Avec sa trilogie du Parrain, Francis Ford Coppola a signé le film de gangsters ultime, doublé d’une tragédie familiale bouleversante. Attention, chef-d’œuvre !
Le parrain
Synopsis : En 1945, à New York, les Corleone sont une des cinq familles de la mafia. Don Vito Corleone, “parrain” de cette famille, marie sa fille à un bookmaker. Sollozzo, ” parrain ” de la famille Tattaglia, propose à Don Vito une association dans le trafic de drogue, mais celui-ci refuse. Sonny, un de ses fils, y est quant à lui favorable. Afin de traiter avec Sonny, Sollozzo tente de faire tuer Don Vito, mais celui-ci en réchappe. Michael, le frère cadet de Sonny, recherche alors les commanditaires de l’attentat et tue Sollozzo et le chef de la police, en représailles.
Coppola orchestre un ballet de la violence
Critique : En 1972, Francis Ford Coppola, tout juste sorti de l’écurie de Roger Corman, se voit confier une œuvre de commande qui bouleversa totalement sa carrière : il accepte, en effet, de réaliser un film de gangsters tiré d’un roman à succès de Mario Puzo et parvient à hisser le matériau d’origine au-delà de toute espérance.
Rendant un hommage appuyé aux films policiers des années 30, notamment au travers de la lumière très travaillée et volontairement obscure de Gordon Willis, le cinéaste donne une ampleur opératique à ce ballet de la violence. Préférant reconstituer avec précision les rites de la mafia, l’auteur délaisse volontairement l’action pure et se concentre plutôt sur les coulisses du crime organisé, suivant pas à pas les tractations entre les différentes familles. La première longue séquence du mariage est emblématique du style Coppola : grâce à l’utilisation intensive et habile du montage alterné, celui-ci nous présente à la fois l’endroit et l’envers du décor.
Une tragique histoire familiale avant tout
On note d’ailleurs une certaine fascination du cinéaste pour ces hommes d’honneur, passant volontairement sous silence les conséquences de leurs “affaires” au profit d’une histoire familiale digne des meilleurs mélodrames italiens. La grande force du metteur en scène est d’avoir réussi à rendre sympathique des êtres finalement ignobles, afin de mieux nous faire ressentir la tragédie qui finit forcément par les toucher.
Coppola montre également avec un talent incomparable le passage d’un monde dominé par l’honneur à un univers dirigé par l’argent. Mais Le parrain (1972) ne serait pas un tel chef-d’œuvre sans la contribution majeure de la splendide musique de Nino Rota, ainsi que la participation d’acteurs au top niveau. Marlon Brando, avec sa voix cassée et son visage bouffi, a créé la figure ultime du mafieux, à la fois fascinant, terrifiant et émouvant. Quant à Al Pacino, il incarne le fils le plus gentil et séduisant avec une force incroyable et on le voit peu à peu se transformer en futur caïd impitoyable. Enfin, tout le casting, de James Caan à Robert Duvall en passant par Diane Keaton, est dirigé de main de maître par un cinéaste décidément très inspiré.
Un triomphe qui appelait une suite
L’énorme succès rencontré par ce très grand film de gangsters s’est doublé d’un succès critique imposant, permettant au Parrain de glaner trois Oscars dont celui du meilleur film et du meilleur acteur pour Marlon Brando. Pourtant, il est aujourd’hui difficile de juger ce premier volet tel quel puisqu’il s’inscrit parfaitement dans une géniale trilogie dont le sommet est sans aucun doute constitué par le deuxième épisode.
Le parrain, 2ème partie
Synopsis : Depuis la mort de Don Vito Corleone, son fils Michael règne sur la famille. Amené à négocier avec la mafia juive, il perd alors le soutien d’un de ses lieutenants, Frankie Pentageli. Echappant de justesse à un attentat, Michael tente de retrouver le coupable, soupçonnant Hyman Roth, le chef de la mafia juive. Vito Corleone, immigrant italien, arrive à New York au début du siècle ; très vite, il devient un des caïds du quartier, utilisant la violence comme moyen de régler toutes les affaires. Seul au départ, il bâtit peu à peu un véritable empire, origine de la fortune de la famille des Corleone.
Une suite nettement plus ambitieuse
Critique : Face au succès planétaire du premier volet, le studio Paramount commande en 1974 une suite à Francis Ford Coppola, peu enclin à remettre le couvert après les innombrables difficultés rencontrées lors du premier tournage. Après avoir essayé d’imposer le nom de Martin Scorsese comme réalisateur, Coppola s’incline et réclame un budget de treize millions de dollars (soit deux fois plus que pour Le Parrain) qu’il obtient sans problème.
Cette fois-ci, le projet du cinéaste est bien plus ambitieux et prévoit des sauts temporels particulièrement osés : il tient à décrire avec précision l’ascension du jeune Don Vito Corleone au début du siècle, tout en racontant la suite des aventures du fiston Michael dans les années 50. Le but est bien de montrer une certaine transmission de la violence, véritable tradition partie de Sicile pour se diffuser jusqu’aux Etats-Unis, par le biais de l’immigration.
Une page d’histoire des Etats-Unis s’écrit devant nos yeux ébahis
La richesse visuelle et thématique de ce deuxième volet est époustouflante et permet de dresser un portrait de l’Amérique sur plus d’un demi-siècle. Toutes les scènes en Sicile sont magnifiques, baignées dans une lumière quasi divine de Gordon Willis, et fleurant bon la nostalgie grâce à la splendide partition de Nino Rota. Les reconstitutions d’époque font preuve d’un soin maniaque incroyable, comme le prouve l’impressionnante séquence à Ellis Island, porte d’entrée des Etats-Unis pour tous les migrants européens.
