Thriller érotique interdit aux moins de 16 ans sur-médiatisé en raison de la présence de Madonna au sommet de la gloire et de la provocation, Body of Evidence (simplement Body en France) est pourtant l’un des flops de 1993.
Synopsis : Rebecca Carlson, propriétaire d’une galerie d’art, est accusée d’avoir assassiné John Marsh, son vieil amant fortuné mais cardiaque, en exigeant de lui d’épuisantes performances sexuelles. La jeune femme comparaît devant le procureur Robert Garrett, qui est bien décidé à prouver sa culpabilité. Deux témoignages accablent la jeune femme : celui de la secrétaire de Marsh et celui du docteur Paley, dont Rebecca fut autrefois la maîtresse. Lors de l’audience, les jurés apprennent également que Rebecca avait, dans le passé, un amant malade du cœur, et qu’elle l’a volontairement quitté après sa guérison. Frank Dulaney, l’avocat de Rebecca, parvient à réduire à néant ces témoignages. Séduit par sa cliente, il ne parvient pas à lui résister longtemps…
Dino De Laurentiis veut (encore) Madonna
Critique : Si en 1991, elle était à la pointe de la provocation avec le documentaire musical In bed with Madonna, plus gros bain de foule de l’histoire contemporaine à Cannes qui sera copié à l’infini dans les années 2000 par toutes les damoiselles de la pop, et si elle avait eu l’audace en 1992 d’accomplir ce qu’aucune autre star de la musique n’avait jamais osé faire auparavant, à savoir un recueil de photos érotiques crues où elle mettait en scène un éventail de fantasmes insolites (le bouquin de Steven Meisel, SEX), la madone se laisse guider par la facilité en 1993 avec le film Body of Evidence, cédant à la proposition d’un géant du cinéma italien bien implanté aux USA sans pour autant être convaincu par le script plat qu’on lui propose.
Dino de Laurentiis qui a déjà travaillé avec la vedette sur la sortie de son documentaire couvrant le Blond Ambition, se souvient de la tornade médiatique que fut In Bed With Madonna. Sa nouvelle société, Dino De Laurentiis Communications, avait apporté son savoir-faire au trépidant marketing salle du film événement jusqu’à la présentation sur la Croisette, en sélection officielle – hors compétition. Le nabab italien veut absolument consolider cette collaboration et souhaite lui confier le script d’un certain Brad Mirman. Ce dernier n’avait pas encore commis de vraie bévue, mais avec trois décennies de recul, on pense immédiatement au péché originel que ce fut de l’engager.
© Dino De Laurentiis Communications. Metro-Goldwyn-Mayer. Tous Droits Réservés.
Un scénario bâclé par un acolyte de Christophe Lambert
Brad Mirman est effectivement un proche de Christophe Lambert alors dans l’impasse auprès des studios hollywoodiens. Il a notamment écrit et produit Face à face de Carl Schenkel (1992) ; il poursuivra une longue collaboration avec la star française sur des œuvres médiocres telles que Highlander III, Gideon, Resurrection, The Piano Player, ou encore Absolon… Etait-il le meilleur scénariste sur le marché, en 1992, lorsque le projet est lancé ? C’est peu probable, mais il va réécrire le script avec Madonna en tête, guidé par Dino qui veut sa revanche après avoir coulé son studio, De Laurentiis Entertainment Group, en raison des fiascos en série que furent King Kong II, Tai Pan, Maximum Overdrive, Blue Velvet... Dino De Laurentiis promettra même à la chanteuse une fin plus grinçante où son personnage diabolique de tueuse d’hommes mûrs s’en sort. Inéluctablement, lors de la dernière semaine de tournage, la fin est modifiée. Le personnage que joue Madonna ne peut s’en sortir vivant. Une femme affirmant sa sexualité de façon ouverte doit forcément mourir, ironisera Madonna, confiant n’avoir eu aucun contrôle sur ces décisions.
