Le mors aux dents : la critique du film (1979)

Drame, Satire sociale | 1h39min
Note de la rédaction :
6,5/10
6,5
Le mors aux dents, l'affiche

Note des spectateurs :

Dénonciation efficace de la corruption à tous les niveaux, Le mors aux dents dispose d’un excellent scénario et d’acteurs formidables, au service d’une réalisation trop conventionnelle.

Synopsis : Charles Dréant, personnage aux activités douteuses, tire son pouvoir du fichier qu’il détient sur les hommes politiques influents. Les chefs du parti au pouvoir confient à Loïc Le Guen la mission de le surveiller. Or Dréant, qui traverse une passe difficile, s’apprête à monter une escroquerie portant sur une course de tiercé….

Un casting de rêve pour une dénonciation de la corruption

Critique : Ancien assistant d’Yves Boisset, le réalisateur Laurent Heynemann a suivi les nombreux conseils de son mentor lorsqu’il est lui-même passé derrière la caméra. Il a ainsi marqué les esprits en tournant La question (1977) d’après le livre témoignage d’Henri Alleg qui dénonçait l’usage de la torture par l’armée française durant la guerre d’Algérie. Si l’ouvrage a fait beaucoup de bruit, le film a subi une censure indirecte en étant interdit aux moins de 18 ans, le condamnant à une exploitation rachitique.

Pour son retour aux affaires, Laurent Heynemann entend continuer à dénoncer les travers de la société française, toujours à l’aide de Claude Veillot, fidèle scénariste attaché à l’œuvre d’Yves Boisset. Disposant d’un budget plus conséquent fourni par Alain Sarde, à travers sa société de production Sara Films, Heynemann peut engager pour Le mors aux dents (1979), la crème du cinéma français de l’époque et étaler un casting de rêve afin de mieux toucher le grand public.

Le mors aux dents profite d’un scénario millimétré

Si Le mors aux dents semble s’en prendre uniquement au fonctionnement du PMU – dont le nom a été modifié afin de ne pas avoir de souci avec cette société – son sujet est en réalité bien plus large. Les auteurs dénoncent surtout une société française gangrenée par la corruption à tous les étages. Ainsi, l’affaire qui est ici décrite par le menu implique aussi bien la société privée elle-même, les parieurs, mais également les escrocs, les chefs d’entreprise, la police et les membres des partis politiques qui trempent tous dans ces sales affaires. Bien entendu, le risque d’un tel film est de susciter la méfiance absolue envers les élites et les institutions.

Pourtant, Le mors aux dents dénonce surtout avec force des mécanismes bel et bien à l’œuvre à tous les niveaux de notre société, à savoir le chantage, l’intimidation et autres connivences qui enrichissent certaines personnes au détriment du petit contribuable. Alors que le début du film est assez compliqué à suivre à cause de la présentation de très nombreux personnages, la suite relève d’un bel échafaudage narratif tant chaque intervenant trouve sa place dans la vaste toile d’araignée tissée par les auteurs.

Le mors aux dents, l'affiche 4X3

© 1979 StudioCanal / Affiche : René Ferracci. Tous droits réservés.

Des acteurs sur qui l’on parie volontiers

L’autre grande force du film est d’avoir confié à des acteurs majeurs, même des rôles en apparence secondaires. Ainsi, ces comédiens rompus à l’exercice parviennent à donner vie à leur personnage en seulement quelques minutes de présence à l’écran. Inutile de multiplier les grands discours puisque l’on saisit très rapidement leur importance dans ce vaste écheveau scénaristique. Parmi eux, on retiendra bien entendu la prestation cabotine de Michel Piccoli en escroc grande gueule, mais c’est surtout Michel Galabru qui nous étonne par son inquiétante sobriété dans un emploi assez sombre. L’acteur venait alors de prouver ses capacités dans le drame grâce à sa prestation dans Le juge et l’assassin (Tavernier, 1976) qui lui a valu un César du meilleur acteur en 1977.

On peut également citer l’excellent Jean-Pierre Sentier en escroc minable, Michel Beaune en flic retors ou encore Jean Benguigui en petite frappe qui finira mal. Malheureusement, cette belle confrontation entre piliers du cinéma français est un petit peu gâchée par une réalisation assez sommaire de la part de Laurent Heynemann. L’ensemble manque quelque peu de rythme, tandis que l’esthétique nous renvoie aux produits télévisés que le cinéaste enchaînera au cours des décennies suivantes. Pour autant, la force du scénario et le brio des acteurs permet de compenser en partie cette faiblesse assez fréquente dans le cinéma français de l’époque.

