Shanghaï Surprise : la critique du film (1986)

Aventure, Comédie | 1h37min
Note de la rédaction :
3.5/10
3.5
Affiche de Shanghai Surprise avec Sean Penn et Madonna

  • Réalisateur : Jim Goddard
  • Acteurs : Madonna, Sean Penn, Victor Wong, Richard Griffiths, Philip Sayer
  • Date de sortie: 29 Oct 1986
  • Année de production : 1985
  • Nationalité : Américain, Britannique
  • Titre original : Shanghai Surprise
  • Titres alternatifs : Surpresa de Shanghai (Brésil), Las Aventuras de Madonna en Shanghai (Argentine, VHS), Shanghain yllätys (Finlande), Chok i Shanghai (Danemark), Sangay Bonita (Turquie)
  • Scénaristes : John Kohn, Robert Bentley
  • D'après le roman de : Tony Kenrick, Faraday's Flowers (Shanghai Surprise, de l'opium pour un missionnaire - Edition J'ai Lu)
  • Directeur de la photographie : Ernest Vincze
  • Monteur : Ralph Sheldon
  • Compositeur : George Harrison, Michael Kamen
  • Producteurs : John Kohn
  • Sociétés de production : Hand Made Films, The Vista Organisation
  • Distributeur : UGC Distribution (France), Metro-Goldwyn-Mayer (Etats-Unis)
  • Editeur vidéo : UGC Vidéo (VHS)
  • Date de sortie vidéo : 1987 (VHS)
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 478 430 entrées / 161 234 entrées
  • Box-office nord-américain : 2 315 000$
  • Budget : 17 000 000$
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 1.85 : 1 / Couleur (35mm) / Dolby Stereo
  • Festivals et récompenses : Razzie Award de la pire actrice (Madonna, 1987), et 4 nominations aux Razzies (Pire film, Pire acteur, Pire scénario, Pire chanson de film)
  • Illustrateur / Création graphique : © Jean Mascii (France), Casaro (Italie). Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © 1986. Hand Made Films. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Shanghai Surprise est officiellement le premier revers de la carrière de Madonna superstar. Un bide cinématographique qui émit les premiers doutes sur la capacité de la chanteuse à devenir une actrice à part entière. Retour dossier sur un flop monumental et surtout légendaire que Madonna et Sean Penn essaient désespérément d’oublier. 

Synopsis : Shangaï, années 30. Glendon Wasey, représentant en cravates, et Gloria Tatlock, une missionnaire, sont à la recherche d’une grosse quantité d’opium, mais chacun pour des raisons différentes. Elle en a besoin pour fabriquer un anesthésique tandis que pour lui l’opium lui servira à obtenir un billet de retour pour les Etats-Unis…

Dossier Shanghai Surprise, avec Madonna, affiche 4X3

Illustrateur Jean Mascii – © 1986 HandMade Films

1986, l’année des désastres cinématographiques

Critique : Shanghai surprise a été l’un des bides cinglants de l’année 1986 pourtant riche en accidents industriels iconiques. En effet, 1986 fut l’année de Howard le Canard produit par George Lucas, Legend avec Tom Cruise, Labyrinthe et Absolute Beginners avec David Bowie, Jack Burton dans les griffes du Mandarin de John Carpenter, Under the Cherry Moon avec Prince, Nuit de noces chez les fantômes, Massacre à la tronçonneuse 2 et L’invasion vient de Mars de Tobe Hooper, Maximum Overdrive de Stephen King, Wise Guys de Brian de Palma, Sans Pitié avec Richard Gere et Kim Basinger, 9 semaines 1/2, avec Basinger et Rourke, Enemy Mine de Wolfgang Petersen, Le flic était presque parfait de Michael Dinner, Tai-Pan avec Bryan Brown, Power les coulisses du pouvoir de Sidney Lumet, Manhattan Project, King Kong 2, Pirates de Polanski, Sky Bandits… Cette année-là, à Hollywood, c’était du quitte ou double.

