L’année des méduses : la critique du film (1984)

Drame | 1h50min
Note de la rédaction :
7/10
7
L'année des méduses, critique film

  • Réalisateur : Christopher Frank
  • Acteurs : Bernard Giraudeau, Jacques Perrin, Philippe Lemaire, Valérie Kaprisky, Caroline Cellier, Béatrice Agenin, Pierre Vaneck, Charlotte Kady
  • Date de sortie: 14 Nov 1984
  • Nationalité : Français
  • Année de production : 1984
  • Titre original : L'année des méduses
  • Titre alternatif : Year of the Jellyfish (Titre international), La Medusa (Italie), Teuflische Umarmung (Allemagne), Una gata ardiente (Espagne), Canto de sirenas (Argentine), Rok meduzy (Pologne), O Ano das Medusas...
  • Scénariste(s) : Christopher Frank, d'après son roman
  • Directeur de la photographie : Renato Berta
  • Compositeur / Soundtrack : Alain Wisniak / Nina Hagen (4 titres)
  • Société(s) de production : France 3 Cinéma, Parafrance Films, T. Films - Producteur : Alain Terzian
  • Distributeur : Parafrance
  • Éditeur(s) vidéo : René Chateau Vidéo (VHS) / Editions Traversière (DVD)
  • Date de sortie vidéo : 10 avril 2008 (DVD)
  • Box-office France / Paris-périphérie : 1 554 641 entrées / 370 044 entrées
  • Budget : -
  • Rentabilité : -
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.66 : 1 / Couleurs - 35mm / Son : Mono
  • Festivals et récompenses : César 1985 : Caroline Cellier décroche le César de la meilleure actrice dans un second rôle.
  • Illustrateur / Création graphique : Philippe by Spadem
  • Crédits : © 1984 T. Films - FR3
Note des spectateurs :

Sensuel et provocant, L’année des méduses ausculte la psyché féminine avec pertinence et demeure aujourd’hui un document sociologique de premier ordre pour comprendre le début des années 80. Intéressant.

Synopsis : Chris, une adolescente de 18 ans, joue de son corps sur la côte de Saint-Tropez. Elle vit mal la rupture avec Romain, un ami de ses parents, et souhaite le reconquérir. N’y arrivant pas, elle va s’aventurer vers des jeux dangereux de séductions…

Christopher Frank filme une fois de plus les femmes

Critique : En 1984, le romancier et scénariste Christopher Frank est doublement d’actualité puisqu’il propose la même année ses deuxième et troisième films de réalisateur. Après Josépha (1982) tiré d’un de ses romans, il tourne donc consécutivement Femmes de personne (1984), un beau succès qui s’approche du million d’entrées, et surtout L’année des méduses (1984) qui va rencontrer un plus grand écho auprès du public. Ce dernier est encore une fois adapté d’un de ses romans et propose d’ausculter une fois de plus la psyché féminine, comme dans ses deux précédents longs.

Ici, Christopher Frank profite de la vogue du « film de plage » qui déferle depuis la fin des années 70 pour en détourner les codes et amener progressivement la simple comédie de mœurs vers le film noir, gardant en tête la référence du genre, Plein Soleil. Effectivement, nombreuses sont les comédies vaguement libertines qui prennent pour cadre le littoral méditerranéen et les stations balnéaires surchargées à une époque où le phénomène de masse s’est très largement démocratisé. Christopher Frank s’emploie à tromper le spectateur en commençant son film de manière assez inoffensive, sous le soleil d’un marivaudage un rien badin. Nous suivons ainsi les aventures sentimentales d’une adolescente de 18 ans, au cours des vacances passées au bord de la mer.

