Rendez-vous s’insinue comme une spirale de sentiments tempétueux, mettant en scène des personnalités fiévreuses inoubliables, comme les jeunes stars qui lui donnent âmes et corps, Juliette Binoche, Wadeck Stanczack et Lambert Wilson. Une œuvre phare dans le répertoire de Téchiné et celui du cinéma français des années 80.
Synopsis : Récemment débarquée à Paris dans l’espoir de devenir actrice, Nina est à la recherche d’un appartement. Elle sympathise avec Paulot, employé d’une agence immobilière, qui lui propose de l’héberger temporairement. Sa rencontre avec Quentin, son colocataire, ne se passe pas bien et la jeune femme quitte précipitamment les lieux. Malgré la gentillesse et la prévenance de Paulot, Nina se sent pourtant irrémédiablement attirée par le ténébreux et inquiétant Quentin…
Critique : Tourné en trente jours, Rendez-vous devait initialement s’intituler La débutante… Téchiné, accompagné d’un jeune scénariste dans l’air du temps (Olivier Assayas, sur le point de sortir son premier long, Désordres, avec l’une des vedettes de Rendez-vous, Wadeck Stanczak) prend le pouls d’une jeunesse tumultueuse, qui démarre dans sa vie d’adulte. Le destin de Juliette, dix-huit ans, fraîchement arrivée sur Paris, qui brûle de désir de planche (elle démarre par du boulevard, mais rêve shakespearien, avec la tragédie que cela sous-entend), se brûle aux désirs contradictoires, celui tranchant, ardemment sensuel, d’un dandy fantomatique, cynique et égocentrique (Lambert Wilson, génial), et celui d’un jeune homme qui lui garantirait la robustesse de la sécurité, celle de la banalité du quotidien. Cette face masculine est portée par Wadeck Stanczak, belle découverte de Téchiné qui remportera le César du Meilleur jeune espoir pour son interprétation tout en frustration et conflits internes.
Téchiné, l’homme qui aimait les femmes
Binoche succède alors, dans la filmographie d’André Téchiné, à Adjani, Huppert, Deneuve, Pisier, Moreau… L’ombre de ces stars n’accable pas la future vedette de Leos Carax qui se prend au jeu de la figure symptomatique de la jeune écorchée des années 80, époque où l’on dénudait le corps et l’âme de la femme actrice, en la poussant dans des retranchements qui paraîtront insensés pour les spectateurs contemporains, habitués à plus de bienveillance à l’égard des comédiennes.
Maltraitée Juliette Binoche ? Outragée par la virilité trouble que lui fait subir la caméra de Téchiné, à travers les facettes différentes que représentent Stanczack et Lambert ? Son personnage théâtral qui aspire à une ascension de tragédienne, profite de cette même dichotomie : elle est à la fois femme meurtrie, témoin miroir des maltraitances masculines à l’égard des nubiles, mais aussi femme moderne, sujet de sa vie, et actrice de ses propres décisions quand un grand maître de théâtre usé, le Pygmalion joué par Jean-Louis Trintignant, lui donne rendez-vous avec elle-même et la scène dramatique.
Sur un scénario appréhendant le fantastique avec la magnificence de l’image et de la photographie, Rendez-vous se construit en de nombreux plans intenses que le cinéaste osait proposer au fur et à mesure à un casting dans la transe et la véhémence de l’instant, la fougue d’une jeunesse assoiffée de désirs qui osait jusqu’à s’affranchir de la vie, avec le thème du suicide traité dans la théâtralité de l’acte. La réalisation est fluide, se joue des espaces et brille par son omniprésence spectrale pour coller au plus proche des âmes égarées.
Rendez-vous avec la gloire
Véritable tremplin pour la carrière de Juliette Binoche – dont la voix juvénile ressemblait alors beaucoup à celle d’Emmanuelle Béart, découverte en 1984, et pour Lambert Wilson toujours fiévreux de sa rencontre avec Zulawski dans La femme publique, un an aupravant, Rendez-vous, c’est aussi celui raté de Wadeck Stanczack avec la célébrité. Il était pourtant le seul à ressortir césarisé de cette aventure, mais malgré sa prestation de qualité, un deuxième rôle important chez Téchiné (dans Le Lieu du Crime, 1986), cet ancien “cavalier de l’orage” ne parviendra pas à imposer son intériorité dans un cinéma français fébrile des soubresauts d’une crise qui le fera disparaître du grand écran pour le tube cathodique. Même l’éditeur Carlotta, qui propose en 2020 le film en HD dans une belle édition vidéo, fera l’affront cinéphile de gommer son nom de l’affiche contemporaine… Injuste.
Petit budget de 10 millions de francs, tourné essentiellement dans un Paris d’intérieurs décrépit, nocturne et théâtral, jusqu’aux reconstitution d’ébats érotiques dans des pièces coquines, Rendez-vous était produit par Alain Terzian, producteur clé de l’époque qui avait offert à Téchiné le luxe de l’équipe de Rive droite Rive gauche de Labro, thriller politique et journalistique avec Depardieu et Nathalie Baye. Le succès générationnel de ce film d’auteur torturé permis à André Téchiné d’enchaîner les tournages, lui qui avait eu beaucoup de mal à retrouver le grand format, après son précédent long, Hôtel des Amériques, sorti en 1981. Des décennies après, cette œuvre fantomatique demeure le troisième plus gros travail, en termes d’entrées, sur toute sa carrière. Rendez-vous est une œuvre phare qui marqua son époque et le cinéma français dans son histoire. Elle demeure toujours d’une fiévreuse actualité dans sa dichotomie homme/femme.
Sorties de la semaine du 15 mai 1985
Compléments : 3 / 5
Une interview contemporaine d’André Téchiné, en HD, menée par Jean-Marc Lalanne, rédacteur en chef des Inrockuptibles. Le cinéaste donne du sens au film, ses métaphores, son sous-texte, le contexte de production et de tournage… Vous comprendrez ainsi pourquoi le générique du film est si long… C’est passionnant, bien mené, même si trop court par rapport à la densité du film.
Un entretien avec Lambert Wilson est proposé. Il ne s’agit pas d’un bonus exclusif, celui-ci ayant été tourné à l’époque de la sortie DVD initiale de Rendez-vous, il y a près de 20 ans. Le ton de Lambert Wilson est ampoulé, il semble encore engoncé dans les travers abscons de son personnage du “je”, mais il est surtout passionnant et d’une analyse qui force le respect.
La bande-annonce originale est également proposée en supplément. Celle-ci est rare. On jubile.
Quelques regrets… L’absence de Juliette Binoche et Wadeck Stanczack. Pourquoi leur silence pour une œuvre aussi importante dans leurs carrières ? Il fallait revenir dessus.
Image : 4.5 / 5
Splendide. La restauration transcende la photographie de Renato Berta, fou de travail qui n’a jamais chômé dans sa longue carrière. L’éclairage des années 80 jouit du contraste que permettent les technologies d’aujourd’hui, avec un rééquilibrage fin. Le Paris vétuste des années 80 y est sublimé, avec un espace réapproprié par des profondeurs qui réjouissent. La copie est splendide.
Son : 4 / 5
Tourné en mono, Rendez-vous se permet une belle éloquence en DTS HD, avec une mise en exergue du score de Philippe Sarde qui renforce l’ampleur de cette œuvre essentielle dans la carrière de Téchiné.
Critique et test blu-ray : Frédéric Mignard