Thriller érotique et pervers, Le miel du diable constitue une bonne surprise pour les amateurs de Lucio Fulci dont on retrouve le goût pour les ambiances sombres. A redécouvrir malgré ses évidents défauts.
Synopsis : Une jeune femme séquestre et torture un docteur qu’elle tient pour responsable de la mort de son petit ami.
Le miel du diable, remake d’un film écrit par… Lucio Fulci
Critique : Durant l’année 1985, le cinéaste Lucio Fulci doit lutter contre la maladie qui le gagne peu à peu. Ses problèmes de santé l’éloignent pour la première fois de sa longue et riche carrière des plateaux de cinéma. Pourtant, il signe tout de même le scénario du film L’enchaîné (1985) que réalise finalement Giuseppe Patroni Griffi avec Laura Antonelli. Cette histoire d’une femme qui séquestre chez elle un homme et l’humilie s’éloigne de son genre de prédilection puisqu’il s’agit d’un thriller érotique pervers. Pourtant, alors qu’il est en convalescence, Fulci est appelé par le producteur Vincenzo Salviani pour réaliser Le miel du diable, devenu Plaisirs pervers lors de sa distribution française d’époque. Dès lors, Fulci et Salviani modifient fortement le script initial de Ludovica Marineo pour en faire une sorte de seconde version de L’enchaîné qui s’est bien vendu à l’international.
© 1986 Selvaggia Film – Producciones Cinematográficas Balcazar / © 2020 Artus Films. Tous droits réservés.
Et de fait, le long-métrage a beau se présenter comme un classique film érotique, il s’éloigne très franchement des canons du genre pour embrasser des thématiques bien plus sombres que d’ordinaire, comme si Fulci avait voulu y laisser son empreinte indélébile. En fait, même lorsqu’il doit s’acquitter de quelques scènes de sexe, le réalisateur ne peut s’empêcher de dynamiter les conventions en ajoutant un élément incongru qui rend la séquence éprouvante pour les nerfs. On peut notamment citer l’hallucinante scène de sexe entre la jeune fille et son amant saxophoniste pendant que le chien de la donzelle cherche à pénétrer dans le domicile. Par le jeu d’un découpage alterné, le réalisateur transforme une scène sensuelle en une séquence quasiment horrifique, ou du moins stressante, par l’ajout des aboiements du cabot.
Comment dynamiter une intrigue sentimentale en ajoutant une bonne dose de perversité
En réalité, Fulci dynamite ici une histoire qui aurait pu être mélodramatique en y ajoutant une bonne dose de perversité. Ainsi, le jeune couple idéal formé par Blanca Marsillach et Stefano Madia apparaît peu à peu, par le biais de nombreux flashback, dans sa dimension sadomasochiste. Loin d’être un jeune amant romantique, Johnny (Stefano Madia, donc) est en réalité un sadique qui aime humilier sa jeune partenaire. Elle-même n’a rien d’une oie blanche et consent finalement à se livrer aux pires turpitudes par amour, mais aussi par goût.
Parallèlement, la description du vieux couple au bout du rouleau formé par le vétéran Brett Halsey et Corinne Cléry est davantage marquée par le cliché. Monsieur tente de soigner son impuissance auprès de prostituées, tandis que sa femme se désespère d’être enfin désirée et comblée. Désireuse de venger la mort de son jeune amant lors d’une opération chirurgicale effectuée par Brett Halsey, Blanca Marsillach séquestre le bourgeois impuissant afin de lui faire subir tous les outrages. Cette seconde partie du film déploie tout un arsenal d’humiliations qui ont le mérite de rapprocher les deux personnages, au point de supposer une possible issue positive après un final en points de suspension.
© 1986 Selvaggia Film – Producciones Cinematográficas Balcazar / Visuel : AM2. Tous droits réservés.
Du cinéma bis aussi bancal que séduisant
Marquée par une noirceur manifeste et une volonté de s’écarter des canons traditionnels du film érotique, Le miel du diable est donc une œuvre qui s’inscrit pleinement dans la filmographie torturée du cinéaste. L’ensemble n’est pourtant pas exempt de défauts, notamment au niveau de sa musique très kitsch signée Claudio Natili, de l’interprétation fragile de Blanca Marsillach et de quelques séquences bis outrancières (la scène de sexe avec le saxophone par exemple).
Par contre, le long-métrage bénéficie d’un montage correct, d’une belle prestation de Brett Halsey et Corinne Cléry, ainsi que d’une ambiance générale séduisante pour peu que l’on aime le cinéma bis italien des années 80. Lucio Fulci filme également avec talent les extérieurs vénitiens. Il est un peu moins inspiré sur les intérieurs (tournés à Barcelone) dont les décors trahissent un sérieux manque de moyens. Effectivement, le long-métrage souffre de nombreux stigmates liés aux conditions de tournage de plus en plus compliquées en cette période de déclin du cinéma transalpin.
Un médiabook attendu au mois de mars 2021
Toutefois, loin de démériter, Le miel du diable constitue plutôt une bonne surprise au sein d’une filmographie en déclin. On retrouve ici des thématiques typiques du cinéaste ainsi que des fulgurances qui permettent de faire abstraction de certains choix esthétiques douteux. Nous sommes particulièrement heureux d’apprendre que l’éditeur Artus prévoit de sortir ce titre dans sa magnifique collection Lucio Fulci d’ici le mois de mars 2021. Une excellente initiative dont nous reparlerons forcément le moment venu.
Critique de Virgile Dumez