Thriller à l’ambiance retorse, Péril en la demeure est une œuvre déstabilisante marquée par une écriture étrange et des acteurs au diapason. L’un des grands succès de Michel Deville, primé aux César en 1986.
Synopsis : David Aurphet, un professeur de guitare vaguement paumé se voit sollicité pour donner des cours à Viviane Tombsthay la fille d’un couple très aisé. L’épouse, Julia, poursuit David de ses assiduités. Il succombe facilement. Le couple semble vivre un adultère banal lorsque David reçoit par la poste une cassette vidéo où sont enregistrés ses ébats intimes avec Julia.
Le retour de Michel Deville au thriller trouble
Critique : En 1981, le romancier René Belletto rencontre un gros succès de librairie avec Le revenant qui obtient plusieurs prix. Toutefois, c’est véritablement avec Sur la terre comme au ciel paru en 1982 qu’il perce dans le domaine du polar avec notamment le grand prix de littérature policière en 1983. Cette histoire tortueuse a immédiatement séduit le cinéaste Michel Deville qui avait déjà rencontré un joli succès avec Eaux profondes (1981) d’après un roman de Patricia Highsmith. Il a notamment attiré 613 251 amateurs de polars ténébreux et sulfureux. Mais surtout, Michel Deville doit effacer rapidement l’échec de La petite bande (1983), film pour enfants qui n’a pas enthousiasmé les foules avec seulement 241 408 gamins dans les salles.
Avec Péril en la demeure (1985), Michel Deville retrouve donc une ambiance perverse qui correspond mieux à son style développé au cours des années 70. Il s’appuie ainsi sur une intrigue de thriller qui charpente la narration, tout en laissant de côté les passages obligés du genre. Si Péril en la demeure pourrait a priori s’apparenter à un film de Claude Chabrol, le style particulier de Michel Deville en fait tout autre chose. Le cinéaste s’amuse notamment à bousculer le montage pour créer des raccords étonnants à travers les dialogues. Ainsi, une phrase entamée dans une scène se termine dans une autre, précipitant l’action et créant un sentiment d’insécurité chez le spectateur, brusqué par ces ellipses étranges.
Péril en la demeure, une affaire de style
Vendu comme un thriller érotique par son affiche audacieuse montrant deux corps nus enlacés, Péril en la demeure débute effectivement comme un drame bourgeois classique avec un jeune professeur de guitare sans le sou – très juste Christophe Malavoy, alors en pleine ascension – qui se laisse alpaguer par une bourgeoise frustrée – élégante Nicole Garcia – et surtout mariée à un homme bien plus vieux qu’elle – Michel Piccoli, plutôt effacé. Jusque-là, rien de bien original si ce n’est un style particulier lié à des dialogues très écrits qui peuvent éconduire certains spectateurs habitués à plus de naturel. Pourtant, ces afféteries stylistiques servent parfaitement une œuvre qui ne cherche aucunement le réalisme, mais crée au contraire un univers parallèle.
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Les décors pour le moins bizarres, l’insistance du cinéaste à filmer des objets incongrus et l’incessant ballet des regards indiquent que Michel Deville souhaitait bien faire de Péril en la demeure une œuvre qui dénoncerait en permanence son aspect artificiel. En réalité, ce style distancié vient confirmer l’impression générale d’un film où tout est faux-semblant. Et de fait, le spectateur se retrouve dans la même position que le personnage naïf interprété par Christophe Malavoy en découvrant au fur et à mesure les tenants et aboutissants d’une intrigue tortueuse faite de mensonges, de manipulation et de complots.
Des acteurs qui se donnent corps et âme
Histoire d’ajouter une pointe supplémentaire de mystère, Michel Deville a fait appel à Anémone et Richard Bohringer (qui ne se croisent pas sur ce film, mais seront réunis par Jean-Loup Hubert sur Le grand chemin, deux ans plus tard) pour jouer des rôles mystérieux. Les deux acteurs se révèlent parfaits pour brouiller les pistes et rendre l’atmosphère générale encore plus déroutante.
