Légitime violence détourne les codes du vigilante movie pour se livrer à une critique politique assez féroce, même si le script n’évite pas toujours la caricature. Intéressant à défaut d’être pleinement abouti.
Synopsis : Après un week-end comme tant d’autres, Martin Modot et sa famille vont prendre le train en gare de Deauville quand le destin les frappe. Au cours d’un hold-up, trois voyous tirent sur un homme qui riposte. Les voyous s’affolent et tirent aveuglément sur la foule. La femme, la fille et la mère de Martin Modot sont tués. Son père est grièvement blessé. Martin Modot ne vit plus alors que pour retrouver les coupables. Un soir, il est contacté par un certain Miller, président d’une association d’autodéfense, personnage fanatique qui ne parle que de vengeance. Déçu par la police inefficace et malgré son aversion pour ce genre d’association, Martin Modot finira par faire appel à Miller.
Légitime violence ou l’évocation des agissements du SAC
Critique : Grand amateur de polars ayant déjà tourné des œuvres choc comme Le mataf (1973), La traque (1975) ou encore Attention, les enfants regardent (1978), le cinéaste Serge Leroy est appelé par la productrice Véra Belmont pour tourner un scénario original signé de Jean-Patrick Manchette, célèbre auteur de polars dans la collection Série noire.
© 1982 Stéphan Films -Filmédis – Cinédéal – Kuiv Productions – Farena Films / © 2019 ESC Editions. Tous droits réservés.
Auteur iconoclaste et anarchisant, Manchette s’inspire pour son script de l’affaire de la tuerie d’Auriol (du 18 juillet 1981) qui a poussé le président François Mitterrand à dissoudre le SAC (Service d’action civique). Pour mémoire, ce service a été mis en place par de Gaulle pour constituer autour de lui une sorte d’association de fidèles qui ont donc été des barbouzes de la République. Ils ont ainsi organisé une forme de police parallèle qui a agit en toute impunité au nom de la République durant une vingtaine d’années, passant ainsi au-dessus des lois.
Comment détourner le vigilante movie !
C’est donc ce système qui est dénoncé à travers le script de Légitime violence (1982) qui semble a priori se conformer au moule du vigilante movie alors à la mode depuis le succès des films de Clint Eastwood ou Charles Bronson. C’est d’ailleurs ce genre que Véra Belmont souhaitait illustrer avec ce long-métrage, mais Manchette et Leroy en ont détourné les codes pour en faire une œuvre nettement plus politique et engagée.
Le point de départ peut effectivement faire penser à un pur film de vigilante, avec le massacre initial d’une famille par une bande de loubards et le désir de vengeance du père incarné avec subtilité par Claude Brasseur. Le film ne va cesser de déjouer les attentes des spectateurs en proposant une intrigue bien plus complexe. Effectivement, les jeunes loubards étaient en réalité commandités par des policiers véreux, dont on comprendra peu à peu les liens avec le pouvoir en place, afin d’éliminer un opposant politique gênant.
Une condamnation évidente de l’autodéfense
Pris entre plusieurs feux – la police traditionnelle, la police parallèle et une association d’autodéfense à tendance fasciste menée par un Roger Planchon en roue libre – le personnage de Claude Brasseur n’est finalement pas le héros vengeur que l’on attendait. Plus passif et subissant les événements, le père de famille ne trouvera aucun réconfort dans la vengeance, puisque conscient d’avoir été manipulé de bout en bout par des puissances politiques obscures aux objectifs peu reluisants.
Les auteurs condamnent donc sans ambages l’idée d’autodéfense, d’autant qu’elle est portée ici par un personnage très négatif incarné par Roger Planchon. Cet homme qu’on imagine d’extrême droite se fait le champion de la justice du peuple, vante les mérites de la peine de mort et de la pureté morale, mais n’hésite pourtant pas à entretenir des relations incestueuses avec sa très jeune nièce interprétée par la belle et juvénile Valérie Kaprisky.
Légitime défense tutoie souvent la caricature
Certes, la charge n’est pas légère et Jean-Patrick Manchette se laisse aller une fois de plus à son péché mignon de la caricature. Toutefois, ce personnage apporte une pincée de cinéma bis dans une œuvre globalement plus sérieuse. Autre concession à la mode du moment, on aura droit à une plongée dans le Paris interlope gay qui ne s’embarrasse guère de nuances. Mais après tout, cela est symptomatique d’une certaine époque, d’autant que ce type de scène se retrouve dans tous les films de genre du début des années 80.
Autour de Claude Brasseur (qui sort des triomphes de La guerre des polices et La boum) et Roger Planchon, Serge Leroy a tenu à convoquer une jeune génération d’acteurs dont beaucoup ont fait de belles carrières par la suite. Parmi eux, on compte notamment la jolie Véronique Genest – plutôt à l’aise ici – mais aussi Valérie Kaprisky dans un énième rôle dénudé ou encore Christophe Lambert (dans un rôle similaire à celui tenu dans Le bar du téléphone) qui allait enchaîner avec le tournage international de Greystoke (Hudson, 1984), faisant de lui une star instantanée.
De bonnes séquences d’action et de tension
Déjà plus connu, l’antagoniste principal est interprété par Thierry Lhermitte qui raconte ainsi sa participation au film (dans Stars d’aujourd’hui, Villiers et Gressard, Ramsay, 1985, p 152) :
Mais pour la première fois, on me proposait de jouer autre chose que le comique ou la comédie. Au départ, je n’avais pas envie de faire le film. Mais j’ai rencontré Leroy parce que mon agent, Marjorie Israël, insistait. Lui, c’étaient ses producteurs qui avaient insisté pour qu’il me voie. On n’avait vraiment pas l’intention de faire le film ensemble. Mais on a discuté et on a un peu sympathisé. Quand j’ai rappelé Marjorie une heure après, j’ai appris qu’il avait déjà téléphoné pour me donner le rôle. Et j’avais envie de l’accepter.
Et Lhermitte d’ajouter plus loin que :
Serge Leroy est un metteur en scène adorable.
Certes, Serge Leroy ne parvient pas toujours à éviter les excès dans la caractérisation de certains personnages, mais il est davantage adroit pour signer quelques bonnes scènes d’action, notamment le massacre initial. Il est également à l’aise pour mettre en scène des moments d’affrontement violent entre les personnages, au risque de succomber de temps à autre à une forme de complaisance. Toutefois, on peut saluer le travail effectué sur la photographie par Ramón F. Suárez. On est davantage réservé sur la partition musicale de Jean-Marie Sénia, tandis que la présence de Plastic Bertrand au début du film ajoute une note kitsch (sa chanson Damned je suis fait étant gratinée) qui ne correspond nullement à l’ambiance sombre de la suite.
Un score convenable au box-office
Sorti début septembre 1982, Légitime violence a connu une carrière correcte en salles avec 704 126 entrées sur l’ensemble de l’Hexagone. Un score plutôt convenable qui a permis à Serge Leroy de rebondir aussitôt avec un autre polar, toujours interprété par Thierry Lhermitte intitulé L’indic (1983). Légitime violence est apparu en vidéocassette cher Proserpine et peut désormais être redécouvert grâce à un blu-ray techniquement très probant édité chez ESC Editions.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 1er septembre 1982
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