Body (Body of Evidence) : la critique du film avec Madonna (1993)

Thriller érotique | 1h39min
Note de la rédaction :
5/10
5
Affiche française de Body, d'Uli Edel, avec Madonna

  • Réalisateur : Uli Edel
  • Acteurs : Madonna, Julianne Moore, Willem Dafoe, Jürgen Prochnow, Frank Langella, Joe Mantegna, Anne Archer, Mark Rolston
  • Date de sortie: 03 Mar 2023
  • Année de production : 1992
  • Nationalité : Américain
  • Titre original : Body of Evidence
  • Titres alternatifs : Corpo em Evidencia (Brésil), Body of Evidence - Il corpo del reato (Italie), El cuerpo del delito (Espagne), Corpo de Delito (Portugal), Body (Japon), Klædt af til mord (Danemark), Тіло як доказ (Ukraine), Pretul trupului (Roumanie), Тело как улика (Russie), A tanú teste (Hongrie)
  • Autres acteurs : Charles Hallahan, D. Scot Douglas, George Celik, Mario DePriest, Mark Rolston, Richard Riehle,
  • Scénariste : Brad Mirman, novélisé par Harrison Arnston sous le titre de Deadly Evidence
  • Directeur de la photographie : Douglas Milsome
  • Monteur : Thom Noble
  • Compositeur : Graeme Revell
  • Divers : David R. Ellis (assistant-réalisateur, cascades)
  • Producteurs : Dino De Laurentiis, Martin Moszkowicz, en coproduction avec Herman Weigel, Bernd Eichinger
  • Sociétés de production : Dino De Laurentiis Company, Constantin Film
  • Distributeur : AMLF (France), Metro-Goldwyn-Mayer (USA)
  • Editeur vidéo : PFC Vidéo (France, Pathé, Fox, Canal+, VHS), TF1 Vidéo (France, VHS), Metro-Goldwyn-Mayer (USA, DVD), Shout Factory (USA, blu-ray), Final Cut Entertainment (USA, DVD/Blu-ray)
  • Date de sortie vidéo : Janvier 1994 (VHS, France) / 16 juin 1993 (VHS & Laser Disc, USA), 1999 (VHS, France, réédition), décembre 2002 (DVD, USA), mai 2005 (DVD, France), 12 juin 2018 (blu-ray américain), 30 janvier 2023 (Blu-ray Britannique)
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 447 552 entrées / 120 900 entrées (8 semaines d'exploitation)
  • Box-office nord-américain : 13 273 595 $
  • Budget : 30 000 000$
  • Classification : Interdit aux moins de 16 ans
  • Formats : 1.85 : 1 / Couleur (35mm) / Dolby Stereo
  • Festivals et récompenses : 6 nominations aux Razzie Awards, dont 1 prix (pire actrice pour Madonna)
  • Illustrateur / Création graphique : © Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © 1992 Dino De Laurentiis Communications. © Metro-Goldwyn-Mayer. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Thriller érotique interdit aux moins de 16 ans sur-médiatisé en raison de la présence de Madonna au sommet de la gloire et  de la provocation, Body of Evidence (simplement Body en France) est pourtant l’un des flops de 1993.

Synopsis : Rebecca Carlson, propriétaire d’une galerie d’art, est accusée d’avoir assassiné John Marsh, son vieil amant fortuné mais cardiaque, en exigeant de lui d’épuisantes performances sexuelles. La jeune femme comparaît devant le procureur Robert Garrett, qui est bien décidé à prouver sa culpabilité. Deux témoignages accablent la jeune femme : celui de la secrétaire de Marsh et celui du docteur Paley, dont Rebecca fut autrefois la maîtresse. Lors de l’audience, les jurés apprennent également que Rebecca avait, dans le passé, un amant malade du cœur, et qu’elle l’a volontairement quitté après sa guérison. Frank Dulaney, l’avocat de Rebecca, parvient à réduire à néant ces témoignages. Séduit par sa cliente, il ne parvient pas à lui résister longtemps…