Le mors aux dents, une belle sortie UGC en 1979 pour un échec relatif

Malgré un soutien global de la presse, Le mors aux dents doit affronter lors de sa sortie le 12 septembre 1979 un mastodonte américain du nom d’Alien le huitième passager de Ridley Scott qui débarque directement à la première place du box-office parisien avec 167 929 spectateurs. UGC assume une contre programmation. Dans le contexte du festival de Deauville, les nouveautés sont américaines : Le syndrome chinois de James Bridges avec Jane Fonda et Michael Douglas, Folie Folie de Stanley Donen avec George C. Scott, Le champion de Franco Zeffirelli avec Jon Voight et Faye Dunaway… Mais UGC croit donc à l’alternative française. Fort du budget du film, le distributeur décide de lancer une campagne solide axée sur le thriller et le film politico intellectuel. Une campagne d’affichage, principalement dans le métro, mais aussi un marketing radio et dans la presse, veilleront à alimenter la promo tout au long du mois de septembre 1979.

Pour son investiture, Le mors aux dents trouve sa place dans le circuit UGC, avec pour le service presse, le futur réalisateur de Ronde de nuit, Jean-Claude Missiaen, qui a été imposé au distributeur par Alain Sarde. Le mors aux dents s’installe dans 15 cinémas en intra-muros (et 13 écrans en banlieue) :

Les UGC Ermitage/Biarritz/Danton/Caméo/Gobelins/Gare de Lyon/Opéra et les cinémas Bretagne, Rex, Mistral, Trois Secrétans, Trois Murats, Clichy Pathé, Napoléon, Magic Convention lui permettent de séduire 49 427 sprinters et de trouver une belle 4e place parisienne, entre Le Syndrome chinois (59 445 entrées dans 30 salles) et Le Champion (35 414 entrées dans 17 cinémas seulement). Au Bretagne, Le mors aux dents trouve 5 412 spectateurs. Seul le Napoléon se positionne sur Paris à moins de spectateurs par écran.

Avec 38 223 entrées en 2e semaine dans 25 salles, l’œuvre de Laurent Heynemann a perdu 3 écrans et près de 10 000 spectateurs. Elle est talonnée par trois nouveautés aux circuits plus limités (Le vampire de ses dames obtient 36 000 entrées dans 16 salles ; Cher papa de Dino Risi fait de même dans le même nombre de salles ; Infirmières très spéciales dévoilent leurs charmes auprès de 34 000 spectateurs dans 11 cinémas).

Les entrées chutent : 22 832 entrées en 3e semaine (19 salles), 16 312 (14 salles), 9 417 (7 salles), 3 927 (3 salles), 2 682 (3 salles), 2 778 (2 salles), et, en 9e et dernière semaine, 3 452 spectateurs dans 2 salles : La Bergère et l’UGC Biarritz. Au moins, avec un total de 149 000 entrées, le long métrage a multiplié par trois les chiffres de sa première semaine.

Alain Sussfeld évoque dans Le Film Français cet échec qualifié de relatif, regrettant “la relativité et la limite de tout effort publicitaire, comme la difficulté d’attirer le public d’aujourd’hui vers des films de qualité”.

Selon lui, les journalistes ont vu le film trop tard et, à la fin du mois d’août, ont manqué de disponibilité en raison des festivals pour couvrir suffisamment tôt cette sortie qui a été vampirisée par le phénomène médiatique d’Alien le huitième passager préparé pendant de longs mois par la Twentieth Century Fox, à l’instar de La guerre des étoiles deux ans plus tôt.

Les provinciaux sont restés davantage en retrait avec seulement 56 374 curieux en première semaine. En fait, cela s’explique par une exposition peu importante (une soixantaine de copies)  et c’est la semaine suivante que le film se déploie dans les villes provinciales avec cette fois 66 052 spectateurs de plus. La suite démontre une chute régulière, mais pas catastrophique non plus avec 43 196 clients en troisième semaine, puis 39 380 en quatrième septaine. Le film a continué sa tournée jusqu’à la fin du mois d’octobre 1979, et s’est stoppé à 308 512 turfistes.

Depuis, Le mors aux dents a été largement oublié puisque le métrage n’a eu le droit qu’à une sortie VHS en 1987 chez Vidéo Collection France, quelques diffusions télé, mais aucune galette laser n’a été éditée à ce jour.

Critique de Virgile Dumez / Box-office complété par Frédéric Mignard

Les sorties de la semaine du 12 septembre 1979

Voir le film en VOD

Le mors aux dents, l'affiche

© 1979 StudioCanal / Affiche : René Ferracci. Tous droits réservés.

Biographies +

Laurent Heynemann, Michel Piccoli, Nicole Garcia, Jacques Dutronc, Michel Galabru, Roland Blanche, Jean Benguigui, Brigitte Roüan, Gérard Surugue, Charles Gérard, Roland Bertin, Michel Beaune, Monique Chaumette, Philippe Khorsand, Fred Ulysse, Jean-Pierre Sentier, Gaëlle Legrand, Fred Personne, Daniel Russo, François Dyrek, Christian Bouillette, Jacques Sereys, Clémentine Amouroux

Mots clés

La politique au cinéma, Les arnaques au cinéma, Satire

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