Edito : Box-office USA : le wokisme a-t-il tué Disney? Walt Disney connaît une crise profonde aux USA, victime collatérale d’une guerre culturelle à laquelle son nom est inlassablement associé. Pour le studio le plus puissant des années 2010, alors au plus fort de sa capacité d’influencer les publics dans ses récits, l’heure est à la reconstruction. Dans une société démolie à bien des niveaux, où l’attirance pour la Californie est désormais contrariée par l’ascendance du Texas dans le rêve américain, les enjeux disneyens sont conséquents.
L’Amérique est en crise. Politique, climatique, médicale et désormais culturelle.
Dans un pays divisé en deux, où personne ne se parle, l’opposition binaire entre la côte Est et Ouest, New York Los Angeles, la Californie déclinante et le Texas ascendant, est signifiante.
La guerre des Folks et des Wokes
D’un côté, les Etats-Unis sont secoués par une radicalisation de la Droite, dans les médias et les réseaux sociaux utilisés comme des déversoirs de haines, de préjugés et de mensonges. Les décisions ultra-conservatrices de la Cour Suprême, investie par des personnalités à l’agenda personnel plus porté sur une vision du divin et de la morale que sur la volonté de concilier le droit commun des citoyens pluriels, ont une portée mondiale, avec des débats (sur l’intervention des drag-queens dans les écoles, par exemple) qui s’exportent avec délice chez les populistes européens toujours prêts à l’ignominie pour faire leur place. La désinformation et le négationnisme écologique réinventent les vérités, elles-mêmes travesties par les manipulations politiques de Donald Trump et de son concurrent, Ron De Santis, gouverneur de Floride et candidat actuel à la primaire des Républicains. Ce dernier, Monsieur sans joie d’une Amérique repliée sur elle-même, ouvertement homophobe et en particulier transphobe, s’est placé sur le terrain scolaire et culturel, avec comme ennemi personnel, le groupe Disney, ouvertement gay-friendly jusque dans ses politiques d’accueil dans ses parcs d’attraction, notamment à Orlando, en Floride… Bienvenue dans la droite dure, chez les extrêmes, les opportunistes, les suprémacistes.
Un contexte d’obsessions sociétales et identitaires
L’autre bord politique, obsédé par des questions identitaires, est marqué par des dérives dans les mouvements progressistes #MeToo et ethniques identitaires, qui ne prônent plus le vivre ensemble, mais le déboulonnage immédiat de l’ancien monde, sans transition. Le nouveau pouvoir doit faire payer le prix aux forces déclinantes quitte à susciter rancœur et toujours plus de comportements irrationnels et violents. La redéfinition du mot tolérance par une variation détestable, le wokisme, ajoute une forme d’intolérance supplémentaire dans une nation historiquement agitée par l’obscurantisme. C’est le déni de l’autre, encore et toujours, et le refus de contextualiser par la complexité. L’homme est bon ou mauvais, il ne peut être dans l’entre deux. Comme chez les suprématistes et les conservateurs, l’absence de nuance mène à une obsession pour la victimisation, l’amour du déballage, des procès d’intention avant même de celui de l’action. Bienvenue à la gauche de la Gauche, celle de la jeunesse qui s’invente son propre contexte, et de personnalités plus âgées qui inventent un contexte à celle-ci dans un souci de mieux sécuriser son propre pouvoir.
Barak Obama a prévenu, mais personne n’a écouté. Il faut se méfier de la binarité et la victimisation. D’un côté, comme de l’autre, la tentation de raviver le passé sombre du pays via des chasses aux sorcières numériques, médiatiques et judiciaires a pour résultat un discours boomerang qui s’inscrit dans la platitude et des éléments de langage qui semblent avoir été réinventés pour le réseau bégayeur d’Elon Musk : “on ne peut plus rien dire” -> “Je croyais qu’on ne pouvait plus rien dire.”
Dans ce climat explosif , le cinéma a abdiqué, s’imposant des quotas de minorités dans les tournages jusqu’aux Oscars, faisant de l’œuvre un produit fabriqué pour la consommation mondiale et qui ne doit donc pas offenser. Le virage politique propulsé s’est évidemment imposé par la peur de déplaire et de perdre de l’argent au risque de faire d’Hollywood un enjeu politique qui dépasse le simple divertissement.