 

Une vision complexe de la femme

Toutefois, assez rapidement, Christopher Frank détourne les codes du petit drame bourgeois afin de se livrer à une analyse de la psyché féminine qu’il décortique à la façon d’un entomologiste. La jeune fille est certes décrite comme une Lolita qui n’a pas froid aux yeux, mais si elle se sert de ses charmes pour obtenir ce qu’elle désire, Christopher Frank préfère indiquer qu’il s’agit avant tout d’un rapport de pouvoir qui s’établit entre les différents personnages. Oui, le personnage interprété avec une extrême sensualité par Valérie Kaprisky découvre l’ascendant qu’elle peut exercer sur les hommes, mais elle compte bien profiter de ce constat pour parvenir à ses fins. Si l’on a parfois accusé le réalisateur de dépeindre les femmes comme des prédatrices, il se fait surtout le commentateur attentif d’une évolution des mœurs qui passe par leur libération progressive. Loin de n’être que des oies blanches, elles sont décrites ici comme calculatrices et dominatrices.

Retour sur le phénomène Valérie Kaprisky, cliquez ici

Alors que Caroline Cellier incarne une mère libérée, avec ses failles et ses doutes à l’approche de la quarantaine, mais qui reste globalement dans la norme sociale établie, sa fille bouscule les interdits en séduisant le vieil ami de la famille (solide Jacques Perrin), en détruisant un jeune couple à qui elle propose un plan à trois et en espérant remplacer sa mère dans la couche du beau gosse de la plage joué par Bernard Giraudeau. Ce dernier est d’ailleurs voulu par le cinéaste comme un mac calculateur, de ceux qui sévissent dans les stations balnéaires, aussi attractif et vénéneux que le personnage de Chris (Valérie Kaprisky). Pour en revenir à Chris, incapable d’éprouver la moindre empathie pour autrui, la Lolita est certes une petite peste, mais symbolise à elle seule le nouveau pouvoir des femmes qui se développe à partir des années 70. Le personnage, selon Kaprisky, était perçu négativement par Christopher Frank et l’équipe du tournage. La comédienne qui sortait d’un autre rôle à fleur de peau (La Femme publique de Zulawski), évoque dans le magazine Première de novembre 1984 avoir eu envie de défendre ce personnage. Elle en était la seule avocate quand tous la jugeait comme un monstre ou une salope. La jeune vedette a donc cherché à apporter de la profondeur au cynisme de son personnage écorché, ce qui lui a valu de vivre un tournage à l’atmosphère tendue et glacée de par sa manière d’appréhender frontalement le rôle insolent contre les autres protagonistes, et donc artistes sur le plateau.

 

Un document sociologique sur le nouveau pouvoir des femmes

Si L’année des méduses chausse parfois des gros sabots en s’appuyant sur des dialogues un peu trop explicites, le long-métrage a le mérite de proposer une vision plus complexe de ce que l’on a appelé durant une époque « l’éternel féminin ». On adore notamment cette concurrence incessante entre la jeune novice et sa mère plus expérimentée. Derrière leur complicité de façade se cache une vraie compétition pour savoir laquelle pourra séduire le bellâtre du lieu de villégiature. On aime aussi toutes les séquences d’humiliation du personnage de Jacques Perrin, sous l’emprise d’une gamine. Enfin, le couple impromptu formé par Giraudeau et Caroline Cellier est également intéressant par la maturité qu’il dégage.

Nous laisserons la parole à Bernard Giraudeau qui déclarait lors de la sortie du long-métrage à propos du réalisateur Christopher Frank (source : Stars d’aujourd’hui de Mara Villiers et Gilles Gressard, 1985 page 85) :

Christopher Frank a un regard original sur cette société qu’il connaît bien. Il est une sorte de témoin qui s’amuse à dénouer intrigues et sentiments. Il a une perversité presque naïve, mais passionnante. Et il connaît remarquablement la psychologie féminine, ce qui est plutôt exceptionnel dans un cinéma français assez machiste et misogyne.

