Sans aucune idée de ce qui peut faire la noblesse d’un grand spectacle populaire (a minima la sincérité et une croyance sans failles dans ce que l’on met en scène), Marvel et les frères Russo se perdent en auto-références, concepts abscons et lourdeurs cosmiques. Le blockbuster feuilletonnant en phase terminale.
Synopsis : Thanos ayant anéanti la moitié de l’univers, les Avengers restants resserrent les rangs dans ce vingt-deuxième film des Studios Marvel, grande conclusion d’un des chapitres de l’Univers Cinématographique Marvel.
La critique : Avengers : Endgame, 22ème film des studios Disney/Marvel et suite directe d’Infinity War, est conçu comme un climax géant, le couronnement de onze années de films solo ou de collectifs faisant intervenir différents personnages issus de la fameuse maison d’édition désormais octogénaire. Pour les millions de spectateurs qui suivent leurs aventures depuis le début, c’est aussi l’occasion d’une célébration, une grande fête pour accompagner ce que l’on suppose être, pour certains acteurs en tout cas, un dernier tour de piste.
Les Frères Russo et leurs scénaristes, Christopher Markus et Stephen McFeely, des habitués du studio, s’accordent trois heures pour conclure le long fil rouge des Avengers, résoudre les problèmes provoqués par le grand méchant Thanos dans l’épisode précédent et achever de façon satisfaisante les trajectoires de certains des personnages les plus emblématiques. Même si l’on s’attend à l’indigestion, on tient donc là la promesse d’un grand spectacle décomplexé.
Diversité bienvenue, mais pas question d’adopter une position trop socialiste.
Ça commence plutôt bien. Un joli prologue intimiste mettant en scène l’un des grands absents d’Infinity War, Clint Barton (alias Hawkeye, qu’interprète Jeremy Renner), en père de famille heureux d’apprendre à sa fille l’art du tir à l’arc, arrive en quelques plans à donner une dimension humaine au drame provoqué par Thanos à la fin d’Infinity War, qui d’un claquement de doigt a fait disparaître la moitié de la population de la planète (et de l’univers…). Un regard détourné, une voix qui appelle, un contre-champ sur une volute de poussière que le vent disperse. Une table de pique-nique soudain vide.
Après l’interminable logo et un sauvetage de Tony Stark perdu dans l’espace par la deus ex machina du film, Captain Marvel, Endgame fait un bond dans le temps pour tenter de nous montrer comment survivent les 50% restant, entre culpabilité, dépression et besoin d’aller de l’avant.
On penserait presque à la magnifique série The Leftovers, mais le film n’a surtout pas envie d’explorer davantage le trauma d’une planète. De même qu’il ne questionnera jamais les motivations de Thanos, qui débarque avec la solution la plus absurde de l’univers pour mettre fin aux inégalités qu’il observe sur tous les mondes habités qu’il traverse. Personne, dans ce film ou dans le précédent, n’ira lui dire que le problème n’est pas tant le nombre d’habitants par rapport aux ressources exploitables de la planète, mais plutôt la répartition de ces ressources.
Chez les firmes et groupes américains du divertissement comme Disney, si l’on a bien compris l’intérêt d’afficher à l’écran une diversité bienvenue, on ne va tout de même pas adopter des positions trop socialistes non plus.
Après un retour de Mary Poppins désespérément néo-libéral, seul Dumbo de Tim Burton osait la critique à peine cachée d’une multinationale ogresse aveuglée par ses résultats financiers.
Dans Avengers : Endgame, qui aurait pu être l’occasion, suite aux observations de Thanos, d’une prise de conscience ne serait-ce que symbolique histoire d’ajouter un niveau de lecture à l’ensemble, l’encéphalogramme politique reste plat.
Affiche britannique – Copyrights : Marvel Studios / The Walt Disney Company
On va plutôt se demander quoi faire pour annuler ce qui a été fait, grâce à l’apparition inopinée d’Ant-Man, qui a échappé à la purge en barbotant dans son petit monde quantique.
À partir de là, c’est la découverte d’un moyen abracadabrantesque pour remonter le temps et choper les pierres de l’infini avant Josh Brolin (Thanos, donc).
Déchaînement d’effets numériques et de plans de caméra approximatifs
Les frères Russo en profitent pour revisiter quelques séquences des films précédents, dans le contrechamp, à la manière d’un Retour Vers le Futur 2 mais sans les conséquences sur l’espace-temps, puisque personne, à la tête de ce film, n’a vraiment envie de se creuser les méninges. Voilà donc nos héros amener à provoquer quantité de changements – voire catastrophes – dans le passé, sans qu’une modification de leur présent ou avenir ne soit mise en scène.
C’est plutôt une série de saynètes comme autant d’hommages à toute cette série de films produits sur une décennie, un gros colloque d’entreprise en forme de déférence à l’accomplissement héroïque et commercial d’une approche cinématographique qui, qu’on le veuille ou non, a changé en profondeur la manière des spectateurs de consommer du divertissement.
Avec tout ça, on s’ennuierait presque. Surtout qu’à trois heures sur ce régime, assaisonné de blagues de cour d’école comme c’est l’habitude chez Marvel, de phrases sentencieuses un peu ridicules et de petits combats découpés à la va-vite, il devient difficile de rester concentré.
Arrive alors la bataille finale, celle qui réglera tout, entre tous les héros aperçus ou entraperçus depuis le premier Iron Man et les armées du Thanos du passé, celui qui n’a pas encore claqué du doigt.
Devant ce déchaînement d’effets numériques et de plans de caméra approximatifs, on repense – et c’est cruel – à Ready Player One, comment Spielberg découpait ses séquences, faisait virevolter sa caméra, composait sa bataille.
Ici c’est un peu la déprime, comme toujours chez les frères Russo. Leur seul objectif : donner à chacun son moment de gloire. De surenchère en surenchère, il devient clair que le film n’est piloté par aucune vision artistique, aucun sens de la mise en scène. Tout le monde peut revenir pour la danse finale, un bal des enfers qui assomme le spectateur de sa pyrotechnie bancale, où les infographistes par dizaines se démènent pour remplir les fonds verts.
Un blockbuster de série en phase terminale.
Les rebondissements de fin de saga, avec son lot de morts iconiques qui n’arrivent pas au même seuil d’émotion que chez Zach Snyder quand il met en scène la mort de Superman, trouve toutefois le moyen de surprendre le spectateur.
Si le public trouvera son spectacle pachydermique, en y regardant de plus près, c’est très peu comme réjouissances. Le spectacle se définit en cinéma qui ne veut pas faire du cinéma, s’évertuant à s’ériger en revue luxueuse des succès passés, pour se glorifier de ses triomphes. N’ayant pas peur d’afficher la vacuité de ce qu’il raconte, Endgame, boursouflure de trop (à l’image du ventre de Thor) dans le paysage des films adaptés de comic books, s’effondre sur lui-même et laisse dubitatif sur l’état du cinéma à grand spectacle américain. En ayant imposé ce modèle d’ « univers cinématographique » que les autres studios ont essayé, sans le même succès, de reproduire, Disney/Marvel en propose aujourd’hui la déclinaison la plus boiteuse, la plus malade. Un blockbuster feuilletonnant en phase terminale.
Critique de Franck Lalieux
Sorties de la semaine du 24 avril 2019
Copyrights : Marvel Studio, The Walt Disney Company France