Shanghai Surprise, premier flop officiel de Madonna dans une carrière de légende

Provocante. Irrésistible. Quand la plus grande star du moment chute au box-office, les journaux en font leurs choux gras. Shanghaï Surprise, deuxième effort cinématographique de la madone, engrange des pertes de plus de 15M$ au box-office américain. Tout Hollywood est en émoi : Madonna connaît officiellement le premier échec de sa carrière fulgurante, l’été même où paraît son troisième album, True Blue, qui restera, hors compilations, son blockbuster musical, avec plus de 25 millions de ventes.

Madonna entamait à peine quatre ans plus tôt son marathon avec le single Everybody en octobre 1982. Depuis, en pleine ascension, la jeune femme, mi-punk mi-nympho, cumule les hit-singles : Burning Up, Physical Attraction, Lucky Star, Holiday, Borderline, Like a Virgin, Material Girl, Crazy for You, Into the Groove, Dress You Up, Gambler... Même durant l’été où paraît Shanghai Surprise, les charts mondiaux s’embrasent encore sur ses 45 tours (Papa don’t Preach, True Blue), alors que l’artiste cumule deux premiers albums stellaires.

Pour Madonna, Shanghai Surprise devait être une confirmation. La tournée américano-américaine du Virgin Tour en 1985 a démontré les passions du public pour un personnage de crucifix et de froufrous qui a fait sauter l’audimat des MTV Awards, en 1984, dans une robe de mariée débordante de sexualité. Les jeunes Américaines sont des “Wannabes” et le phénomène s’exporte dans les salles avec la programmation d’une comédie indépendante totalement new wave, Recherche Susan Désespérément dont elle incarne la Susan tant convoitée. L’indie movie de Susan Seidelman suscite les passions.

Everybody de Madonna, pochette de la version anniversaire (2022)

Everybody (40th Anniversary), sortie le 25 novembre 2022
© Rhino – Warner

L’après Recherche Susan Désespérément d’une chanteuse actrice

Recherche Susan Désespérément, que la jeune femme a tourné dans l’anonymat, engage immédiatement Madonna à envisager une carrière au cinéma. Les studios hollywoodiens courtisent la star avec des tonnes de blockbusters et comédies à la mode. Pendant une dizaine d’années, la chanteuse va être perçue à la fois comme chanteuse et actrice du fait d’avoir émergé simultanément à l’écran et au cinéma. C’est à cette époque qu’elle dit non à Boire et déboires de Blake Edwards, ne voulant pas partager la vedette avec Bruce Willis. Kim Basinger la remplacera illico.

Pour Madonna à l’ambition légendaire consistant à ne jamais refaire deux fois la même chose, en musique comme au cinéma, il s’agit désormais de démontrer qu’elle est capable de tout jouer. Beaucoup lui ont reproché à raison de n’être que son propre personnage new-yorkais dans Desperately Seeking Susan. Pour Shanghaï Surprise, elle apparaît donc à l’opposé de l’être sexué et ingérable de Susan. Elle arbore le premier changement de look de sa carrière caméléon et devient ainsi une « frigide bardot » aux cheveux d’un blond platine ravissants. La sulfureuse croqueuse d’hommes devient une frêle missionnaire, rigide et coincée, dans la Chine vintage des années 30, chaotique et frénétique, où le décor diffuse des relents d’odeurs de morue. Cela ne s’invente pas.

Affiche italienne de Shanghai surprise

© 1986 HandMade Films

A ses côtés, en haut de l’affiche, on retrouve le bad boy Sean Penn, avec lequel elle s’est mariée en 1985 lors d’une cérémonie digne de l’ouverture d’Apocalypse Now. Il est à ses yeux la vraie raison du film. Les deux tourtereaux, rebelles et impétueux, étaient en quête d’un projet commun. Loin des efforts indépendants de leurs débuts, ils cèdent tous deux au glamour du grand spectacle, pour une production de plus de 17M$, tournée en guise de voyage de noces, durant l’hiver 1985, à Hong-Kong et Macao. Les Penn souhaitent raviver la grâce d’African Queen avec Humphrey Bogart et Katharine Hepburn et s’imaginent en couple mythique d’un Hollywood des légendes retrouvées. Ils feront tout foirer.