Un charme vénéneux, symbole d’une époque révolue

Enfin, L’année des méduses est une œuvre intéressante pour ce qu’elle révèle de son époque de création. Visiblement fasciné par le corps des femmes et leur poitrine, Christopher Frank nous replonge dans cette période où le topless était devenue la norme sur les plages françaises. Cela permet au réalisateur de signer une œuvre à la sensualité remarquable qui a assurément contribué à son succès. Vu à notre époque très rétrograde, le film paraît très osé, alors qu’il ne faisait que filmer une plage classique du début des années 80. Il apparaît donc rétrospectivement comme un document sociologique de première importance, à la fois sur l’évolution des mœurs et du rapport entre les sexes.

Sorti au mois de novembre 1984, L’année des méduses a profité de la force de frappe de son distributeur Parafrance pour s’imposer en tête du box-office parisien, grâce notamment à un parc de salles conséquent. Le reste de la France n’a pas été en reste avec un total de 1 554 641 entrées et une 23ème place annuelle. Le film confirmait alors l’extraordinaire popularité de Bernard Giraudeau et établissait la notoriété de La femme publique Valérie Kaprisky. De son côté, Caroline Cellier a reçu le César du meilleur second rôle féminin en 1985, saluant une prestation effectivement remarquable.

L’année des méduses s’est donc imposé comme le film le plus connu et populaire de son auteur-réalisateur. Près de quarante ans après sa création, le long-métrage n’a toujours pas fini de distiller son charme vénéneux.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 14 novembre 1984

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L'année des méduses, critique film

© 1984 T. Films – FR3 / Affiche : Philippe by SPADEM. Tous droits réservés.

Box-office :

Sorti le 14 novembre 1984, L’année des méduses a été un événement médiatique porté par la présence de Bernard Giraudeau, qui avait triomphé en début d’année dans Rue Barbare (2 050 496 entrées), Christopher Frank et Caroline Cellier, qui se retrouvaient 8 mois après la sortie de Femmes de personne, un très beau succès pour le romancier-réalisateur qui avait attiré 900 268 spectateurs sur toute la France.

Evidemment, tout le monde avait sur les lèvres le nom de Valérie Kaprisky, véritable révélation de l’année 1984, qui avait fait flamber les salles avec le sulfureux La femme publique où elle se mettait totalement à nu pour Zulawski. Le film scandale avec Lambert Wilson et Francis Huster avait réalisé de belles entrées, soit 1 554 641 spectateurs en dehors des canons du divertissement.

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Avec tous ces atouts, de nombreuses couvertures de magazines, un amour inconsidérable des médias pour le viril Giraudeau ou l’insolente Kaprisky, tous les astres étaient alignés pour prolonger l’été 84 dans les salles d’automne. Le producteur Alain Terzian (La smala, Rive droite rive, gauche, et Femmes de personne, pour 1984) y croyait fort. Il avait raison. Le film se vendra dans le monde entier.

Pour préparer l’assaut des méduses, le distributeur trouve 43 écrans sur Paname, plus grosse sortie de la semaine devant les 35 copies de la comédie avec Jerry Lewis Par où t’es rentré ? On t’a pas vu sortir, les 34 sites de Les rues de feu de l’Américain Walter Hill, ou les 24 cinémas qui proposaient le polar urbain avec Daniel Auteuil, L’arbalète. Le très à-propos 1984 d’après Orwell, étant projeté dans 17 salles. Les puristes du bis apprécieront de découvrir que Blastfighter l’exécuteur de Lamberto Bava jouissait de 11 cinémas de quartier.

Une concurrence frontale pour le trio Giraudeau, Cellier, Kaprisky

Prenant la tête dès le premier jour, avec 23 529 spectateurs, L’année des méduses cartonne, mais va devoir batailler pour décrocher la première place face à l’increvable phénomène de société Marche à l’ombre, comédie Fechner réalisée par Michel Blanc, avec également Gérard Lanvin. On n’oublie pas la continuation d’Amadeus, qui entamait sa 3e semaine, celles de Greystoke (alors en 7e semaine), Splash (4e), Paris, Texas et Maria’s Lovers avec la Kinski, ou l’éternel Indiana Jones 2 et son temple rempli, toujours en forme en 10e semaine. En fait, dans ce flot de succès, on notera juste les bides de Le jumeau avec Pierre Richard, déjà mort en 6e semaine et surtout celui de Joyeuses Pâques qui, en 4e semaine, était appelé à s’écrouler, malgré le tandem Belmondo / Marceau.