Dino De Laurentiis veut (encore) Madonna

Critique : Si en 1991, elle était à la pointe de la provocation avec le documentaire musical In bed with Madonna, plus gros bain de foule de l’histoire contemporaine à Cannes qui sera copié à l’infini dans les années 2000 par toutes les damoiselles de la pop, et si elle avait eu l’audace en 1992 d’accomplir ce qu’aucune autre star de la musique n’avait jamais osé faire auparavant, à savoir un recueil de photos érotiques crues où elle mettait en scène un éventail de fantasmes insolites (le bouquin de Steven Meisel, SEX), la madone se laisse guider par la facilité en 1993 avec le film Body of Evidence, cédant à la proposition d’un géant du cinéma italien bien implanté aux USA sans pour autant être convaincu par le script plat qu’on lui propose.

Dino de Laurentiis qui a déjà travaillé avec la vedette sur la sortie de son documentaire couvrant le Blond Ambition, se souvient de la tornade médiatique que fut In Bed With Madonna. Sa nouvelle société, Dino De Laurentiis Communications, avait apporté son savoir-faire au trépidant marketing salle du film événement jusqu’à la présentation sur la Croisette, en sélection officielle – hors compétition. Le nabab italien veut absolument consolider cette collaboration et souhaite lui confier le script d’un certain Brad Mirman. Ce dernier n’avait pas encore commis de vraie bévue, mais avec trois décennies de recul, on pense immédiatement au péché originel que ce fut de l’engager.

Lobby Card française 2 de Body avec Madonna

© Dino De Laurentiis Communications. Metro-Goldwyn-Mayer. Tous Droits Réservés.

Un scénario bâclé par un acolyte de Christophe Lambert

Brad Mirman est effectivement un proche de Christophe Lambert alors dans l’impasse auprès des studios hollywoodiens. Il a notamment écrit et produit Face à face de Carl Schenkel (1992) ; il poursuivra une longue collaboration avec la star française sur des œuvres médiocres telles que Highlander III, Gideon, Resurrection, The Piano Player, ou encore Absolon… Etait-il le meilleur scénariste sur le marché, en 1992, lorsque le projet est lancé ? C’est peu probable, mais il va réécrire le script avec Madonna en tête, guidé par Dino qui veut sa revanche après avoir coulé son studio, De Laurentiis Entertainment Group, en raison des fiascos en série que furent King Kong II, Tai Pan, Maximum Overdrive, Blue Velvet... Dino De Laurentiis promettra même à la chanteuse une fin plus grinçante où son personnage diabolique de tueuse d’hommes mûrs s’en sort. Inéluctablement, lors de la dernière semaine de tournage, la fin est modifiée. Le personnage que joue Madonna ne peut s’en sortir vivant. Une femme affirmant sa sexualité de façon ouverte doit forcément mourir, ironisera Madonna, confiant n’avoir eu aucun contrôle sur ces décisions.

Madonna interdite aux moins de 16 ans et censurée aux USA

Idole des jeunes, Madonna en 1993 devient pourtant la vedette d’un film interdit aux moins de 16 ans. La star est depuis quelques années le symbole d’une sexualité débridée, l’idole des homosexuels décimés par le sida, fléau qu’elle aborde avec franchise quand les médias américains font profil bas, et bouscule les tabous avec des scandales à répétition. Ces controverses jalonnent sa carrière, ce qui participe à une omniprésence médiatique sur du long terme qui restera depuis inédite : Like a Virgin aux MTV Awards, les clips érotiques d’Express Yourself, d’Open Your Heart, Justify My Love, Erotica, le scandale religieux et ethnique de Like a prayer, toutes ses prestations scéniques qui irritent le Vatican, et évidemment, l’apogée de la controverse avec le livre porno soft Sex, ouvrage artistique interdit aux mineurs qu’aucune vedette de son calibre ou non ne réitèrera tellement il était osé.

Les années 1988 – 1995 : Hollywood enlève la culotte

En 1992, le passage à l’érotisme au format long est alors comme une évidence pour une célébrité qui a décidé d’ériger la sexualité volontariste de la femme comme une priorité politique et qui lorgne depuis 1984 et Recherche Susan désespérément sur une carrière au cinéma. Comme à Hollywood la mode est au thriller érotique (Liaison fatale, Sea of Love, Présumé innocent, Jeux d’adultes, Sang chaud pour meurtre de sang-froid, JF partagerait appartement, Poison Ivy…), l’industrie du cinéma ne peut que se tourner vers la vamp de la pop dont les derniers films, Dick Tracy et Une équipe hors du commun viennent de dépasser les 100 millions de dollars.

