Sensuel et provocant, L’année des méduses ausculte la psyché féminine avec pertinence et demeure aujourd’hui un document sociologique de premier ordre pour comprendre le début des années 80. Intéressant.
Synopsis : Chris, une adolescente de 18 ans, joue de son corps sur la côte de Saint-Tropez. Elle vit mal la rupture avec Romain, un ami de ses parents, et souhaite le reconquérir. N’y arrivant pas, elle va s’aventurer vers des jeux dangereux de séductions…
Christopher Frank filme une fois de plus les femmes
Critique : En 1984, le romancier et scénariste Christopher Frank est doublement d’actualité puisqu’il propose la même année ses deuxième et troisième films de réalisateur. Après Josépha (1982) tiré d’un de ses romans, il tourne donc consécutivement Femmes de personne (1984), un beau succès qui s’approche du million d’entrées, et surtout L’année des méduses (1984) qui va rencontrer un plus grand écho auprès du public. Ce dernier est encore une fois adapté d’un de ses romans et propose d’ausculter une fois de plus la psyché féminine, comme dans ses deux précédents longs.
Ici, Christopher Frank profite de la vogue du « film de plage » qui déferle depuis la fin des années 70 pour en détourner les codes et amener progressivement la simple comédie de mœurs vers le film noir, gardant en tête la référence du genre, Plein Soleil. Effectivement, nombreuses sont les comédies vaguement libertines qui prennent pour cadre le littoral méditerranéen et les stations balnéaires surchargées à une époque où le phénomène de masse s’est très largement démocratisé. Christopher Frank s’emploie à tromper le spectateur en commençant son film de manière assez inoffensive, sous le soleil d’un marivaudage un rien badin. Nous suivons ainsi les aventures sentimentales d’une adolescente de 18 ans, au cours des vacances passées au bord de la mer.
Une vision complexe de la femme
Toutefois, assez rapidement, Christopher Frank détourne les codes du petit drame bourgeois afin de se livrer à une analyse de la psyché féminine qu’il décortique à la façon d’un entomologiste. La jeune fille est certes décrite comme une Lolita qui n’a pas froid aux yeux, mais si elle se sert de ses charmes pour obtenir ce qu’elle désire, Christopher Frank préfère indiquer qu’il s’agit avant tout d’un rapport de pouvoir qui s’établit entre les différents personnages. Oui, le personnage interprété avec une extrême sensualité par Valérie Kaprisky découvre l’ascendant qu’elle peut exercer sur les hommes, mais elle compte bien profiter de ce constat pour parvenir à ses fins. Si l’on a parfois accusé le réalisateur de dépeindre les femmes comme des prédatrices, il se fait surtout le commentateur attentif d’une évolution des mœurs qui passe par leur libération progressive. Loin de n’être que des oies blanches, elles sont décrites ici comme calculatrices et dominatrices.
Retour sur le phénomène Valérie Kaprisky, cliquez ici
Alors que Caroline Cellier incarne une mère libérée, avec ses failles et ses doutes à l’approche de la quarantaine, mais qui reste globalement dans la norme sociale établie, sa fille bouscule les interdits en séduisant le vieil ami de la famille (solide Jacques Perrin), en détruisant un jeune couple à qui elle propose un plan à trois et en espérant remplacer sa mère dans la couche du beau gosse de la plage joué par Bernard Giraudeau. Ce dernier est d’ailleurs voulu par le cinéaste comme un mac calculateur, de ceux qui sévissent dans les stations balnéaires, aussi attractif et vénéneux que le personnage de Chris (Valérie Kaprisky). Pour en revenir à Chris, incapable d’éprouver la moindre empathie pour autrui, la Lolita est certes une petite peste, mais symbolise à elle seule le nouveau pouvoir des femmes qui se développe à partir des années 70. Le personnage, selon Kaprisky, était perçu négativement par Christopher Frank et l’équipe du tournage. La comédienne qui sortait d’un autre rôle à fleur de peau (La Femme publique de Zulawski), évoque dans le magazine Première de novembre 1984 avoir eu envie de défendre ce personnage. Elle en était la seule avocate quand tous la jugeait comme un monstre ou une salope. La jeune vedette a donc cherché à apporter de la profondeur au cynisme de son personnage écorché, ce qui lui a valu de vivre un tournage à l’atmosphère tendue et glacée de par sa manière d’appréhender frontalement le rôle insolent contre les autres protagonistes, et donc artistes sur le plateau.
Un document sociologique sur le nouveau pouvoir des femmes
Si L’année des méduses chausse parfois des gros sabots en s’appuyant sur des dialogues un peu trop explicites, le long-métrage a le mérite de proposer une vision plus complexe de ce que l’on a appelé durant une époque « l’éternel féminin ». On adore notamment cette concurrence incessante entre la jeune novice et sa mère plus expérimentée. Derrière leur complicité de façade se cache une vraie compétition pour savoir laquelle pourra séduire le bellâtre du lieu de villégiature. On aime aussi toutes les séquences d’humiliation du personnage de Jacques Perrin, sous l’emprise d’une gamine. Enfin, le couple impromptu formé par Giraudeau et Caroline Cellier est également intéressant par la maturité qu’il dégage.
Nous laisserons la parole à Bernard Giraudeau qui déclarait lors de la sortie du long-métrage à propos du réalisateur Christopher Frank (source : Stars d’aujourd’hui de Mara Villiers et Gilles Gressard, 1985 page 85) :
Christopher Frank a un regard original sur cette société qu’il connaît bien. Il est une sorte de témoin qui s’amuse à dénouer intrigues et sentiments. Il a une perversité presque naïve, mais passionnante. Et il connaît remarquablement la psychologie féminine, ce qui est plutôt exceptionnel dans un cinéma français assez machiste et misogyne.
Un charme vénéneux, symbole d’une époque révolue
Enfin, L’année des méduses est une œuvre intéressante pour ce qu’elle révèle de son époque de création. Visiblement fasciné par le corps des femmes et leur poitrine, Christopher Frank nous replonge dans cette période où le topless était devenue la norme sur les plages françaises. Cela permet au réalisateur de signer une œuvre à la sensualité remarquable qui a assurément contribué à son succès. Vu à notre époque très rétrograde, le film paraît très osé, alors qu’il ne faisait que filmer une plage classique du début des années 80. Il apparaît donc rétrospectivement comme un document sociologique de première importance, à la fois sur l’évolution des mœurs et du rapport entre les sexes.
Sorti au mois de novembre 1984, L’année des méduses a profité de la force de frappe de son distributeur Parafrance pour s’imposer en tête du box-office parisien, grâce notamment à un parc de salles conséquent. Le reste de la France n’a pas été en reste avec un total de 1 554 641 entrées et une 23ème place annuelle. Le film confirmait alors l’extraordinaire popularité de Bernard Giraudeau et établissait la notoriété de La femme publique Valérie Kaprisky. De son côté, Caroline Cellier a reçu le César du meilleur second rôle féminin en 1985, saluant une prestation effectivement remarquable.
L’année des méduses s’est donc imposé comme le film le plus connu et populaire de son auteur-réalisateur. Près de quarante ans après sa création, le long-métrage n’a toujours pas fini de distiller son charme vénéneux.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 14 novembre 1984
Acheter le film en DVD
Voir le film en VOD