Rattaché in extremis au genre du slasher, Fondu au noir est surtout un psycho-killer référentiel qui émarge du côté du méta cinéma plus d’une dizaine d’années avant le Scream de Wes Craven. Une rareté à (re)découvrir.
Synopsis : Eric Binford a une seule passion : le cinéma des années 40. Il est livreur de copies de films près de Hollywood. Sa tante paralysée déverse sur lui toutes ses amertumes. Après un rendez-vous manqué avec une jeune Australienne qui s’applique à ressembler à Marilyn Monroe, il se projette une fois de plus son film favori, sa tante se met en colère et, comme dans son film, il pousse le fauteuil roulant dans l’escalier… Puis il se prend au jeu et, devenu Arthur Cody Jarrett, il perpétue une série de meurtres…
Un script méta qui tenait à cœur à Vernon Zimmerman
Critique : Grand cinéphile devant l’éternel, le scénariste et réalisateur Vernon Zimmerman a passé une grande partie des années 70 à travailler pour la firme AIP (American International Pictures) fondée par James H. Nicholson et Samuel Z. Arkoff. Pourtant, depuis le film The Unholy Rollers (1972), Zimmerman peine à s’imposer comme réalisateur. Durant cette période compliquée, il rédige plusieurs scénarios dont certains sont tournés par d’autres cinéastes. Pourtant, il se réserve le script qui servira de base à Fondu au noir (1980). Ce projet devait initialement clamer l’amour du cinéaste pour le cinéma en intégrant notamment des extraits de films anciens, un procédé de métacinéma novateur pour l’époque.
Toutefois, Zimmerman ne parvient pas à imposer son scénario aux divers studios jusqu’à ce que le producteur Irwin Yablans, heureux financier d’Halloween, la nuit des masques (John Carpenter, 1978) et de Tourist Trap – Le piège (David Schmoeller, 1979) lui propose de réaliser un scénario intitulé Alex, un pur slasher. Les deux hommes trouvent un accord qui satisfait les deux parties puisque Zimmerman accepte d’intégrer des éléments du script d’Alex dans son propre travail, transformant ainsi son projet initial en un slasher, genre nettement plus vendeur en ce début des années 80. Cela explique en grande partie l’aspect bicéphale du long métrage.
Fondu au noir, un pur psycho-killer, mâtiné de slasher
Effectivement, Fondu au noir peut surtout être considéré comme un traditionnel film de psycho-killer dans la lignée des films des années 60 post-Psychose (Alfred Hitchcock, 1960), dont Zimmerman pastiche d’ailleurs la fameuse scène de douche. Il y intègre toutefois un certain nombre d’éléments typiques du slasher en multipliant les victimes au long d’un script qui suit les agissements meurtriers d’un tueur fou. A chaque méfait, le jeune homme devenu dingue se déguise en un personnage qui a marqué sa cinéphilie. Le voilà donc maquillé en Dracula, en Momie (soit les monstres de la Universal) ou encore en James Cagney, son idole.
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Afin d’appuyer cette cinéphilie dévorante qui finit par rendre le jeune homme complètement fou, Vernon Zimmerman a décidé d’intégrer des courtes séquences de films déjà existants, comme Le cauchemar de Dracula (Terence Fisher, 1958) ou encore de grands classiques des années 40 avec James Cagney. Cela octroie au long métrage toute son originalité car il anticipe d’une quinzaine d’années la vague méta qui touchera le film d’horreur à travers des œuvres comme Scream (Wes Craven, 1996). Bourré de références, Fondu au noir porte décidément bien son titre à double sens et clame donc son amour du cinéma de manière sincère.
Une œuvre ludique qui ne tombe jamais dans le glauque
Toutefois, on sent bien que Zimmerman n’avait aucune envie de réaliser un pur film d’horreur. Ainsi, Fondu au noir, malgré son interdiction aux moins de 16 ans, ne peut en aucun cas être comparé à des œuvres extrêmes diffusées à l’époque comme Maniac (William Lustig, 1980). Jamais glauque malgré un contexte social chargé, le pseudo-slasher émarge plutôt du côté du pastiche respectueux des œuvres citées. Les différents meurtres ne sont guère sanglants et sont fréquemment exécutés à l’arme à feu, ce qui les rend moins puissants visuellement. De même, le jeu volontairement outré de Dennis Christopher ajoute une dose de second degré parfaitement assumée. D’ailleurs, on pense souvent au jeu de Malcolm McDowell dans Orange mécanique (Stanley Kubrick, 1971).
Si la réalisation de Zimmerman s’avère classique et globalement efficace, on peut tout de même regretter le manque de soin apporté aux seconds rôles. Certes, on aime beaucoup le sosie un peu cruche de Marilyn Monroe, interprétée par l’Australienne Linda Kerridge, mais on reste davantage réservés quant aux prestations passables de Tim Thomerson et de Gwynne Gilford, aux rôles sacrifiés. On notera aussi parmi les victimes du serial-killer un certain Mickey Rourke dont ce fut la deuxième apparition au grand écran après 1941 (Steven Spielberg, 1979). Heureusement que Dennis Christopher fait son show car il porte à bout de bras ce faux slasher par son jeu halluciné.
Lorsqu’il est sorti aux Etats-Unis, Fondu au noir a connu quelques déboires judiciaires car certains extraits utilisés ne semblent pas avoir fait l’objet d’une négociation de droits avec les studios détenteurs. Les critiques ne furent d’ailleurs pas forcément très élogieuses, alors même que le métrage faisait office de précurseur.
Un passage à Avoriaz, puis dans les salles françaises
En France, en revanche, les cinéphiles furent davantage séduits, notamment lors de sa présentation au Festival d’Avoriaz 1981, où il obtînt le Prix de la critique. Dès lors, Fondu au noir a trouvé un distributeur pour le positionner en salles à partir du mercredi 20 mai 1981. Pourtant, le métrage allait avoir du mal à trouver des salles tant les sorties furent nombreuses cette semaine, comprenant notamment du cinéma bis dont San-Antonio ne pense qu’à ça (Joël Séria) et Body Body à Bangkok (Jean-Marie Pallardy) avec Brigitte Lahaie, bon nombre de films pornos et des films d’auteur prestigieux comme Neige (Jean-Henri Roger et Juliet Berto), Quartet (James Ivory), Le solitaire (Michael Mann), La porte du paradis (Michael Cimino) et Les Chariots de feu (Hugh Hudson).
Autant dire que Fondu au noir est perdu au milieu d’une telle offre et que le film sombre au fin fond du box-office. Dans la France entière, Fondu au noir glane 63 183 entrées, démontrant une fois de plus le peu d’appétence du public français pour le genre du slasher. Le métrage connaîtra davantage de succès en vidéo-club avec sa VHS publiée par VIP. Depuis, cet essai de métacinéma est quelque peu oublié des éditeurs, du moins en France puisqu’il existe un blu-ray chez les Américains de Vinegar Syndrome. Il vaut pourtant le détour.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 20 mai 1981
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Illustrateur © Grello
Biographies +
Vernon Zimmerman, Mickey Rourke, Dennis Christopher, Tim Thomerson, Linda Kerridge
Mots clés
Cinéma indépendant américain, Psycho-killer, Slasher, La cinéphilie au cinéma, Métacinéma