Basic Instinct Vs Body of Evidence

Pourtant, là où Sharon Stone triomphe, Body of Evidence, que l’on a couramment traduit par ‘le corps du délit’ en son temps, est un échec notoire aux USA où la chanteuse critique le puritanisme ambiant, consciente qu’elle dérange le patriarcat local. Elle sera d’ailleurs la cible des Razzies, qu’elle gagnera à chaque fois, et Body raflera de nombreuses nominations, même si le thriller plat est loin de ce qu’il y a de pire dans la production américaine médiocre de cette époque. Mais Madonna qui vient de signer en 1992 un contrat historique de 60 millions de dollars avec Warner semble aussi irritée par le succès de Basic Instinct et en particulier celui de Sharon Stone. L’actrice de séries B, promue du jour au lendemain comme le sex-symbol mondial numéro 1, marche sur ses plates-bandes. Lorsque les journalistes en France, en janvier 1993, l’interrogent sur la proximité entre Body et Basic Instinct, la chanteuse feint parfois de ne pas connaître le film et l’actrice ou élude –, comme si elle semblait avoir du mal à gérer cette concurrence. Il faut dire que Madonna ne voulait pas plagier, ce n’est pas dans son style, mais elle a été pris de court. D’ailleurs elle se lance dans un thriller sur fond de procès comme Cher (Suspect dangereux) et Barbra Streisand (Cinglée) en 1987, sans qu’on ne reproche quoi que ce soit aux deux chanteuses-comédiennes.

Lobby Card française de Body avec Madonna

© Dino De Laurentiis Communications. Metro-Goldwyn-Mayer. Tous Droits Réservés.

Madonna payée 2 millions et demi de dollars

Toutefois, en dehors des deux femmes fatales tueuses et la présence derrière la caméra de deux cinéastes européens sulfureux, la comparaison qualitative entre les deux thrillers ne va pas du tout dans le sens de Madonna. Body étant visuellement un téléfilm de luxe (30 millions de dollars de budget, tout de même, dont 2.5 millions pour l’actrice principale), torché par des professionnels en pleine crise de narcolepsie.

Body est une déception sur toute la ligne. Ce plagiat éhonté du chef-d’œuvre de sensualité et de perversité de Paul Verhoeven, est le constat d’une faute de goût patente, une erreur d’un collectif incapable de bon sens dont le marketing, accumulant les affiches les plus ratées, se fera le miroir.

Le film non secret de sexe et de masochisme de Madonna

Dans un rôle charnel, évoquant le sado-masochisme, le couple Madonna (accusée du meurtre d’un milliardaire cardiaque en utilisant son corps) et Willem Dafoe (son avocat qui s’y frotte d’un peu trop près) s’avère un repoussoir de désirs. Si glamour dans la période 1990-92, Madonna apparaît dans le film mal attifée, coiffée en mémère, dans des tenues faussement chic des années 40, qui déboussolent ceux habitués à la voir en diva sophistiquée chez David Fincher (les clips d’Express Yourself et Vogue). La chanteuse refuse en fait l’immédiateté du sex-appeal de papier glacé et comme toujours veut casser les codes de la beauté pour apparaître différente. Toutefois, le relooking vintage n’est cette fois-ci pas à son honneur. Elle ne fait pas renaître l’imagerie dominatrice de la femme forte des années 30-40 (Garbo, Dietrich, Lana Turner & Dita Parlo). Son jeu est par ailleurs faible. Mais comme l’actrice-chanteuse le reprochera à la critique de l’époque, dans le magazine britannique The Face, en octobre 1994, est-elle vraiment la seule responsable ?