Go Woke, Go Broke : Disney dans le collimateur de l’extrême droite et des conservateurs américains
Disney, dans une politique de conquête absolu des marchés de la planète, a donc largement pris position en faveur d’une création d’inclusivité en revenant sur le discours familial et conservateur de ses origines, celui de l’oncle Walt. La major s’est catapultée parmi les sociétés les plus bienveillantes d’une Amérique du rassemblement. Elle a pris position pour les LGBTQ+, les communautés ethniques, les femmes, tout en étant égratigné par ceux qu’elle défend pour ne pas aller assez vite, assez loin, comme en Californie où Disney est poursuivi pour ne pas payer ses employées autant que les hommes, dans son parc à thèmes.
Rapidement, en imposant dans ses productions un code de caractérisation qui ne relève plus de la vision de l’auteur, mais d’une norme progressiste qui s’impose à la culture, Disney a commencé à être détesté, avec l’aide des médias de propagation de haine comme Fox News. Les films tolérants du passé deviennent donc des laboratoires à idéologie qui ne plaisent plus à tout le monde. La société qui a su s’ériger contre Ron De Santis et ses politiques ouvertement anti homosexuels et transgenres en Floride est passé du statut de société favorite des Américains il y a quelques années à celui de l’une des cinq plus détestées en 2023. Sa politique de bienveillance s’est attiré les foudres d’une population qui ne se sent pas ou plus représentée, l’Amérique qui avait porté le populisme de Trump au pouvoir, malgré l’abjection de ses propos et ses mensonges aberrants. Une Amérique masculiniste, misogyne, raciste, toute aussi obsédée de la couleur et de la race que ses antagonistes woke.
Un échec Elementaire aux conséquences majeures chez Pixar
En 2023, ces deux Amériques se portent une détestation mutuelle et Disney sombre. Elle ne satisfait plus les progressistes qui regrettent certaines marches arrière pour atténuer les polémiques. Elle est copieusement boycottée par les conservateurs qui ont également la cancel-culture facile. Le résultat au box-office est ahurissant. Elémentaire, le dernier Pixar, au budget de 200 000 000$ n’a rapporté que 80 M$ en 13 jours, en Amérique du Nord. Un an plus tôt, Buzz l’éclair, spinoff de Toy Story, était le flop d’un compagnie qui n’était jamais tombée aussi bas, à l’exception de Le voyage d’Arlo, un accident industriel à 123M$ en 2015, et évidemment En avant qui n’était resté à l’affiche que 10 jours en raison de la fermeture des cinémas et du confinement généralisé, en mars 2020.
La crise chez Pixar s’est soldée par des licenciements massifs qui n’ont pas épargné le réalisateur Angus MacLane, jugé coupable du bide historique de Buzz l’éclair (226 millions de dollars dans le monde pour un budget de 200 millions $). L’astronaute animé avait notamment été boycotté à l’échelle du Moyen Orient et de l’Asie en raison de la présence d’un couple du même sexe. Quant à la Russie qui refuse toute ingérence de thématique LGBT à l’échelle de son territoire, dans toute œuvre culturelle, la guerre en Ukraine a réglé le problème. Provisoirement.
Disney maître du monde, dans les années 2010
Disney était perçu comme un studio increvable depuis ses rachats successifs de Pixar, Star Wars, Marvel et avait quasiment tué toute concurrence, avec quatre films dans le top 5 annuel en 2016 ; La société, en 2019, scrutait les 6 premières places du classement annuel avec Avengers Endgame (858M$), le reboot live du Roi Lion (543M$), Toy Story 4 (434M$), La reine des Neiges 2 (430M$), Captain Marvel (426M$) et Star Wars Episode IX (390M$ en 2019, 515$ sur toute sa carrière…). Comment le studio a-t-il pu chuter si vite?