Tandis que la première demi-heure est effectivement marquée par un érotisme très chorégraphié où Nicole Garcia reste souvent dans l’ombre, tandis que Christophe Malavoy donne davantage de sa personne, il faudra attendre la dernière ligne droite pour que l’intrigue débouche réellement sur un thriller retors. Entre les deux, le cinéaste parvient à meubler grâce à son style inimitable, mais aussi par l’humour se dégageant régulièrement des situations et des dialogues. Il déploie aussi une réalisation très mobile qui démontre sa parfaite maîtrise de l’espace. Enfin, il soigne son ambiance par l’ajout d’une musique classique enveloppante.
Péril en la demeure, un succès immédiat
Sorti en grande pompe par la firme Gaumont la même semaine que sa présentation au Festival de Berlin en sélection officielle, Péril en la demeure profite d’une affiche choc qui éveille l’intérêt des spectateurs. Si Michel Deville repart bredouille de Berlin, il peut profiter d’un très bel accueil de la part du public français. A Paris, le film se classe à la troisième place du box-office hebdomadaire et seconde meilleure entrée derrière La déchirure (Roland Joffé) avec 135 720 voyeurs. Sa deuxième semaine démontre une vraie satisfaction du public puisque le long-métrage demeure stable avec 123 003 retardataires en plus. La baisse intervient surtout en semaine 3 lorsque L’amour braque de Zulawski vient capter un public identique et que le film de Deville passe sous la barre des 100 000 spectateurs par semaine.
Une belle carrière sur la durée
La semaine du 6 mars est particulière car la récompense suprême des Ripoux aux César permet au long-métrage de doubler toute la concurrence en 25ème semaine. Péril en la demeure rétrograde en quatrième position avec 51 724 Franciliens, approchant tout de même les 400 000 spectateurs. Ensuite, le thriller hot se situe pendant plusieurs semaines autour de 20 000 entrées, terminant sa carrière avec 535 231 tickets vendus dans la capitale.
Dans la France entière, Péril en la demeure s’impose en deuxième place du box-office dès sa semaine d’investiture avec 291 267 amants. La deuxième semaine est encore meilleure et le film franchit déjà la barre des 600 000 entrées. Le phénomène est toujours actif en semaine trois et quatre, si bien que Péril en la demeure a séduit plus d’un million de spectateurs en un mois. Fin mars 1985, le thriller érotique est déjà situé à 1,2 million d’entrées.
La relance du film en mars 1986 après la cérémonie des César
Après plusieurs mois passés à l’affiche, le long-métrage disparaît des écrans, mais effectue son retour à l’occasion de la cérémonie des César qui a lieu au début de 1986. Non content de glaner le César du meilleur réalisateur et du meilleur montage, le thriller est à nouveau exploité en salles et franchit cette fois les 1,5 millions de spectateurs. Cette nouvelle exploitation dure pendant tout le mois de mars 1986 et octroie à Péril en la demeure 1 648 467 entrées, soit un très beau succès pour un cinéaste redevenu tendance. Cela lui a notamment permis de mobiliser un impressionnant casting pour son film suivant intitulé Le Paltoquet (1986) avec Michel Piccoli, Fanny Ardant, Daniel Auteuil, Richard Bohringer, Philippe Léotard, Jeanne Moreau, Claude Piéplu et Jean Yanne.
Critique de Virgile Dumez
Box-office de Péril en la demeure
Péril en la demeure sort à un moment critique pour la Gaumont, en février 1985. Pour la première fois, la société vient de perdre beaucoup d’argent, plus de 300 millions de francs en 1984. Ses investissements italiens ont été calamiteux et contraignent la major française de se désengager de l’exploitation locale au profit, notamment, de la Cannon. De surcroît, les échecs au box-office français ont été considérables en 1983-84 et ce, malgré les succès d’A nos amours de Pialat, Le Marginal avec Belmondo, et Marche à l’ombre avec le duo Michel Blanc – Gérard Lanvin.