« On m’a fait porté la responsabilité de tout. C’était comme si je l’avais écrit, produit, réalisé, et que j’étais la seule à jouer dedans. »

Effectivement, face à elle, Willem Dafoe (La dernière tentation du Christ, Mississipi Burning, Sailor & Lula), sex-symbol désincarné le temps d’un polar, affiche le sourire révolver qui flingue toute concupiscence. Au moins accepte-t-il les défis érotico masochistes du script et refusera de se laisser doubler durant la scène culte de la cire de bougie brûlante versée sur son torse par une Madonna malicieuse qui affirme haut et fort que ce personnage n’a rien à voir avec elle dans la vraie vie et qu’il n’est que pure fiction.

Dossier Shanghai Surprise, avec Madonna, affiche 4X3

Illustrateur Jean Mascii – © 1986 HandMade Films

Uli Edel chassé d’Hollywood après le flop de Body of Evidence

Peu convaincant dans son casting (Anne Archer, Jürgen Prochnow, Joe Mantegna et même Julianne Moore en femme trompée qui a la lourde tâche de gifler la madone, n’apportent aucun relief), alors que le souvenir tout frais de Sharon Stone et de ses gambettes possédées laissaient encore un souvenir ravageur chez le public mâle de l’époque, Body enfile les mauvaises décisions, avec des décors sans envergure, une bande originale soporifique qui casse l’ambiance, une photographie de mauvaise toile érotique et un scénario pataugeant dans l’ineptie. Entre quelques scènes SM, dont la plus notoire celle de la bougie qui fit couler beaucoup de cire (et d’encre par la même occasion), l’ennui s’installe immédiatement. Il faut dire que le réalisateur allemand Uli Edel, choisi pour ses antécédents célèbres (Moi, Christine F… 13 ans, droguée, prostituée en 1981 et Dernière sortie pour Brooklyn en 1989, que la chanteuse avait particulièrement appréciés), ne contrôle en rien la situation. Il sera exclu du champ des studios et ne reviendra au cinéma aux USA, que vingt ans plus tard, avec le DTV avec Nicolas Cage, Pay the Ghost (2015).

Le bide laisse Madonna impénitente : “She’s not sorry

Si en France, grâce à une promo active (la star était chez Dechavanne ou en couverture de Studio Magazine), une absence totale de concurrence et une présence dans des cinémas d’envergure (le Grand Rex, à Paris), le titre tiède fait illusion le temps d’une semaine, aux USA, en janvier 1993, c’est le naufrage pour Madonna qui connaît son plus gros four (13M$), après ceux de Shanghai Surprise (1986) et Who’s That Girl (1987). Ce revers ébranle toute la confiance regagnée en trois ans avec Dick Tracy (1990), In Bed with Madonna (1991), Une équipe hors du commun (1992) ou son passage chez Woody Allen dans Ombres et brouillard (1992). La star de la musique, qui repart en tournée en fin d’année, avec le Girlie Show et réapparaît courageusement sur les écrans des cinémas art et essai, avec Snake Eyes – les yeux du serpent d’Abel Ferrara (octobre 1993), commençait alors une traversée du désert qui n’allait prendre fin qu’en 1996 avec la sortie tonitruante du drame musical Evita d’Alan Parker. Malgré tout, comme à l’accoutumé, la star acculée ne regrettera pas d’avoir fait tomber une fois de plus son voile de pudeur. Elle en sort déçue, mais loin d’être repentante. De cette chasse à la sorcière qui comprend les mois de septembre 1992 à janvier 1993 (de la sortie d’Erotica, le single, jusqu’à la distribution du film Body of Evidence aux USA), elle en tirera en 1994 l’un de ses titres les plus emblématiques, Human Nature, avec ses lyrics culte : I’m not sorry – I’m not your bitch, don’t hang your shit on me.

Frédéric Mignard

Sorties de la semaine du 3 mars 1993

Affiche française de Body, d'Uli Edel, avec Madonna

© Dino De Laurentiis Communications. Metro-Goldwyn-Mayer. Tous Droits Réservés.

Madonna, La Isla Bonita : histoire d’un tube

Box-office :

La carrière de Body of Evidence fut vite pliée aux USA, avec un week-end d’investiture à 7.3M$ en 4 jours, puisqu’il faut lui ajouter le jour férié du Martin Luther King Day, qui n’était pas forcément désastreux, et une baisse en 9e place pour son second week-end à 3M$.