Raya et le dernier dragon (54M$), Jungle Cruise (116M$), Encanto (96M$) ont souffert de la crise de la Covid. Mais Avalonia, l’étrange voyage (37 misérables millions de dollars) et La petite Sirène (270M$ quand le studio en espérait entre 400 et 500 millions) ont déchaîné les passions autour de personnages homosexuels dans le premier et de la couleur de peau de l’actrice qui interprétait le rôle d’Ariel dans le reboot live. Même les productions Marvel agonisent dans un déclin inexorable : pour un Gardiens de la galaxie Vol. 3 (351M$), combien d’Ant-Man Quantumania (214M$), Black Widow (183M$), Eternals (164M$) ?
Outre cette guerre des idées, avec la haine et la rancœur d’une Amérique qui se sent attaquée dans son conservatisme que l’on pourrait qualifier de régression idéologique vers toujours plus de préjugés et d’irrationnel, de repli religieux, Disney subit les conséquences directes de la désinvolture de Donald Trump dans sa politique sanitaire pour lutter contre le coronavirus. L’Amérique conservatrice a rejeté la raison et le collectif lors des confinements, devenant toujours plus idéologue. Les religieux ont pu jouer de l’idéologie anti vaccin et plus globalement anti science, et monté une partie de la population contre le fait scientifique. Dans une Amérique antivax, où le laboratoires Purdue a contribué à l’épidémie des morts par overdose en poussant un anti-douleur addictif au détriment de la santé publique, la société Disney a souffert d’avoir imposé une obligation vaccinale à son personnel, devenant un peu plus le grand mal à éradiquer aux yeux d’une société illuminée.
Une production embourbée dans son propre univers
Dans une société américaine du bien et du mal digne d’un épisode de Star Wars, Disney s’est aliéné l’Amérique des paumés en leur assénant des leçons de morale en guise de pédagogie au forceps. Cela s’est traduit par des décisions artistiques aberrantes pour une partie des spectateurs plus cinéphiles en quête d’originalité. Le public s’est finalement largement désolidarisé du manque d’audace de scénarios qui ressassent, croisent les univers, ou se contentent de varier les genres et les couleurs.
Pis, la politique de feuilletonnage de la major est devenu celle de l’exclusion. Ceux qui n’ont pas pu/voulu suivre les précédents épisodes d’une franchise qui se décline par la série télévisée, l’animation et les jeux vidéo, n’ont désormais plus leur place dans un univers autocentré où tout est calibré pour ne jamais permettre au spectateur d’avoir la liberté d’en sortir, même quand le précédent opus d’une saga lui a déplu. C’est la malédiction du capitalisme où les actionnaires réclament des garanties. Or, tout le monde n’est pas prêt à consacrer son existence culturelle à une poignées d’archétypes disneyens. Prendre en route ces franchises tentaculaires relève de l’impossible ou de l’appauvrissement d’une génération par la formule facile pour l’enrichissement des happy-fews de la finance. Disney a forcé le concept et se retrouve piégé dans ses normes de la culture unique qui exclut la différence culturelle au-delà du travestissement par le genre et la couleur.
A un an des élections présidentielles, Disney est devenue une société de reboot fragilisée et perd de ce fait l’essentiel de ce que l’on attend d’elle, la magie, l’évasion par l’image. Et cela, ça laisse des traces sur les marchés étrangers qui envoient quelques messages d’inquiétudes. En étant plus politique que poétique, le groupe Disney est devenu la bête noire d’un pays qui ne veut plus rien lui pardonner. A l’étranger, il est devenu l’épitaphe de la création pour des raisons marchandes et la sincérité de son idéologie n’a plus que les moins de 20 ans pour la louer.