Madonna interdite aux moins de 16 ans et censurée aux USA
Idole des jeunes, Madonna en 1993 devient pourtant la vedette d’un film interdit aux moins de 16 ans. La star est depuis quelques années le symbole d’une sexualité débridée, l’idole des homosexuels décimés par le sida, fléau qu’elle aborde avec franchise quand les médias américains font profil bas, et bouscule les tabous avec des scandales à répétition. Ces controverses jalonnent sa carrière, ce qui participe à une omniprésence médiatique sur du long terme qui restera depuis inédite : Like a Virgin aux MTV Awards, les clips érotiques d’Express Yourself, d’Open Your Heart, Justify My Love, Erotica, le scandale religieux et ethnique de Like a prayer, toutes ses prestations scéniques qui irritent le Vatican, et évidemment, l’apogée de la controverse avec le livre porno soft Sex, ouvrage artistique interdit aux mineurs qu’aucune vedette de son calibre ou non ne réitèrera tellement il était osé.
Les années 1988 – 1995 : Hollywood enlève la culotte
En 1992, le passage à l’érotisme au format long est alors comme une évidence pour une célébrité qui a décidé d’ériger la sexualité volontariste de la femme comme une priorité politique et qui lorgne depuis 1984 et Recherche Susan désespérément sur une carrière au cinéma. Comme à Hollywood la mode est au thriller érotique (Liaison fatale, Sea of Love, Présumé innocent, Jeux d’adultes, Sang chaud pour meurtre de sang-froid, JF partagerait appartement, Poison Ivy…), l’industrie du cinéma ne peut que se tourner vers la vamp de la pop dont les derniers films, Dick Tracy et Une équipe hors du commun viennent de dépasser les 100 millions de dollars.
Basic Instinct Vs Body of Evidence
Pourtant, là où Sharon Stone triomphe, Body of Evidence, que l’on a couramment traduit par ‘le corps du délit’ en son temps, est un échec notoire aux USA où la chanteuse critique le puritanisme ambiant, consciente qu’elle dérange le patriarcat local. Elle sera d’ailleurs la cible des Razzies, qu’elle gagnera à chaque fois, et Body raflera de nombreuses nominations, même si le thriller plat est loin de ce qu’il y a de pire dans la production américaine médiocre de cette époque. Mais Madonna qui vient de signer en 1992 un contrat historique de 60 millions de dollars avec Warner semble aussi irritée par le succès de Basic Instinct et en particulier celui de Sharon Stone. L’actrice de séries B, promue du jour au lendemain comme le sex-symbol mondial numéro 1, marche sur ses plates-bandes. Lorsque les journalistes en France, en janvier 1993, l’interrogent sur la proximité entre Body et Basic Instinct, la chanteuse feint parfois de ne pas connaître le film et l’actrice ou élude –, comme si elle semblait avoir du mal à gérer cette concurrence. Il faut dire que Madonna ne voulait pas plagier, ce n’est pas dans son style, mais elle a été pris de court. D’ailleurs elle se lance dans un thriller sur fond de procès comme Cher (Suspect dangereux) et Barbra Streisand (Cinglée) en 1987, sans qu’on ne reproche quoi que ce soit aux deux chanteuses-comédiennes.
© Dino De Laurentiis Communications. Metro-Goldwyn-Mayer. Tous Droits Réservés.
Madonna payée 2 millions et demi de dollars
Toutefois, en dehors des deux femmes fatales tueuses et la présence derrière la caméra de deux cinéastes européens sulfureux, la comparaison qualitative entre les deux thrillers ne va pas du tout dans le sens de Madonna. Body étant visuellement un téléfilm de luxe (30 millions de dollars de budget, tout de même, dont 2.5 millions pour l’actrice principale), torché par des professionnels en pleine crise de narcolepsie.
Body est une déception sur toute la ligne. Ce plagiat éhonté du chef-d’œuvre de sensualité et de perversité de Paul Verhoeven, est le constat d’une faute de goût patente, une erreur d’un collectif incapable de bon sens dont le marketing, accumulant les affiches les plus ratées, se fera le miroir.
Le film non secret de sexe et de masochisme de Madonna
Dans un rôle charnel, évoquant le sado-masochisme, le couple Madonna (accusée du meurtre d’un milliardaire cardiaque en utilisant son corps) et Willem Dafoe (son avocat qui s’y frotte d’un peu trop près) s’avère un repoussoir de désirs. Si glamour dans la période 1990-92, Madonna apparaît dans le film mal attifée, coiffée en mémère, dans des tenues faussement chic des années 40, qui déboussolent ceux habitués à la voir en diva sophistiquée chez David Fincher (les clips d’Express Yourself et Vogue). La chanteuse refuse en fait l’immédiateté du sex-appeal de papier glacé et comme toujours veut casser les codes de la beauté pour apparaître différente. Toutefois, le relooking vintage n’est cette fois-ci pas à son honneur. Elle ne fait pas renaître l’imagerie dominatrice de la femme forte des années 30-40 (Garbo, Dietrich, Lana Turner & Dita Parlo). Son jeu est par ailleurs faible. Mais comme l’actrice-chanteuse le reprochera à la critique de l’époque, dans le magazine britannique The Face, en octobre 1994, est-elle vraiment la seule responsable ?