Le thriller érotique d’Uli Edel était pourtant programmé dans 2050 cinémas, mais les critiques assassines et la réalité artistique du film en ont fait un vrai objet de méfiance pour le public et les exploitants. En moins d’un mois, Body est retiré de l’affiche, avec 13M$ de recettes.

Le Studio Canal + y croit vraiment

Est-ce grave docteur? Pour les Français du Studio Canal + (l’ancêtre de StudioCanal) qui en ont acheté les droits d’exploitation pour la France, pas forcément. Shanghai Surprise et surtout Who’s That Girl avaient surpris en réalisant des scores convenables malgré leurs bides retentissants en Amérique du Nord.

Le Studio Canal + qui a acheté les droits salle et vidéo pour la France et le distributeur AMLF qui apporte son savoir-faire décident de soigner la sortie du thriller qu’ils transforment en véritable blockbuster, puisqu’il s’agit de reproduire (du moins un peu) le succès spectaculaire de Basic Instinct qui avait clôturé l’année 1992 en tête du box-office hexagonal, avec plus de 4 millions de spectateurs et ce malgré une lourde interdiction aux moins de 16 ans.

Body of Evidence s'affiche

© Dino De Laurentiis Communications. Metro-Goldwyn-Mayer. Tous Droits Réservés. All Rights Reserved

Bénéficiant d’une version intégrale, contrairement à la copie présentée dans les salles américaines, le distributeur AMLF et Le Studio Canal +jouent sur une promo visuelle moins hasardeuse que celles déclinées dans le monde. Body of Evidence, peu importe le titre qu’il a pu revêtir sur les marchés internationaux, s’est en effet caractérisé par une ribambelle d’affiches historiquement monstrueuses. Un cas d’école que la France ne réitère pas en choisissant une certaine forme d’élégance qui sied bien au métrage.

Surtout, le distributeur peut compter sur la venue de Madonna en personne, à la mi-janvier 1993, pour une flopée d’interviews qui va inonder les kiosques. La star qui aime la France et ne manque pas une occasion de travailler avec nos compatriotes, revient volontiers à peine trois mois après un cirque médiatique surréaliste, en octobre 1992, où elle était déjà apparue, pour présenter l’album Erotica et le livre Sex notamment dans l’émission politique 7/7 d’Anne Sinclair.

AMLF a confié la gestion de la venue de la star et de Body à l’agence Bonne Question qui fait un travail de titan, avec l’aide de l’attaché de presse François Guerrar qui, quelques années auparavant, avait débuté chez Jacques Leitienne, en vendant à la presse des films de Max Pécas. Une magnifique ascension. Ils feront un beau travail. Toute la presse française veut encore Madonna, même si les questions qu’elle posera à l’actrice ne seront pas vraiment au niveau.

La presse se lâche dans une misogynie ambiante

Henry Jean-Servat qui apprécie plutôt le film en évoquant “un jeu de massacre et aussi gigantesque crachat à la face de règles archaïques qu’elle refuse“, lui demande, en pleine crise du sida : Vous prônez l’usage du préservatif? Et Madonna de répondre par l’affirmatif. Avant l’affirmation douteuse du journaliste : Mais il n’y a rien de bien révolutionnaire dans vos propos... Au moins, il tirera de Madonna : “Je suis une grande admiratrice de George Bataille. Je crois qu’avoir un orgasme, c’est comme mourir.”

Pour France Soir, Monique Pantel et Richard Gianorio se lâchent :

Votre numéro érotique n’est-il pas réchauffé ?“, “Et vous faites aussi beaucoup l’amour. A ce sujet, vous préférez quoi, l’amour oral ou anal ? Etes-vous plus à l’aise nue ou habillée ?

Un florilège de misogynie que bien des chanteuses contemporaines ne supporteraient pas deux minutes mais qui était le lot quotidien de la femme artiste.