Gaumont dans une tourmente historique
Entre la fin du mois de janvier 1985 et le 28 février, la société à la Marguerite, tenue par le PDG Nicolas Seydoux, a perdu trois têtes, dont celle de Christian Fechner, producteur star des années 70-80, qui démissionne deux mois après la création de Gaumont Studio dont il avait les rênes ; il était la caution populaire pour ce symbole quasi centenaire de notre patrimoine hexagonal.
L’éviction de Daniel Toscan du Plantier par le Conseil d’administration de la société et par son ami Nicolas Seydoux, à la toute dernière minute, est la plus cruelle. Il orientait les choix artistiques depuis 1976, se faisant la caution culture et prestige de l’empire Gaumont, celui qui a invité les plus grands auteurs à officier au sein de la structure française : Joseph Losey, André Téchiné, Pialat, Bolognini, Scola, Antonioni, Fassbinder, Wajda, Bergman, Schlöndorf, Beineix, Rosi, Fellini… Démis de ses fonctions malgré ce palmarès magnifique, il est aussi celui qui permit à Michel Deville de se sentir à l’aise au sein de l’entreprise pour monter des projets personnels.
Michel Deville et Gaumont sur le même bateau
Miche Deville sort de deux expériences contraires toutes deux coproduites et distribuées par Gaumont, Eaux profondes (1981), budget moyen, succès convenable(613 000) et La Petite bande (1983), film invendable qui endettera (un peu) à nouveau Deville, avec seulement 241 000 spectateurs, mais rien de comparable avec les années 60.
Michel Deville est un artisan de la liberté, un auteur total. Il coproduit tous ses films, via sa société Elefilm qu’il tient avec son épouse pour éviter qu’on lui dicte le moindre projet ou qu’on lui impose le casting.
La sortie de Péril en la demeure est donc importante pour le cinéaste et Gaumont qui ont beaucoup à perdre en cas d’échec. Le suspense ne sera toutefois pas long quant au sort de cette nouvelle alliance. La presse s’emballe immédiatement, y compris celle plus portée sur le cinéma américain comme Starfix, qui y voit le meilleur film d’une carrière en dents de scie, se ralliant, une fois n’est pas coutume, aux institutions comme Télérama.
Un marketing dans l’air du temps, éminemment érotique
Vendu par une affiche splendide signée Baltimore, à la tension sexuelle explicite, très à la mode en ces années 84-85 (La femme publique, L’année des méduses, Ave Maria, Rendez-vous, On ne meurt que 2 fois, L’amant magnifique…), Péril en la demeure réussit tous ses paris commerciaux, en premier lieu, celui d’imposer la marrante Anémone dans un rôle anxiogène, puis de faire de Christophe Malavoy, dont le personnage est au centre de tous les désirs dans ce huis clos psychologique, un acteur bankable, après la semi déception de Souvenirs souvenirs en 1984. Il retrouvait par ailleurs Michel Deville qui lui avait déjà offert deux petits rôles auparavant. Il parvient également à imposer Nicole Garcia, connue pour ses interprétations froides, prudes, ou disons XVIe arrondissement parisien, dans des scènes dénudées sur fond d’une ambiance infiniment perverse qui n’étaient en rien naturelles pour la grande comédienne et les spectateurs.
