédateurs de la nuit trouve 3 009 spectateurs dans 3 cinémas importants (le Pathé Marignan, le Pathé Montparnasse, et le Paramount Opéra). Maniac Cop creuse l’écart avec 3 138 spectateurs dans 3 salles. The Gate en est réduit à 3 864, Flic ou zombie à 3 900, et enfin Panics à 4 342.
Aucune production d’épouvante ne ressort gagnante. Le gros perdant est une nouveauté italienne, L’attaque des morts vivants (Killing Birds), certes un nanar, qui trouve 6 298 spectateurs dans 16 cinémas. La production Joe d’Amato perdra 14 écrans la semaine suivante.
A quel sein se vouer?
Et justement, cette semaine-là correspond à la 5e semaine des Prédateurs de la nuit qui rentre au bercail, celui de René Chateau et son légendaire temple des Grands Boulevards, le Hollywood Boulevard. Il y grappille 1 187 passants. Il faut dire qu’entre Vices et caprices de Tinto Brass et le Plaisirs pervers (aussi connu sous le titre Le miel du diable) de Lucio Fulci, tous deux en première semaine, et Emmanuelle 6 en 3e semaine les spectateurs mâles, face à une affiche avec Brigitte Lahaie, ne savent plus trop à quel sein se vouer. Les 1 187 spectateurs des Prédateurs de la nuit retrouvent son ancien concurrent, Flic ou zombie, dans une salle voisine du Hollywood Boulevard (1 057). On notera que la grosse sortie horrifique de la semaine était Vendredi 13 N°7, un énième désastre pour le cinéma de genre, avec 9 681 spectateurs.
© 1986 Selvaggia Film – Producciones Cinematográficas Balcazar. Tous droits réservés.
L’été 1988 : la mort du cinéma d’horreur en salle
Les prédateurs de la nuit restera jusqu’à sa 8e semaine au Hollywood Boulevard, cinéma déclinant, avant de voir sa copie délocalisée au Trianon, où le film figure en double programme pour 6 101 spectateurs. Pensée émue pour le 6 101e spectateur, auteur de ces lignes alors âgé de 14 ans, qui a dû quitter les lieux sans voir le film d’horreur qui lui était promis, en raison de messieurs à caractère pédophile qui erraient tels des Prédateurs du plein jour, sur la terrasse de l’ancien temple du cinéma bis.
Les prédateurs de la nuit sera retiré de l’affiche au terme de sa 8e semaine et de 66 214 spectateurs. Le province ne sera pas plus clémente envers lui. Face au manque de salles pour le maintenir et de l’abondance de films d’horreur qui se faisaient concurrence, le film périme à 134 000 curieux. Durant l’été 1989, cela sera la fin définitive pour le cinéma horrifique de série B qui sera redirigé vers la VHS sans passer par la case cinéma. Par conséquent, à bien des égards, Les prédateurs de la nuit sonne aujourd’hui comme un requiem historique, vestige d’un monde ancien, sûrement scabreux, qui s’écroulait.
Illustration : © Vanni Tealdi. © 1988 – Productions René Chateau. Tous droits réservés / All rights reserved