L’année des méduses fait sensation en première semaine sur Paris : 160 755 spectateurs… La deuxième nouveauté de la semaine est la dystopie littéraire 1984, avec 69 379 spectateurs, et une belle 4e place (la promo du tube d’Eurythmics, Sex Crime, y était pour quelque chose). L’arbalète ouvre en 5e position, avec 65 258 amateurs de polars urbains. La déception revient à Philippe Clair et Par où t’es rentré ? On t’a pas vu sortir qui s’inflige 64 620 amateurs de comédies franchouillardes en 6e place, malgré sa belle combinaison. La fin d’une époque.

L’année des méduses, fier numéro du box-office français

Sur la première semaine des grandes villes françaises, L’année des méduses est en tête du box-office partout sauf à Nantes et à Lille, où on lui préfère chef-d’œuvre de Miloš Forman, Amadeus. Enfin la bourgeoisie de Bordeaux et les méridionaux de Marseille ont largement préféré Par où t’es rentré ? On t’a pas vu sortir.

En 2e semaine, le buzz médiatique du sexué et pervers L’année des méduses commence à montrer des signes de faiblesses, puisque le film se retrouve à 95 377 spectateurs doublé par Amadeus. L’année des méduses a tout de fois déjà 256 000 baigneurs dans ses eaux troubles sur Paris. Le film est d’ores et déjà un succès. Le pari est réussi, le film étant adulte et ne pouvant nullement prétendre à 3 millions de spectateurs sur la France.

Fin d’année compliquée pour le cinéma français qui entame sa crise

Au final, le drame d’ombre et de lumière achèvera sa carrière à 1 554 641 entrées sur toute la France et 370 044 entrées. Sur un marché hyper dynamique qui allait être chamboulé par les machines de Noël étrangères (L’histoire sans fin, Gremlins, SOS Fantômes), la production Alain Terzian s’annonçait comme l’un des derniers succès annuels pour du made in France, avec Paroles et musique en décembre (Deneuve, Christophe Lambert, Richard Anconina) et à moindre niveau La septième cible de Claude Pinoteau, avec Lino Ventura. La production nationale allait soudainement être ébranlée par des flops historiques (Nemo d’Arnaud Selignac, J’ai rencontré le père Noël de Christian Gion, avec Karen Cheryl), un petit four (Un été d’enfer avec Thierry Lhermitte et Véronique Jannot), et de nombreuses déceptions comme Réveillon chez Bob, avec Jean Rochefort, Guy Bedos, Agnès Soral, Michel Galabru, Bernard Fresson et Mireille Darc.

Coluche trébuche et ne s’en remettra pas

Mais la vraie déception de cette fin d’année 84 sera La vengeance du serpent à plumes de Gérard Oury avec Coluche. La rencontre entre les deux monstres du box-office avait coûté très cher à ses producteurs pour finalement diviser par deux les entrées du précédent Oury, L’as des as. Coluche dégringolait de haut, après un été compliqué (le raté Le bon roi Dagobert). Il était déjà loin le temps de Tchao pantin (3 829 000), Banzaï (3 769 000) et Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ (4 601 249). La star de L’inspecteur La Bavure et Le maître d’école devait se contenter de 2 663 303 flambeurs pour un Noël 1984 qui allait être placé sous la domination totale des Américains. Historiquement, c’est un fait majeur, Oury ne retrouvera plus le succès d’antan et Coluche, appelé à une fin tragique, ne retrouvera pas le succès au cinéma jusqu’à son décès en 1986. Quant au cinéma américain, désormais, il était là pour durer avec un système juteux de divertissements modernes plus dans le goût de la jeunesse électronique des années 80, réfractaire aux succès populaires qu’aimaient leurs parents.

Frédéric Mignard

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