Péril en la demeure, l’un des succès de l’année 1985
Gaumont, qui a aussi sorti avec un succès relatif Cotton Club de Coppola en janvier 1985, a fait un bon choix en misant sur Péril en la demeure. Avec 1 648 000 entrées, la production française devient le plus gros succès du cinéaste depuis Le mouton enragé en 1974. Si Deville reste très loin de sa comédie libertine Benjamin les mémoires d’un puceau (Pierre Clémenti, Deneuve, Michèle Morgan, Piccoli, 1968), il fait partie des champions du box-office français de l’année 1985, placée sous le signe de la crise. Il dépasse les scores catastrophiques du Mariage du siècle de Philippe Galland, avec Anémone et Thierry Lhermitte (1 493 000), distribué par Gaumont, et des Rois du Gag de Zidi, avec Coluche et Lhermitte (1 510 000), Moi vouloir toi, caprice romantique produit par Gaumont pour combler sa star amoureuse, Gérard Lanvin (1 410 000), Les loups entre eux de José Giovanni (1M), Train d’enfer de Roger Hanin (1M), On ne meurt que deux fois (Serrault, Rampling), Partir revenir de Lelouch, Ca n’arrive qu’à moi (Francis Perrin), Harem (Nastassja Kinski), Spécial Police et Urgence (tous deux avec Richard Berry), Rendez-vous de Téchiné (766 000), Poulet au vinaigre (Chabrol), l’accident industriel Liberté, égalité, choucroute (Jean Yanne), et Bras de Fer, une production Gaumont – Christian Fechner avec le duo à la mode Bernard Giraudeau et Christophe Malavoy qui ne réitèreront pas les beaux chiffres engendrés au premier trimestre.
Pas de première place pour Péril en la demeure
A cause de Dune de David Lynch et de La déchirure de Roland Joffé qui démarre cette semaine-là dans 33 salles, Péril en la demeure ne sera jamais numéro 1 du box-office, et ce, même à Paris où, à l’issue de 19 semaines, il affole les compteurs (502 000 spectateurs). Toutefois, sa première semaine parisienne est superbe, puisque ce sont 135 000 Parisiens qui se précipitent dans son obscure demeure, soit un parc de 18 salles en intra-muros et de 10 sites supplémentaires en banlieue. Au Montparnasse Pathé, le succès est incontestable, avec 12 367 spectateurs ; ce site est suivi par le Marignan Pathé (11 163) et l’UGC Danton (10 279). C’est au Calypso que les chiffres sont les moins costauds, avec 1 884 entrées. La Harpe suit avec seulement 2 770 curieux.
Les autres nouveautés du jour, à l’exception de La déchirure, sont loin derrière : Purple Rain, avec Prince (27 salles), Star Trek III (29 salles), Out of Order – en dérangement (19 salles), et La vie de famille de Doillon (8 salles) étaient donc les autres nouveautés d’un mercredi dominé par le pouvoir des images effroyable de La déchirure et le drame psychologique très écrit de Péril en la demeure.
Gaumont remonte la pente
En 2e semaine, à Paris-périphérie, Péril en la demeure est stable avec 123 003 entrées, grâce à l’apport de 17 écrans. En 3e semaine, avec la plus grosse combinaison (47 écrans) sur la Francilie, le thriller psychologique assure encore 86 000 entrées. La 5e semaine correspond à la sortie monumentale de la production Gaumont – Fechner, Les spécialistes qui réussit un démarrage à la Belmondo, avec 408 125 entrées. Phénoménal. Désormais, Michel Deville trouve 32 000 locataires dans 26 salles. En 10e semaine, Christophe Malavoy sollicite le désir de 5 573 spectateurs . Les préliminaires sont finies, mais la passion demeure.
A l’issue de cette brillante carrière, Péril en la demeure revivra en 1986, avec 6 nominations aux César. Effectivement, malgré le risque d’un oubli progressif né d’une sortie posée un an auparavant, les jeux troubles et manigances du film sont restés dans toutes les têtes à l’Académie des César et parmi les spectateurs.
Box-office de Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 13 février 1985
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Péril en la demeure de Michel Deville, nommé au César de la Meilleure affiche en 1986 – Copyright : Baltimore. Tous droits réservés.
Biographies +
Michel Deville, Anémone, Richard Bohringer, Michel Piccoli, Nicole Garcia, Christophe Malavoy, Hélène Roussel
Mots clés
Thrillers français, Films sur l’adultère, Les tueurs à gages au cinéma, La manipulation au cinéma