Pluie noire revient sur les conséquences du bombardement d’Hiroshima avec sobriété grâce à une écriture fine et des images splendides. Un incontournable.
Synopsis : Hiroshima – 6 août 1945. La vie suit son cours, comme tous les jours. Un terrible éclair déchire le ciel. Suivi d’un souffle terrifiant. Et l’Enfer se déchaîne. Des corps mutilés et fantomatiques se déplacent parmi les amas de ruines. Au même moment, Yasuko fait route sur son bateau, vers la maison de son oncle. Une pluie noire s’abat alors sur les passagers. Quelques années plus tard, les irradiés sont devenus des parias dans le Japon d’après-guerre.
Un roman des années 60 adapté à la fin des années 80
Critique : En 1966, le romancier Masuji Ibuse publie son roman Pluie noire qui obtient un gros succès au Japon, ainsi que des prix littéraires prestigieux. Cette œuvre puissante, mais au ton relativement neutre, évoque avec force le destin des victimes d’Hiroshima que l’on nomme hibakusha au Japon. Bouleversé par cette lecture, le réalisateur Shohei Imamura s’est dit que cela ferait un très beau film. Il a toutefois attendu plus d’une vingtaine d’années avant de concrétiser ce projet.
Il faut dire qu’il était difficile de trouver des financements sur un tel sujet. Ainsi, Imamura a dû faire appel à une multitude de mécènes privés pour pouvoir réunir le budget nécessaire à la réalisation du film. Effectivement, si le cinéaste a connu un succès majeur avec La ballade de Narayama (1983), Palme d’Or au Festival de Cannes, il vient aussi d’essuyer l’échec commercial de Zegen, le seigneur des bordels (1987) qui a écorné son image auprès des producteurs.
Une reconstitution relativement sobre des événements d’Hiroshima
Toutefois, le grand réalisateur parvient à réunir la somme nécessaire pour effectuer une reconstitution convaincante du désastre d’Hiroshima. Tournées en premier afin de plonger les acteurs directement dans le trauma de leurs personnages, les séquences du bombardement et de ses suites immédiates sont d’une poignante véracité. Toutefois, on notera que le métrage est bien plus sobre dans sa description que des œuvres plus anciennes comme Les enfants d’Hiroshima (Shindo, 1952) et surtout le chef-d’œuvre Hiroshima (Sekigawa, 1953). Ce qui est plutôt logique puisque les deux films cités précédemment ont été tournés dans l’émotion du moment, alors que Pluie noire s’inscrit davantage dans une fibre mémorielle plus historique, le recul des années aidant.
D’ailleurs, ces séquences du bombardement et de ses conséquences immédiates ont été ajoutées par Imamura car elles ne sont qu’évoquées en filigrane dans le roman d’origine, davantage centré sur le destin des victimes de l’atome, les hibakusha. En plantant sa caméra dans un petit village aux alentours d’Hiroshima, Imamura décrit le lent, mais inexorable déclin de ces irradiés qui dépérissent un peu plus chaque jour. Le réalisateur montre également avec pudeur le rejet de ces victimes par l’ensemble de la société japonaise. Ainsi, la jeune Yasuko aura toutes les peines à se marier, car, si elle n’était pas présente sur le site de l’explosion nucléaire, elle a été affectée par la fameuse pluie noire. Des doutes légitimes sont donc émis par ses éventuels prétendants sur sa santé actuelle et future.
Un grand film intimiste et humaniste
Imamura a également ajouté un personnage de jeune homme traumatisé par la guerre et qui devient complètement fou dès qu’il entend un véhicule motorisé approcher. Cela permet d’élargir le propos humaniste du long-métrage et d’en faire un beau plaidoyer contre la guerre. Les scènes où Yasuko se prend d’affection pour ce cabossé de l’existence font partie des plus belles, suggérant une idylle pourtant impossible. Film lent, porté par des cadrages méticuleux à la Ozu (dont Imamura fut l’assistant) et une photographie en noir et blanc proche du sublime, Pluie noire n’est jamais démonstratif ni lyrique, mais procède par petites touches impressionnistes.
Rythmé par les enterrements successifs des différents protagonistes, condamnés par l’irradiation des premières minutes, le long-métrage a beau évoquer un thème funeste, il n’en cherche pas moins à célébrer les petits gestes de la vie quotidienne et la beauté de la vie. Grâce à un habile montage, Imamura parvient à alterner les séquences bouleversantes et dures liées au désastre d’Hiroshima sous forme de flashback, avec des scènes plus intimistes qui traquent les conséquences physiques et morales sur les victimes de ce bombardement.
Loin de toute polémique, Imamura respecte le roman d’origine et livre une œuvre humaniste qui ne cherche aucun responsable et ne stigmatise personne. Il préfère rester à la hauteur de ses personnages, des gens modestes qui tentent de survivre dans un contexte difficile. Si le film y perd en efficacité immédiate, cette finesse du traitement lui permet de demeurer vivace dans les mémoires. Certes, le long-métrage se concentre exclusivement sur les souffrances – réelles – du petit peuple japonais, ce qui ne doit pas faire oublier les horreurs commises par cette nation conquérante durant les années précédentes. Mais là n’était tout simplement pas le sujet du film.
Des prix à foison pour un beau film à redécouvrir désormais en HD
Présenté au Festival de Cannes en 1989, Pluie noire a glané le Grand Prix Technique, ainsi qu’un Prix du jury œcuménique. Au Japon, le film a raflé pas moins de neuf prix aux Japan Academy Awards, dont les plus importants (film, réalisateur et acteurs). En France, grâce à des critiques très favorables, Pluie noire a réussi à réunir 133 835 cinéphiles pointus dans les salles obscures dans peu de cinéma.
Après une longue période d’oubli, Pluie noire a eu le droit à une reprise en salles au mois de juillet 2020 et devrait faire l’objet prochainement d’un Mediabook. L’occasion pour tous les cinéphiles de redécouvrir cette œuvre charnière au cœur de la filmographie passionnante d’Imamura.
Critique de Virgile Dumez