Polar de série, Black Rain vaut surtout le coup d’œil pour la maestria de sa réalisation et son esthétique so eighties. Efficace à défaut d’être original.
Synopsis : Deux policiers de New York arrêtent un membre des Yakuzas et doivent l’escorter lorsqu’il est extradé vers le Japon. Lorsque le prisonnier s’échappe, les deux flics se retrouvent plongés au milieu d’une guerre des gangs meurtrière.
Un film de commande pour Ridley Scott
Critique : Le scénario de Black Rain traine déjà depuis plusieurs années dans les tiroirs de la firme Paramount Pictures lorsqu’il entre enfin en phase de production. Pendant un temps, il était prévu pour servir de base au Flic de Beverly Hills 2. Finalement, le script sera rejeté et le film sera tourné par Tony Scott en 1987 avec un autre sujet. L’ironie du sort est que le scénario prévu initialement va échouer dans les mains de son frangin, Ridley Scott. Contrairement à son frère, Ridley est en mauvaise posture à Hollywood car il a essuyé plusieurs gros échecs commerciaux dont le très coûteux Legend (1985) avec le jeune Tom Cruise, puis le thriller raté Traquée (1987) avec Tom Berenger et Mimi Rogers.
L’esthète anglais se doit donc d’accepter une commande qui pourrait le remettre en selle sur le plan commercial. Rien de tel pour cela qu’un thriller avec en vedette Michael Douglas. Celui-ci vient de connaître une suite ininterrompue de beaux succès commerciaux dont le diptyque du Diamant vert, ou encore Liaison fatale (Lyne, 1987) et Wall Street (Stone, 1987) qui lui a même valu l’Oscar du meilleur acteur. Au sommet de sa carrière, la star permet de débloquer sur son seul nom un budget colossal de 30 millions de dollars (69,9 M$ au cours ajusté de 2022), l’un des plus élevés de l’époque. En comparaison, le Batman de Tim Burton émargeait la même année à 35 millions de billets verts.
Black Rain, un scénario balisé sur le choc des cultures
Il faut dire que la production a effectué un long tournage au Japon où les coûts ne sont guère avantageux, à tel point que certaines séquences censées se dérouler là-bas ont été réalisées en Californie, car le budget menaçait d’exploser. Afin de mettre toutes les chances de leur côté, les producteurs ont engagé le jeune Andy Garcia qui venait tout juste d’être révélé par Les Incorruptibles (De Palma, 1987). Enfin, pour les rôles principaux japonais, les producteurs n’ont pas lésiné en embauchant deux stars nippones : Ken Takakura et Yûsaku Matsuda. Il est d’ailleurs intéressant de signaler que les deux comédiens ont été utilisés à contre-emploi puisque Takakura était un habitué des rôles de yakuza et que Matsuda jouait fréquemment les flics. Ici, la situation est totalement inversée et les deux acteurs sont parfaitement à l’aise dans leurs rôles.
Fondé sur le choc des cultures entre des flics américains aux méthodes peu orthodoxes et un policier japonais respectueux de la hiérarchie et de la loi, le scénario de Black Rain n’a rien de bien original. Très linéaire, il déploie quelques rebondissements assez facilement prévisibles et ne constitue donc qu’un énième polar de série comme on en voyait à la pelle dans les années 80. Même le rôle tenu par Michael Douglas n’a rien de novateur puisqu’il joue un flic tête brûlée dans le style chien fou initié par Mel Gibson avec L’arme fatale (Donner, 1987). L’acteur lui-même reprendra ce type de rôle quelques années plus tard dans le génial Basic Instinct (Verhoeven, 1992).
L’esthétique publicitaire du réalisateur poussée à son paroxysme
Toutefois, soyons justes, le script, même très balisé, fonctionne plutôt bien et le dosage entre humour léger, noirceur des sentiments et violence est opérant. Andy Garcia apporte une forme de légèreté à son rôle de coéquipier sympa, mais c’est surtout le casting japonais qui tient vraiment la route. Au milieu, la pauvre Kate Capshaw semble se demander ce qu’elle vient faire là et on ne croit jamais vraiment à son personnage d’expatriée tombant sous le charme de Michael Douglas.
En réalité, si Black Rain tient encore la route de nos jours, c’est bien évidemment par le talent visionnaire de Ridley Scott, cinéaste formaliste qui sublime chaque plan par sa maestria visuelle. Ainsi, le métrage est un modèle d’esthétique à la mode des années 80 que le cinéaste a contribué à établir et à populariser. Les éclairages d’Howard Atherton (remplacé en cours de route par Jan de Bont qui apparaît seul dans les crédits) sont absolument superbes.