Un marketing qui vise l’ubiquité

Madonna, que l’on décrit froide au Ritz, face aux journalistes et à leurs attaques, se prête au jeu des questions pendant 9 heures. Elle sera de toutes les couvertures de magazine, oui, encore. De Studio Magazine à Paris Match, en passant par Vidéo 7, Télé Poche, le Magazine Gaumont, Pariscope… Elle est partout. Parallèlement, la star américaine enregistre deux émissions de télévision, la plus importante étant un prime raté chez Dechavanne, le samedi précédant la sortie du film. Une émission foireuse et ringarde, calquée sur le Coucou c’est nous qu’animait alors le présentateur, pas à la hauteur de la chanteuse. Le courant ne passe pas avec le présentateur qui vouera une rancœur éternelle à la star depuis lors. Le 3 mars, jour de la sortie du film, c’est au tour d’Isabelle Giordano de présenter un Journal du Cinéma de 45 minutes sur Canal+, évidemment.

Concernant la publicité, le Studio Canal + et AMLF se mettent d’accord sur une bande-annonce diffusée sur le Médiavision-Circuit A. Les images sont efficacement illustrées par une musique d’Enigma – projet concept de Michael Cretu, anciennement numéro 1 du top 50, très à la mode dans les bandes originales de films et les trailers, pour gagner en efficacité. Dans les boîtes de nuit, la société Night Screen diffuse le spot auprès des jeunes adultes que Body of Evidence veut séduire en priorité. N’étaient-ils pas les auditeurs de Like a Virgin neuf ans auparavant?

Le budget publicitaire alloué est de 4 750 000 francs, avec une campagne d’affichage qui portera sur différents espaces du 24 février au 8 mars, des affiches 120X160, des emplacements Twins dans les gares de province, une présence sur les colonnes Morris et le réseau Abribus, sans oublier les flancs droits des bus…

Body of Evidence, avec Madonna et Willem Dafoe, affiche américaine teaser (rare)

Les archives exclusives de Cinédweller © 1992 Metro-Goldwyn-Mayer. Tous Droits Réservés.

La revue corporatiste Le Film Français, en amont de la sortie, s’interroge sur la “sur-médiatisation” et ses conséquences sur la fréquentation. Le public se lassera-t-il de Madonna? La star numéro 1 mondiale est omniprésente depuis 7-8 ans en France avec, en particulier depuis 1990, les sorties consécutives de Dick Tracy, In Bed With Madonna, Une équipe hors du commun, la compilation The immaculate Collection, qui deviendra son disque le plus vendu dans le monde, l’album Erotica, le livre SEX, sans oublier la tournée mondiale du Blond Ambition

La droite ultra conservatrice monte à l’assaut

Quand finalement le thriller érotique sort en France, un fait divers accompagne la sortie. Gaumont se voit harcelée par un fanatique, via la réception de 5 000 lettres identiques qui reprochent à la société à la marguerite de devenir un “cinéma pornographique” en se faisant le vecteur des “turpitudes éhontées de cette créature (qui) ne sont pas du tout les valeurs dont la jeunesse a besoin”… Tout un poème qui déploie une forme de fanatisme inhérent à ces années où la star est perçue comme l’illustration de la décadence. A l’ère des réseaux sociaux, on lui reprochera même d’être diabolique, au service d’un réseau pédophile et de faire partie de l’Ordre des Illuminati. Finalement trente ans plus tard, rien n’a changé.

Le 3 mars 1993 Body of Evidence sort finalement dans 36 salles sur Paris et sa périphérie. Quatorze cinémas en intramuros propose la production américaine :

l’UGC Normandie, le Paramount Opéra, le Mistral, le Nation, le Forum Horizon, le Pathé Wepler, Le Montparnasse, l’Impérial, l’UGC Danton, l’UGC Convention, le Grand Rex, l’UGC Lyon Bastille, l’UGC Gobelins.

 

Des chiffres français loin d’être aussi mauvais qu’aux USA

Le premier jour est très encourageant (11 529 spectateurs). Aucune autre sortie de taille essaie de faire face à la machine américaine que l’on croit bien huilée. Les 8 autres nouveautés (dont Sabine de Philippe Faucon, et Le pays des sourds de Nicolas Philibert) sont présentés au mieux dans 6 salles. Le directeur du Studio Canal + partage alors sa satisfaction et vante un “très bon résultat“.

