Quand en mars 1987 sort Le Grand Chemin, de Jean-Loup Hubert, Anémone voit sa carrière prendre une direction dramatique inattendue. Le succès est dans les champs et la comique qui, deux ans plutôt peinait à convaincre dans le blockbuster produit par Christian Fechner, Le Mariage du siècle, aux côtés de Thierry Lhermitte, sait qu’elle pourra suivre une carrière plus exigeante. Le succès de Péril en la demeure de Michel Deville, en 1985, thriller sensuel, l’avait déjà poussée dans ses retranchements, le cannois I love you, de Marco Ferreri, avec Christophe Lambert et Eddy Mitchell, lui avait par contre laissé une expérience de second rôle frustrante dans un écart à la comédie mal accepté par la critique et le public.
En 1987, la grande dame de la comédie, adorée dans le collectif du Splendid (Le Père Noël est une ordure, le film de la brouille avec toute l’équipe) ne court plus après ce type de spectacle. Les Nanas en 1984 a déçu, Tranches de vie en 1985, film à sketchs truffé de stars, a été un flop, et Poules et frites, de Luis Rego, qui sortira peu après Le Grand Chemin, sera un bide impitoyable, réitéré à un moindre niveau par Envoyez les violons, avec Anconina en 1987.
Elle qui avait démarré chez Philippe Garrel en 1968 dans un rôle dramatique éponyme (le film s’appelait Anémone), n’a pourtant plus arrêté de faire rire dans les années 70 et 80.
Il lui faudra attendre 1977 pour retrouver un premier rôle, dans Le couple témoin de William Klein, aux côtés de Dussollier et Zouc. La même année Coluche l’embauche dans son film Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine, avec Blanc, Lavanant, Lanvin et lui-même… On l’aperçoit encore beaucoup (Je vais craquer, de Leterrier, avec Clavier et Baye, Quand tu seras débloqué fais-moi signe, toujours de Leterrier avec Clavier, Chazel…), mais à partir de 1981, c’est une vedette patentée : Ma femme s’appelle revient de Leconte, produit par Fechner, Pour cent briques t’as plus rien, avec Auteuil et Jugnot, Le Quart d’heure américain, encore avec Jugnot, par Philippe Galland (Le mariage du siècle)… Elle est partout, et le Père Noël, en 1982, apparaît comme le paroxysme comique de tout une génération.
Dans les années 90, alors que la comédie française bat de l’aile, elle obtient le premier rôle inattendu de Maman, de Romain Goupil. Une œuvre sociale essentielle dans sa carrière engagée (les causes de gauche, l’écologie). Si elle multiplie les faux pas alimentaires (Loulou Graffiti, avec Jean Reno, Après après demain, avec Simon de La Brosse et Agnès Soral, L’échappée belle, avec Jean-Marc Barr, ou l’adaptation Z des Bidochon, en 1995), elle continue à séduire les grands auteurs : Deville la convoque en 94 dans Aux petits bonheurs, Tonie Marshall, amie d’enfance, lui offre le rôle exceptionnel de Pas très catholique, elle est magnifique dans Le petit prince a dit, de la regrettée Christine Pascal.
Malheureusement, tout se gâte après 1997 ; on ne lui propose plus que des seconds rôles peu avenants. Anémone vieillit naturellement, avec sa grande gueule, loin du glamour, de l’apparat qu’impose le cinéma français. Elle peut encore cachetonner (Ma femme s’appelle Maurice, son ultime rôle dans une comédie d’envergure, mais foncièrement détestée, remonte à 2002), mais ses apparitions hors théâtre deviennent plus rares, toujours dans des œuvres confidentielles et souvent médiocres (Voyance et manigance, Voisin voisines…).
Dans les années 2010, elle est heureusement au rendez-vous chez Riad Sattouf, dans le satirique Jacky au royaume des filles, un OVNI à l’image du franc-parler de la gloire un peu déchue, toujours reine des rediffusions en prime. Anémone se retranche, s’isole, mais sait ouvrir la gueule quand il le faut (ou pas).
C’est ce qui l’a perdue, c’est aussi pour cela qu’on l’aimait et qu’elle nous manque en tête d’affiche depuis des décennies.
Anémone, César de la Meilleure actrice en 1988 pour Le Grand chemin, nous a quittés le 30 avril 2019. Elle avait 68 ans et avait officialisée sa retraite en 2017.
Article de Frédéric Mignard