Davantage épopée mythologique que film de super-héros, Les Éternels étonne par sa profondeur philosophique, sa noirceur de ton et la classe de sa réalisation. Chloé Zhao n’a pas à rougir de cette incursion dans un genre qui lui était jusque-là étranger.

Synopsis : Depuis l’aube de l’humanité, les Éternels, un groupe de héros venus des confins de l’univers, protègent la Terre. Lorsque les Déviants, des créatures monstrueuses que l’on croyait disparues depuis longtemps, réapparaissent mystérieusement, les Éternels sont à nouveau obligés de se réunir pour défendre l’humanité…

A l’origine, un comics méconnu

Critique : Lorsqu’il réintègre l’équipe Marvel en 1975 après une longue période de brouille avec Stan Lee, le dessinateur Jack Kirby envisage de créer ses propres séries sur lesquelles il souhaite avoir une entière liberté de création. Il impose ainsi dès le mois de janvier 1976 une nouvelle équipe de super-héros nommée Les Éternels. Malgré la puissance des planches du dessinateur-star, la série ne décolle pas vraiment en termes de vente et s’interrompt au 19^ème numéro. Elle sera ensuite régulièrement relancée par d’autres équipes artistiques au cours des décennies suivantes sans jamais rencontrer le succès.

Photo courtesy of Marvel Studios. ©Marvel Studios 2021. All Rights Reserved.

Il était donc étonnant que Marvel décide de consacrer un film entier à cette équipe, d’autant plus que le budget alloué dépasse allègrement les 200 millions de dollars, fondés cette fois sur un support dessiné sans grande notoriété auprès du grand public. Pire, les pontes de Marvel font le choix de confier cette adaptation à la réalisatrice Chloé Zhao qui est surtout reconnue pour ses magnifiques films d’auteur intimistes comme The Rider (2017) et Nomadland (2020) qui a d’ailleurs remporté l’Oscar du meilleur film en 2021.

Et si l’Homme était son principal ennemi ?

Autre choix étonnant, on notera peu de grands noms à l’affiche de cette production, hormis Angelina Jolie et Salma Hayek, dans deux beaux rôles, mais finalement assez secondaires, puisque le film est surtout l’histoire d’un collectif. Tous ces éléments peuvent expliquer le peu d’intérêt du grand public vis-à-vis de cette sortie, d’autant que les affiches n’étaient guère engageantes. Pourtant, Les Éternels s’avère être une très bonne surprise puisque Chloé Zhao n’a pas à avoir honte de son long-métrage, sans nul doute l’un des plus intéressants produits par les studios Marvel depuis bien longtemps, et sans conteste le plus ambitieux.

Ainsi, le scénario parcoure les siècles avec une belle science du flashback, sans que le spectateur soit perdu. Il revient sur plusieurs périodes de l’histoire humaine, réfléchissant notamment sur la capacité d’évolution de l’espèce, mais aussi sur sa tendance à l’autodestruction et au génocide. Témoins de l’évolution sur plusieurs siècles, les Éternels ne sont pas tant des super-héros que des simili divinités qui nous renvoient forcément à la mythologie, quelle soit grecque ou latine. En observateur parfois contraints de ne pas intervenir, ils souffrent en même temps que l’espèce humaine et se sentent souvent impuissants face aux tendances suicidaires de ces êtres qu’ils apprennent pourtant à aimer.

Photo courtesy of Marvel Studios. ©Marvel Studios 2021. All Rights Reserved.

Une certaine noirceur de ton

Au cœur de ce groupe foisonnant, Chloé Zhao prend le temps de développer la psychologie de chaque Eternel et de leur donner une épaisseur rarement aperçue dans le genre. Ainsi, on adore les tentations de traitrise des uns, la volonté d’intervention des autres ou encore la passivité de quelques-uns. Le ton n’est clairement pas au badinage et même si certains personnages ont pour mission de détendre l’atmosphère (on pense notamment aux deux comiques indo-pakistanais Kumail Nanjiani et Harish Patel), l’ambiance générale est plutôt sombre, voire franchement cruelle dans certaines scènes.

Effectivement, Les Éternels ose briser une règle majeure du genre en supprimant l’idée d’antagoniste et en nuançant le propos de telle façon qu’aucun protagoniste ne peut vraiment être qualifié de héros ou de méchant. Chloé Zhao a donc eu l’intelligence d’injecter de l’humain et de la subtilité dans un genre qui appelle inévitablement le manichéisme.

Les Éternels propose une esthétique travaillée, malgré quelques ratés

En outre, la réalisatrice a été capable, avec l’aide de ses équipes de graphistes, de proposer des décors superbes et même des plans très impressionnants dans la dernière partie. Cela faisait longtemps qu’un film à grand spectacle ne nous avait pas fait frissonner face à des plans de toute beauté. Ce bon goût se retrouve également dans le choix de la musique, moins martiale et intrusive qu’à l’accoutumée. On adore notamment le choix très pertinent de la chanson Time de Pink Floyd lors du générique de début.

Malgré cette excellente impression générale, Les Éternels pâtit tout de même de quelques défauts. Ainsi, les effets spéciaux lors de la bataille près du volcan ont semble-t-il été bâclés. Il faut dire que le long-métrage a été entièrement produit, tourné et finalisé durant la crise de la Covid-19. Enfin, on peut regretter le rattachement du film au Marvel Cinematic Universe de manière poussive et plutôt maladroite. Evoquer Thanos et les Avengers, ou encore suggérer la venue future du Chevalier Noir dans l’inévitable séquence post-générique ne sert absolument à rien d’un point de vue thématique à une œuvre qui se suffisait largement à elle-même sans qu’on nous rappelle sans cesse qu’elle s’intègre dans un univers plus vaste.

Des résultats décevants au box-office

Sans doute considéré comme trop lent par les amateurs d’un cinéma plus rentre-dedans, Les Éternels a vraiment le grand mérite de proposer du neuf au sein d’un genre qui tourne sérieusement en rond depuis plusieurs années maintenant et dont on n’attend plus grand-chose.

Sorti dans les salles dans un contexte compliqué post-Covid, ce 26^ème opus du MCU a déçu les attentes des producteurs en ne cumulant que 164,8 M$ pour un budget de plus de 200 millions. A l’international, le long-métrage a fini sa carrière autour des 400 millions de billets verts, ce qui n’en fait pas un hit. Il faut dire que la présence d’une scène d’homoparentalité a choqué les consciences en Chine et dans les pays musulmans. Renonçant à couper cette séquence, Disney a condamné son film à ne pas sortir sur ces marchés émergents qui rapportent en principe beaucoup.

En France, le résultat de 1,7 million de spectateurs est également décevant. Notons toutefois que les premiers numéros d’une nouvelle franchise, même estampillée Marvel, ont rarement performé au box-office en France. Ceci est d’autant plus vrai avec ce groupe qui est généralement méconnu du grand public. Pourtant, les cinéphiles auraient tort de ne pas tenter l’aventure, bien plus enthousiasmante que bien des blockbusters récents.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 3 novembre 2021

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