Deuxième volet de la Trilogie du Milieu, Passeport pour deux tueurs est un polar hard boiled tendu dont la violence étonne encore de nos jours. Du cinéma bis radical et misanthrope comme on l’aime.
Synopsis : New-York années 1970, un boss de la mafia envoie deux tueurs pour exécuter un proxénète de Milan nommé Luca Canali. Il veut une mort spectaculaire, qui frappe les esprits. Et que l’on sache que ce soit des Américains qui ont fait le job. Afin de montrer qui est le chef de la mafia. Même en Italie. Il veut ainsi venger une livraison d’héroïne qui a été détournée.
Retour à Milan pour Fernando Di Leo
Critique : Alors qu’il vient de connaître un beau succès avec son thriller Milan calibre 9 (1972), le cinéaste Fernando Di Leo enchaîne immédiatement avec ce Passeport pour deux tueurs (1972) qui est désormais considéré comme le deuxième volet de ce qui est appelé la Trilogie du Milieu. Pour ce nouvel opus, le réalisateur ne va pas chercher très loin son inspiration puisqu’il la trouve à nouveau dans le recueil Milan Calibre 9 de Giorgio Scerbanenco.
Pour bien comprendre comment cela est possible, il faut préciser que le film éponyme ne s’inspirait que de très loin du recueil de nouvelles, dont il ne tirait que quelques éléments saillants. Fernando Di Leo réitère donc l’opération et extrait de ce vaste recueil l’idée centrale de deux tueurs américains dépêchés par la mafia new-yorkaise pour régler son compte à un mafieux milanais. A partir de ce postulat, Fernando Di Leo et quelques collaborateurs ont inventé tout le reste, et notamment toutes les péripéties qui vont parsemer le long métrage.
Mario Adorf, véritable héros du thriller
Passeport pour deux tueurs nous amène tout d’abord sur une fausse piste en nous laissant croire que les deux gangsters que sont Henry Silva et Woody Strode vont être les protagonistes principaux du film. En réalité, au bout d’un quart d’heure, le thriller préfère suivre les pas du mafieux milanais qui est l’objet de la traque, à savoir le truculent Mario Adorf. Présenté initialement comme un proxénète de petite envergure, le personnage se retrouve au cœur d’une machination ourdie par le parrain local (toujours excellent Adolfo Celi) afin de détourner l’ire des deux tueurs. Dès lors, le film parvient à rendre le petit maquereau sympathique, faisant même de lui un héros plutôt positif si on le compare à tous les autres protagonistes, tous plus monstrueux les uns que les autres.
Car on retrouve ici toute la noirceur du cinéma de Fernando Di Leo qui ne s’embarrasse jamais de nuance. Dans ce déferlement de violence, les hommes sont tous détestables, les femmes sont systématiquement violentées et maltraitées, tandis que le réalisateur ose même éliminer de manière graphique une petite fille et un chaton. Tandis que la première demi-heure apparaît comme relativement classique dans sa construction narrative et sa réalisation, Passeport pour deux tueurs connaît une rupture radicale vers la quarante-cinquième minute de projection. Avec l’assassinat brutal de la famille du proxénète, le long métrage semble perdre les pédales à l’image du personnage principal. Dès lors s’ouvre une deuxième partie totalement endiablée où la violence semble sans filtre, tandis que la caméra du réalisateur paraît possédée.
Une deuxième partie d’une violence toujours aussi impressionnante de nos jours
Durant cette deuxième partie totalement folle, Fernando Di Leo nous livre une course poursuite hystérique et d’une longueur impressionnante où la crédibilité n’est plus de mise. Puis, le déferlement de violence ne semble plus pouvoir s’arrêter, se terminant notamment par la mort de quasiment tous les personnages au cœur d’une casse de voiture. Le tout prend d’ailleurs des atours de western, ce qui nous rappelle que Fernando Di Leo fut d’abord un scénariste spécialisé dans ce genre. Porté par un montage particulièrement efficace d’Amedeo Giomini et d’une excellente partition funk d’Armando Trovajoli (collaborateur attitré d’Ettore Scola), Passeport pour deux tueurs appartient donc à cette catégorie des polars hard boiled où aucune concession n’est faite pour lisser les caractères.
D’une brutalité hors normes, le long métrage étonne encore de nos jours par sa radicalité. Loin d’être fasciné par le Milieu, Fernando Di Leo n’applique aucun filtre romanesque à sa description contrairement à des cinéastes américains comme Francis Ford Coppola ou Martin Scorsese. Dans l’œuvre de Di Leo, les truands sont bien des êtres avides de pouvoir et prêts à tout pour parvenir à leurs fins. Les nombreuses qualités de ce thriller dingue ont largement séduit un cinéphile comme Quentin Tarantino qui n’a jamais caché qu’il s’était inspiré du duo formé par Henry Silva et Woody Strode pour créer celui de John Travolta et Samuel L. Jackson dans Pulp Fiction (1994).
Un thriller surtout exploité en vidéo en France
Resté longtemps inédit dans les salles françaises, le long métrage serait sorti uniquement en province durant le mois de septembre 1979 selon le site Encyclociné, qui précise toutefois que la date n’est aucunement confirmée. On peut donc considérer le thriller comme inédit lorsqu’il débarque en VHS en 1980 sous les bannières de VIP et de CEC. Visiblement apprécié des éditeurs, le métrage ressort également sous le titre L’empire du crime en 1986 chez MPM Production. Par la suite, il a eu le droit d’intégrer en 2021 le coffret consacré par l’éditeur Elephant Films à la Trilogie du Milieu en DVD et blu-ray. A la même période, le distributeur Mary-X Distribution officie sa reprise en salles, permettant au film d’être projeté pour la première fois au cinéma à Paris.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 12 septembre 1979
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Biographies +
Fernando Di Leo, Femi Benussi, Lara Wendel, Cyril Cusack, Adolfo Celi, Luciana Paluzzi, Sylva Koscina, Andrea Scotti, Mario Adorf, Henry Silva, Franco Fabrizi, Giuseppe Castellano, Giovanni Cianfriglia, Ulli Lommel, Woody Strode
Mots clés
Cinéma bis italien, Film de mafia, Poliziottesco, Les tueurs à gages au cinéma, La violence faite aux femmes au cinéma