Premier grand poliziottesco réalisé par Fernando Di Leo, Milan calibre 9 s’impose comme un petit classique par son extrême violence, mais aussi par son discours pertinent sur l’Italie des années de plomb.
Synopsis : Après avoir purgé une peine de quatre ans de prison, Ugo Piazza est relâché pour bonne conduite. Son ancien complice, Rocco, un dangereux homme de main au service de « l’Américain », lui rafraîchit la mémoire : une somme importante a été dérobée avant son incarcération et Ugo était le dernier à avoir accès au magot…
Fernando Di Leo surfe sur la vague du poliziottesco
Critique : Au moment où les années de plomb commencent à s’abattre sur l’Italie, le polar à l’italienne ou poliziottesco a connu une soudaine popularité. Si l’on peut faire débuter la vague à la sortie de Bandits à Milan (Carlo Lizzani, 1968), c’est véritablement durant l’année 1972 que le genre se dote des codes immuables qui feront sa saveur et aussi sa limite. En 1971, Damiano Damiani dégoupillait son Confession d’un commissaire de police au procureur de la république qui a eu un fort écho en Italie et l’année 1972 allait voir la sortie de Société anonyme anti-crime (Steno, 1972) et de Milan calibre 9. Bien évidemment, le triomphe mondial du film américain Le parrain (Francis Ford Coppola, 1972) n’est pas étranger à la mise en production rapide de tous ces films de gangsters liés à la mafia.
Le réalisateur Fernando Di Leo semblait être prédestiné à devenir un des maîtres de ce genre tant ses films précédents préfiguraient cette nouvelle orientation. Ainsi, dès 1969, le cinéaste a fait scandale avec La jeunesse du massacre qui était une adaptation libre d’un roman de Giorgio Scerbanenco que beaucoup considèrent comme le Simenon italien. Aussi, pour écrire le script de Milan calibre 9, Fernando Di Leo s’inspire de plusieurs romans différents du même auteur dont il digère l’univers pour le transcender et en tirer la substantifique moelle.
Milan calibre 9 pousse la violence à son paroxysme
Certes, il existe bel et bien un livre intitulé Milan calibre 9 mais Di Leo le modifie fortement en créant un nouveau personnage principal nommé Ugo Piazza, interprété par le comédien Gastone Moschin, pourtant plus habitué aux rôles comiques. De même, Fernando Di Leo écrit des dialogues où il peut glisser son opinion sur les problèmes sociaux qui minent l’Italie de l’époque. Ainsi, il crée de manière un peu trop mécanique deux personnages de flics qui s’opposent sur le plan idéologique. Tandis que Frank Wolff interprète un policier traditionnel vendu à la bourgeoisie et au grand capital, Luigi Pistilli incarne la conscience politique très à gauche de Di Leo. Ce dernier est donc le porteur du message politique du cinéaste, ce qui donne lieu à des dialogues intéressants, même si un peu trop explicites, voire didactiques.
Mais ce qui intéresse Fernando Di Leo vient aussi de la description du monde des gangsters qu’il décrit de manière implacable. Toujours en roue libre lorsqu’il s’agit de dépeindre la violence, Fernando Di Leo pousse les curseurs au maximum dès l’hallucinante séquence pré-générique. Il y décrit la revanche des mafieux sur ceux qui les ont trahis et cela passe par des actes d’une barbarie rarement vus à l’écran à l’époque, à tel point qu’on a parfois l’impression d’un délire issu d’une bande dessinée.
Une œuvre radicale au constat implacable
Après cette introduction choc, Fernando Di Leo met en place une intrigue tortueuse à base de trahison où il pousse le spectateur à s’identifier au personnage droit interprété par le taiseux Gastone Moschin. On aime notamment ses relations d’amitié virile avec le très bon Philippe Leroy ou encore avec Ivo Garrani. Face à lui, Mario Adorf joue un homme de main du parrain particulièrement outrancier. Le comédien en fait des tonnes, ce qui contraste fortement avec le jeu très intériorisé de Moschin.
Enfin, Lionel Stander vient cachetonner en parrain de la mafia qui n’a jamais la prestance d’un Marlon Brando. En réalité, contrairement à Coppola qui peut être fasciné par le monde qu’il décrit, Fernando Di Leo n’a aucune empathie pour cet univers entièrement voué à la violence. D’ailleurs, Milan calibre 9 se termine sur un twist qui vient retourner le spectateur comme une crêpe et qui démontre qu’aucun personnage n’est vraiment aimable dans cette œuvre radicale et d’un pessimisme rare.
Un film choc réhabilité par Quentin Tarantino
Très violent, Milan calibre 9 est tourné caméra au poing de manière très tendue et s’impose donc comme un des bons poliziottesci, même si on peut lui reprocher un certain manque de nuance et de subtilité. L’ensemble est porté par la musique pop entrainante composée par Luis Bacalov et interprétée par le groupe de rock progressif Osanna (qui a tout de même assuré les premières parties de Genesis en Italie dans les années 70).
Le long-métrage fut un important succès en Italie, ce qui a permis au long-métrage de sortir dans quelques salles françaises en juillet 1974. Etrangement, ce qui est désormais considéré comme le premier volet de la Trilogie du Milieu est sorti en France quelques semaines après le troisième volet (Le Boss a été projeté à Paris à partir du 22 mai 1974). Mais cela importe peu si l’on considère que les trois films peuvent être vus de manière indépendante.
Au total, sur la capitale, le film réunit 3 940 spectateurs en 15 jours d’exploitation. Lors de ses 7 premiers jours, AMLF en tire 3 282 entrées dans 4 cinémas, la Maxéville, la Fauvette, le Cambronne et le Gaumont Gambetta. C’est à la Maxéville sur les Grands Boulevards que Milan Calibre 9 fera le plus d’entrées avec 1 490 tickets vendus ses sept premiers jours.
Milan Calibre 9 a ensuite été exploité en VHS en 1985 sous le titre Le sang de la violence. Puis, le métrage a été largement oublié avant que Quentin Tarantino ne le remette sur un piédestal en le considérant comme le meilleur polar italien des années 70. Sans aucun doute exagérée, cette idée a permis de remettre en lumière le travail de Fernando Di Leo, ainsi que toute la production italienne de l’époque. Depuis, la Trilogie du Milieu a eu le droit à un coffret DVD / Blu-ray chez Elephant Films, tout en étant également reprise au cinéma par les bons soins de Mary-X Distribution. L’occasion de réévaluer des œuvres qui, si elles sont loin d’être parfaites, reflètent parfaitement la société de leur temps.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 10 juillet 1974
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Biographies +
Fernando Di Leo, Luigi Pistilli, Frank Wolff, Rossella Bergamonti, Mario Adorf, Gastone Moschin, Mario Novelli, Giuseppe Castellano, Ivo Garrani, Lionel Stander, Philippe Leroy, Barbara Bouchet