Sean Penn, l’ingérable

Très vite l’aventure asiatique du jeune couple vire à l’aigre et le tournage est au bord de l’incident diplomatique. Le dépaysement pendant de longues semaines de tournage dans une culture étrangère est propice aux débordements d’humeur de Sean Penn. L’acteur bouillonne intérieurement et explose fréquemment. Il ne supporte plus les foules de paparazzi et de journalistes internationaux qui envahissent leur espace de travail en raison de la présence de Madonna. Les fans aussi sont partout. Ajoutez à cela un tournage caractérisé par un froid piquant, souvent empêché par la mafia chinoise qui rackette et provoque des changements d’emploi du temps de dernière minute et des tournages à des heures insensées pour répondre à la pression autochtone et criminelle. Shanghaï Surprise devient le tournage de la tension permanente.

Dans un crescendo de défiance, Sean Penn finit par en venir aux mains avec un journaliste du Hong Kong Standard qu’il tente d’étrangler avec la sangle de son appareil photo. L’intrusion du reporter dans leur sphère privée, à savoir la porte de leur suite située au 18e étage d’un hôtel local, sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase. Un procès d’un million de dollar s’ensuivra. Evidemment, cet incident préfigure l’agression d’un paparazzi qui vaudra à Penn un mois de prison en 1987. Il connaîtra à nouveau ce genre d’excès de violence en 2010 et acceptera des travaux d’intérêt général.

Shanghai Surprise DVD collector

© 1986 HandMade Films

Les époux Penn face à la presse déchaînée

Entre Sean et Madonna, les disputes dégénèrent parfois, même si le duo est uni face au monde extérieur qu’ils jugent hostile. Les deux caractères bien trempés font trembler jusqu’à l’équipe de production. L’ancien “Beatle” George Harrison, producteur exécutif qui a engagé sa société Hand Made Films jusqu’au cou dans cette aventure, devra improviser une conférence de presse au Royaume-Uni, non pas pour la promotion du film, mais pour faire taire les rumeurs qui alimentent les cancans de la presse à scandales, et ainsi donner au couple l’occasion de s’expliquer. Avant même de découvrir les premières scènes du deuxième long de Madonna, la réputation de cette œuvre est déjà salie.

Madonna est alors une obsession mondiale dont le moindre mouvement est disséqué. La chanteuse, qui proposera Live To Tell premier single de son 3e album très attendu un mois plus tard, est présente ; Sean non. La cohue de journalistes à l’aéroport de Londres, lors de leur arrivée d’Asie, a décidé Sean Penn à refuser de capituler face à l’ennemi. Soutenant George Harrison, Madonna se montre professionnelle, mais refusera de présenter des excuses à la presse : “I’ve got nothing to apologize for“. Cela deviendra d’ailleurs le véritable leitmotiv de sa carrière face aux attaques sexistes systématiques que son chemin de précurseur provoquera : “Absolutely no regret.”

Devant un parterre de journalistes agressifs, l’attitude de Sean Penn est tournée contre Madonna et le film. Shanghaï Surprise est dès lors voué à être assassiné par une profession qui ne l’épargnera pas, peu importe le résultat qualitatif. Et, évidemment, le désastre artistique donnera bien des raisons à la presse américaine d’être outrancière avec.

En avant-goût, Sean Penn paie les pots cassés en avril 1986 avec la sortie du drame ténébreux de James Foley, Comme un chien enragé. Le traitement vindicatif d’une certaine presse détruit toutes les chances de ce très beau polar, malgré le soutien musical de Madonna qui proposera dans la bande-originale le single Live to Tell, une ballade sobre, mature et ténébreuse, pour aider à la destinée du film. La chanson triomphe dans le monde entier. Pas le film. En France, il faudra attendre près de neuf mois pour découvrir ce bijou en salle. Mais il passera aussi inaperçu.