Box-office USA : le wokisme a-t-il tué Disney
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Le malheur de Disney ne fait pas le bonheur de Warner
Seule consolation au sommet de la société, Disney n’est pas la seule à faire les frais de cette radicalité des réseaux sociaux et de l’inspiration zéro. Warner Bros est déstabilisé par les désastres consécutifs de ses productions super-héroïques (Shazam ! 2, la rage des dieux et The Flash) et a été très critiqué pour ses choix d’héroïnes considérées comme des décisions dictées par la tendance progressiste et non par le désir de son public. La société qui ne veut offenser ni les fans des comics ni la jeunesse largement en faveur d’une culture de l’ouverture, se voit contraint de rebooter à nouveau l’univers DC, abandonnant en cours de route le Cinematic Universe qu’elle construisait de puis plusieurs années. L’abandon de Wonder Woman a été un coup de poignard à l’Amérique post #MeToo qui n’a pas compris que Patty Jenkins était un choix de réalisatrice exécrable réalisé par pour de mauvaises raisons, mais dont il faut se justifier par la culpabilité. Fraichement nommés à la direction du studio DC, James Gunn et Peter Safran devront répondre aux problématiques culturelles posées par la société américaine tout en construisant un univers qui ne se contente plus de l’auto-référence suicidaire.
Avec ces deux sociétés déstabilisées, Paramount (Mission : Impossible, Top Gun Maverick, Sonic le film) et Universal (Fast & Furious, Super Mario Bros, Oppenheimer) avancent leur pion dans un paysage culturelle déjà fragilisé par l’avènement des plateformes, dont Netflix et Disney+. La résurrection de Paramount, après des années délicates, s’est faite via Top Gun Maverick, blockbuster estampillé du seau de Tom Cruise devenu le chantre d’un nationalisme exacerbé aux yeux de certains libre penseurs. Le retour du virilisme patriotique autour du personnage d’aviateur de Tom Cruise était-il à abattre ou à célébrer dans un cinéma de variété ? Le succès d’une suite à un film de 1986 n’était pas élémentaire ; il a au moins pour lui l’originalité d’exister au sein d’une production globale redondante.
Le Disney de La petite sirène le reboot, a bout de souffle, saura-t-il faire rêver à son tour, comme Top Gun a pu le faire en 2022? Star Wars abattu, Marvel exsangue et les productions de la 20th Century Studios malmenées depuis le rachat de la 20th Century Fox, même Pixar subit la politique commerciale du géant américain. Pixar, lourdement plombé par le départ de son père fondateur, celui de l’excellence, alias John Lasseter, à la suite d’un scandale #MeToo, considère la plateforme de Disney comme responsable de l’échec d’Elémentaire, puisque la plupart des productions maison comme Soul, Luca ou Alerte rouge ont été diffusées en exclusivité sur la plateforme pour profiter de la crise de la Covid 19 et imposer le service de streaming face au géant Netflix. Dévalorisé, Pixar le grand n’est plus.
Retour vers le passé
Les remous chez Disney ont provoqué le départ du PDG de Disney, Bob Chapek, accusé d’avoir favorisé l’idéologie dite “woke” lors de sa prise de position en faveur des LGBT en Floride. Il était pourtant à la présidence depuis seulement 2020. Le retour à son poste du vétéran Bob Iger, puisqu’il était déjà aux commandes de la société entre 2005 et 2020, marque une tentative désespérée du raviver l’excellence du passé. Iger a enfin décidé de porter son attention sur l’exploitation en salle et, de ce fait, semble blâmer l’approche digitale de son prédécesseur. Bob Iger, dans une politique de réduction des coûts, a exigé l’annulation de tout un tas de programmes bien-aimés sur Disney+, comme la série Willow, adapté du film de Ron Howard et produit par George Lucas. On évoque une vraie purge dans les programmes. Le retour au passé, effectivement.
La purge chez Disney, qu’elle soit économique, politique ou idéologique, tellement ancrée dans les valeurs ancestrales d’une Amérique à bout de souffle, démontre surtout l’incapacité des Etats-Unis à se réinventer au-delà des intérêts personnels. Les mésaventures “élémentaires” de Disney sonnent comme un avertissement dont l’Europe aurait toutes les raisons d’en tirer un enseignement clair. Les débats gauche/droite obsessionnels sur le cinéma français en sont le reflet. Ce n’est pas en radicalisant le cinéma que l’on change en bien la société. On clive, renforce les convictions, et finalement, on reste figé dans un entre-soi conspué à Gauche qui le qualifie d’élitisme, comme à Droite, pour qui c’est du communautarisme. Dans tous les cas, cette approche du cinéma aura bien du mal à traverser les époques tellement elle s’avère déjà rance en 2023.