« On m’a fait porté la responsabilité de tout. C’était comme si je l’avais écrit, produit, réalisé, et que j’étais la seule à jouer dedans. »
Effectivement, face à elle, Willem Dafoe (La dernière tentation du Christ, Mississipi Burning, Sailor & Lula), sex-symbol désincarné le temps d’un polar, affiche le sourire révolver qui flingue toute concupiscence. Au moins accepte-t-il les défis érotico masochistes du script et refusera de se laisser doubler durant la scène culte de la cire de bougie brûlante versée sur son torse par une Madonna malicieuse qui affirme haut et fort que ce personnage n’a rien à voir avec elle dans la vraie vie et qu’il n’est que pure fiction.
Uli Edel chassé d’Hollywood après le flop de Body of Evidence
Peu convaincant dans son casting (Anne Archer, Jürgen Prochnow, Joe Mantegna et même Julianne Moore en femme trompée qui a la lourde tâche de gifler la madone, n’apportent aucun relief), alors que le souvenir tout frais de Sharon Stone et de ses gambettes possédées laissaient encore un souvenir ravageur chez le public mâle de l’époque, Body enfile les mauvaises décisions, avec des décors sans envergure, une bande originale soporifique qui casse l’ambiance, une photographie de mauvaise toile érotique et un scénario pataugeant dans l’ineptie. Entre quelques scènes SM, dont la plus notoire celle de la bougie qui fit couler beaucoup de cire (et d’encre par la même occasion), l’ennui s’installe immédiatement. Il faut dire que le réalisateur allemand Uli Edel, choisi pour ses antécédents célèbres (Moi, Christine F… 13 ans, droguée, prostituée en 1981 et Dernière sortie pour Brooklyn en 1989, que la chanteuse avait particulièrement appréciés), ne contrôle en rien la situation. Il sera exclu du champ des studios et ne reviendra au cinéma aux USA, que vingt ans plus tard, avec le DTV avec Nicolas Cage, Pay the Ghost (2015).
Le bide laisse Madonna impénitente : “She’s not sorry“
Si en France, grâce à une promo active (la star était chez Dechavanne ou en couverture de Studio Magazine), une absence totale de concurrence et une présence dans des cinémas d’envergure (le Grand Rex, à Paris), le titre tiède fait illusion le temps d’une semaine, aux USA, en janvier 1993, c’est le naufrage pour Madonna qui connaît son plus gros four (13M$), après ceux de Shanghai Surprise (1986) et Who’s That Girl (1987). Ce revers ébranle toute la confiance regagnée en trois ans avec Dick Tracy (1990), In Bed with Madonna (1991), Une équipe hors du commun (1992) ou son passage chez Woody Allen dans Ombres et brouillard (1992). La star de la musique, qui repart en tournée en fin d’année, avec le Girlie Show et réapparaît courageusement sur les écrans des cinémas art et essai, avec Snake Eyes – les yeux du serpent d’Abel Ferrara (octobre 1993), commençait alors une traversée du désert qui n’allait prendre fin qu’en 1996 avec la sortie tonitruante du drame musical Evita d’Alan Parker. Malgré tout, comme à l’accoutumé, la star acculée ne regrettera pas d’avoir fait tomber une fois de plus son voile de pudeur. Elle en sort déçue, mais loin d’être repentante. De cette chasse à la sorcière qui comprend les mois de septembre 1992 à janvier 1993 (de la sortie d’Erotica, le single, jusqu’à la distribution du film Body of Evidence aux USA), elle en tirera en 1994 l’un de ses titres les plus emblématiques, Human Nature, avec ses lyrics culte : I’m not sorry – I’m not your bitch, don’t hang your shit on me.
Sorties de la semaine du 3 mars 1993
© Dino De Laurentiis Communications. Metro-Goldwyn-Mayer. Tous Droits Réservés.