Il devra déchanter très vite. En cette fin de crise du cinéma, marquée par la 6e semaine du phénomène Les visiteurs de Jean-Marie Poiré (dont on peut lire ses propos sur Madonna dans France Soir : j’aimerais la faire tourner, mais dans mon lit. Elle y serait mieux qu’au cinéma), Body trouve une deuxième place médiocre sur Paris-Périphérie, avec 63 736 entrées dans 36 salles. Certes, il est second, mais le battage médiatique laissait augurer des jours meilleurs. Sur l’ensemble de la France, le polar entre également en deuxième place, avec 194 000 entrées, mais beaucoup de villes font de la résistance : à Lyon, le film est 3e, à Caen également, à Grenoble, le rejet est total puisque la production Dino De Laurentiis se positionne seulement en 5e place malgré la réquisition de trois cinémas, même chose à Montpellier…

Un bouche-à-oreille catastrophique

Le point faible du polar chaud d’Uli Edel sera alors le bouche-à-oreille, catastrophique. Body accomplira douloureusement près de 50% de sa fréquentation lors de cette entame assez terne. La semaine suivante, le blockbuster du sexe rétrograde en 4e place avec 100 000 entrées sur le pays et 29 000 entrées sur P.P. Les films césarisés Les Nuits Fauves et Indochine lui passent devant. Le bide est acté.

Body reste une troisième semaine dans le top 10 français (56 445 entrées) et parisien (13 000 entrées). En 4e semaine, seuls 6 écrans en intra-muros essaient encore d’en tirer quelque chose (l’UGC Normandie, le Paramount Opéra, les Montparnos, le Forum Orient Express, le Pathé Clichy, et l’UGC Gobelins). Quatre semaines plus tard, seul le George V proposera un ultime écran aux 698 retardataires, pour un total d’à peine 120 000 Franciliens. Plus un seul cinéma en province ne se risque encore à le projeter. La messe est dite. La France catholique a-t-elle eu le dernier mot ?

Le corps du délit est meurtri, avec un total désarmant de 447 000 spectateurs sur l’ensemble de notre territoire, soit le 7e score de Madonna actrice en France, derrière Shanghai Surprise (478 000 entrées) et Un couple presque parfait (488 000). Who’s That Girl, en 1987, en avait réalisé pas moins de 818 000 et demeure en 2023 son deuxième plus gros succès personnel, derrière Recherche Susan Désespérément et ses 1 904 000 entrées.

Une version intégrale pour la vidéo

Body sortira dans la foulée en vidéo, en version intégrale aux USA où de nombreuses coupes lui avaient été imposées en salle pour éviter un classement NC-17. La France, qui a pu jouir de la version intégrale dès la salle, attendra janvier 1994 pour une VHS avec une parution à succès chez Fox Pathé Canal +.TF1 Vidéo ressortira la vidéocassette en 1999.

Un premier DVD américain, chez MGM, paraîtra en 2002. Il s’agit d’une édition bon marché, sans suppléments, à peine travaillée, réitérée à l’identique en France en 2005. Madonna qui a alors abandonné le cinéma en tant que comédienne pour se concentrer sur une carrière de chanteuse et de réalisatrice, ne semble plus intéresser ses fans au cinéma. C’est un fait.

Les trente ans de Body of Evidence

Pour jouir d’une version HD, il faut attendre 2018 et l’édition américaine de Shout Factory qui propose un blu-ray réitérant la malédiction des visuels laids qui caractérisa la sortie cinématographique. Final Cut Entertainment, au Royaume-Uni, célèbrera les 30 ans du long métrage avec un blu-ray, incluant en suppléments une interview du cinéaste. L’anniversaire du film restera somme toute très discret quand la parution en salle fut tonitruante. Les époques et le regard sur la sexualité ont bien changé. Dans la pop culture, Madonna y est pour beaucoup. Body y a forcément contribué à sa façon.

Que son Corps repose en paix.

Frédéric Mignard

Body of Evidence avec Madonna, jaquette de l'édition blu-ray britannique de Final Cut Entertainment (2023)

Jaquette de l’édition blu-ray britannique de Final Cut Entertainment (2023) © Dino De Laurentiis Communications. Metro-Goldwyn-Mayer. Tous Droits Réservés.

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Affiche française de Body, d'Uli Edel, avec Madonna

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