Ne pouvant pas reprendre Marlon Brando pour des raisons d’âge, mais aussi de contrats, Coppola choisit de donner sa chance au jeune Robert De Niro qui compose un Vito Corleone à la présence magnétique et envoutante. Pour de simples raisons de logique narrative, il ne rencontre pourtant jamais l’excellent Al Pacino dont le personnage est de plus en plus dur et impitoyable, obligé d’en arriver au crime de sang pour pouvoir affirmer son autorité et son pouvoir.
Le Parrain, 2ème partie sacré par six Oscars
Francis Ford Coppola transforme alors son film de gangsters en une tragédie bouleversante, donnant une épaisseur supplémentaire à une œuvre pourtant déjà très forte. Les innombrables qualités de ce film, en tout point supérieur au premier, en ont fait un succès international (même si les chiffres français sont plutôt décevants par rapport à l’original). Pour la première fois dans l’histoire du cinéma, une suite a obtenu plus de récompenses que l’original : six Oscars ont été décernés pour cette œuvre dont celui de meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur de second rôle pour Robert De Niro et meilleure musique. Autant d’honneurs amplement mérités pour ce chef-d’œuvre inaltérable.
Le parrain, 3ème partie
Synopsis : Atteignant la soixantaine, Michael Corleone est fatigué. Il veut prendre ses distances avec les activités mafieuses de sa famille et veut les convertir en affaires légales. Kay, son ex-femme, lui fait même accepter que leur fils devienne un chanteur d’opéra et ne reprenne pas les activités familiales. Pendant ce temps, la fille de Michael, Mary, et son neveu, le fils de Sonny, Vincent, nouent une idylle qui n’est pas la bienvenue dans la famille. Michael décide d’aider le Vatican à renflouer ses caisses et reçoit en échange le contrôle d’une entreprise immobilière leur appartenant. Attisant la jalousie de ses pairs, Michael échappe de justesse à un attentat commis par l’un d’eux. Vincent se propose alors pour reprendre les affaires de la famille en main…
Troisième volet tardif, le film est en manque de légitimité
Critique : On dit souvent que les héros sont fatigués, mais ce nouvel opus de la saga du Parrain nous prouve que cet état peut aussi concerner les gangsters. Usé par toutes ces années au service du crime organisé, Michael Corleone cherche à se payer une respectabilité par le biais d’œuvres de charité données à la très sainte Eglise catholique. Il sera pourtant vite rattrapé par un passé plus difficile à oublier que prévu. Mis en chantier sur le tard (seize ans après le second épisode) afin de renflouer les caisses de la société de Francis Ford Coppola – éprouvée par plusieurs déconvenues – cette troisième partie a fait couler beaucoup d’encre lors de sa sortie.
Nombreux sont ceux qui se demandaient quelle était la légitimité d’une telle suite et si le cinéaste allait se montrer à la hauteur des espérances. Au vu du résultat, il n’est pas interdit d’être rassuré car Coppola ne trahit à aucun moment l’esprit de la saga et signe même un film à la beauté tragique, insoupçonnée au départ.
Coppola s’en prend au Vatican
Tout d’abord, l’auteur ose dénoncer certaines manigances financières de l’Eglise catholique, dont les rites sont observés avec autant de rigueur que ceux de la mafia. En ces années de politiquement correct, cette accusation portée contre une si respectable institution fait tout de même beaucoup de bien, d’autant qu’elle est parfaitement fondée.
Ensuite, le cinéaste approfondit encore un peu plus la psychologie des personnages et fait du remord le sujet principal de son film. Peut-on réussir à mourir en paix avec soi-même lorsque l’on a autant de victimes et de sang sur les bras ? La religion seule peut-elle arriver à laver un homme de toutes ses fautes ?
Autant de questions posées lors de séquences intimistes portées par l’interprétation bouleversante d’Al Pacino. Rongé par la culpabilité, par la douleur d’avoir été à l’origine de l’assassinat d’un de ses frères, l’acteur se consume devant la caméra et meurt un peu plus à chaque instant, jusqu’au déchirant point final faisant écho à la mort de Marlon Brando dans le premier opus.
Un final déchirant qui n’a pas rencontré le succès
Certes, le film est parfois inégal et souffre d’une chute de rythme évidente à mi-parcours, mais le metteur en scène nous bluffe à nouveau avec les séquences du carnage des mafieux et surtout la fin tragique à l’opéra. Faisant preuve d’un souffle imparable, ces scènes permettent à cette dernière partie de conclure en beauté une ambitieuse et magnifique trilogie.
Malheureusement, Le Parrain, 3ème partie (1990) a été un échec cinglant, notamment en France où ils ne furent que 364 917 spectateurs à faire le déplacement dans tout l’Hexagone. Une sacrée douche froide si l’on compare aux quatre millions d’entrées du premier volet (mais dans un contexte très différent, bien entendu). Pourtant, à revoir aujourd’hui, le long-métrage a bel et bien sa place au sein de cette trilogie remarquable et ne démérite pas.
En décembre 2020, Paramount propose un director’s cut, intitulé Le Parrain Epilogue, la mort de Michael Corleone d’une durée de 2h38min.
Critique des films par Virgile Dumez