Quelques clichés sur le Japon compensés par un discours de réconciliation
On retrouve ici les filtres bleutés typiques d’une époque, mais aussi les lumières tournoyantes filtrées par des ventilateurs, ainsi qu’un nombre incommensurables de plans avec de la vapeur. Force est d’admettre que cela sublime chaque plan et leur apporte un cachet indéniable, d’autant que cela est fait avec goût. Afin de valoriser encore plus cette esthétique que l’on a qualifié à l’époque de publicitaire, le cinéaste a fait appel pour la première fois à un jeune musicien talentueux nommé Hans Zimmer. Celui-ci dégaine une musique synthétique datée, mais d’une incroyable efficacité.
Si certains peuvent être irrités par l’usage de certains clichés envers le peuple japonais, on notera toutefois que le cinéaste évoque tout de même la responsabilité américaine dans le bombardement d’Hiroshima à travers un dialogue qui explique le titre de Black Rain. D’ailleurs, cette même année sortait sur les écrans un autre film traitant de ces retombées atomiques, à savoir le Pluie noire d’Imamura, un chef d’œuvre cette fois. On apprécie également le message qui entend amener à la réconciliation de deux peuples largement antagonistes, depuis que les Américains ont imposé la destruction du système traditionnel japonais au profit d’un capitalisme sauvage. Mine de rien, Black Rain aborde ces thématiques profondes, même s’il le fait trop sommairement au cœur d’un pur film de genre.
Une sortie décevante aux Etats-Unis
Enfin, signalons que Black Rain a beau être une commande pour Ridley Scott, le métrage ne dépareille pas au sein de sa filmographie et constitue même une réussite, certes mineure, mais bien réelle. On retrouve ainsi des ambiances urbaines qui semblent sorties de son magnifique Blade Runner (1982).
Doté d’un budget colossal, Black Rain a vu sa sortie américaine repoussée au mois de septembre 1989 par le studio Paramount afin d’éviter la concurrence d’un été chargé en blockbusters. Le thriller sort sur 1 600 écrans et cumule pour son premier week-end 9,6 millions de dollars, ce qui est donc une déception par rapport au budget dépensé. Finalement, le film termine sa carrière à 46,2 M$ sur le territoire nord-américain, le plaçant à la 26ème marche annuelle.
Black Rain en-deçà du million d’entrées en France
En France, les résultats seront également contrastés. Ainsi, le métrage entre à la première place du box-office parisien lors de sa sortie grâce à une large combinaison de 46 écrans avec 114 185 spectateurs dans les salles. Seul Valmont de Milos Forman compose parmi les grandes nouveautés de ce mercredi 6 décembre très pauvre en films. Au sommet du box-office, Black Rain doit affronter la continuation du long d’animation Disney, Oliver & Cie qui garde la première position sur des villes comme Grenoble, Caen, Rouen, Nantes ou Strasbourg. Le thriller va toutefois chuter assez vite malgré les vacances de Noël car la concurrence est très rude, avec de nombreux blockbusters qui lui barrent la route comme SOS Fantômes 2 (Reitman), puis Retour vers le futur 2 (Zemeckis). A Paris, Black Rain a peiné pour tripler les chiffres de sa première semaine et finit à 319 865 curieux.
La province est un peu plus réceptive au spectacle proposé par Ridley Scott. Le film débarque en première place la semaine de sa sortie avec 286 048 spectateurs. Mais le film perd quasiment la moitié de ses entrées en deuxième semaine, puis se stabilise durant les vacances de Noël en dépassant la barre des 500 000 tickets vendus. Ce sont clairement les vacances scolaires qui ont permis au film de se maintenir aux environs de 100 000 entrées par semaine au début janvier 1990. Vers mi-janvier, le polar dévisse et finit sa carrière en-deçà du million d’entrées avec 917 138 tickets écoulés.
Un film exploité sur tous les supports
Black Rain a ensuite été exploité par Paramount sur tous les supports possibles. Ainsi, le métrage est sorti en VHS, mais également en Laserdisc, puis en DVD et même en HD-DVD. Plus récemment, le thriller a même eu droit à un blu-ray, mais sans soin particulier de la part de l’éditeur. A noter que sa bande originale signée Hans Zimmer et agrémentée de titres de l’époque a également été éditée à la fin des années 80 et rééditée depuis chez La La Land avec l’intégralité du score composé par le musicien devenu célèbre.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 6 décembre 1989
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Ridley Scott, Michael Douglas, Andy Garcia, Ken Takakura, Kate Capshaw, Yûsaku Matsuda