Shanghai Surprise, affiche américaine

Affiche américaine © 1986 Hand Made Films , Metro-Goldwyn-Mayer

Goddard avec deux D

Quand en août 1986, Shanghaï Surprise apparaît sur les écrans américains, Madonna est omniprésente avec l’album True Blue qui dévaste les charts internationaux. Sorti en juin, l’opus brillamment produit a confirmé la force de frappe d’une idole générationnelle. La star montante qui rêvait d’une carrière d’actrice à la Marylin (voir son hommage vidéo aux Hommes préfèrent les blondes dans le clip de Material Girl) arbore un blond platine plus consensuel et vient de s’approprier sans le savoir le titre de reine de la réinvention par le style. Malheureusement sa petite frimousse – elle aura rarement été aussi séduisante – restera peut-être le seul atout du film Shanghaï surprise, nanar incurable où tout est inlassablement exécrable. La chanteuse, elle-même, ne semble pas très à l’aise, mais sa beauté, une fois de plus, y est renversante.

Le film n’est pas sorti que l’heure est aux règlements de comptes. Madonna en veut au cinéaste, Jim Goddard que Martin Sheen a conseillé au couple Penn. Le choix du réalisateur incombait aux époux Penn qui ont eu le dernier mot. Vétéran de la télévision bien aimé dans son pays par les professionnels britanniques, Jim Goddard était alors au paroxysme de sa carrière grâce à un biopic sur le président Kennedy avec Martin Sheen, célébré aux Bafta et aux Golden Globes.

Goddard, avec deux D, un nom chargé de symbolique pour un film à la réalisation télévisuelle, plate et sans énergie, effectivement celle d’un téléfilm de luxe. Le réalisateur n’est pas à l’aise et ne peut maîtriser un projet aussi conséquent, de surcroît troublé par les aléas d’un tournage hors de contrôle.

La jalousie du comédien et sa descente légendaire, et les caprices de la nouvelle blonde, qui semble plus impliquée par l’enregistrement de son troisième album, la Chine, la mafia, le climat… Tout semble avoir eu raison du metteur en scène  qui semble incapable de diriger ces deux écorchés, pourtant très sympathiques et charismatiques à l’écran. Le quinquagénaire n’était pas l’homme d’un blockbuster à destination d’une audience jeune, à un moment charnière d’Hollywood où le public trouve chez Spielberg et ses poulains (Indiana Jones, mais aussi A la poursuite du diamant vert de Zemeckis) une exaltation et une fraîcheur qu’ils ne retrouveront pas dans le style plat de Goddard que l’on dit bien meilleur par ailleurs dans ses téléfilms.

Goddard, impuissant derrière sa caméra, échoue à insuffler du rythme à cette reconstitution historique de la Chine des années 30 qui se veut fourmillante et exotique mais qui paraît aussi authentique qu’un décor en hangar, tellement tout sonne faux.

Madonna dans Shanghaï Surprise

© 1986 Hand Made Films

Un nanar bâclé et sans style cinématographique

Madonna accuse également les responsables du montage d’avoir torpillé l’essence même du film, la romance, et donc la synergie entre son personnage de missionnaire et celui du vendeur de cravates kitsch joué par Sean Penn. Et tout cela au profit de scènes d’aventures qui ne fonctionnent pas. On ne verra jamais les scènes coupées qui restent parmi les mystères d’Hollywood. Et on ne sera donc jamais en mesure d’appuyer ou non ses propos. En revanche, on jugera l’aventure dans Shanghaï Surprise sur pièce. Elle y est convenue, molle, et donc déroutante, ce qui contredit le roman de Tony Kenrick, Faraday’s Flowers (1978), en France Shangaï Surprise, de L’opium pour une missionnaire (Editions J’ai lu, 1986), qui était bien plus persuasif dans sa sensualité et son sens de l’aventure. Quant au rythme narratif soufflé par le montage, il est nul, comme le démontre l’interminable incipit de près de 9 minutes sans les deux stars du film, qui tente de poser dans le passé les grandes lignes d’un récit inexistant. Au montage visuel, on ajoutera la musique de Michael Kamen et les chansons de George Harrison, notamment le morceau éponyme sémillant, ils ne font pas forcément mieux quand il s’agit d’engager le film dans l’entrain et la vivacité. On notera que le producteur fait aussi un caméo.

Affaibli par un scénario dérisoire et curieusement le peu d’alchimie dans le couple Madonna – Sean Penn qui n’est à vrai dire pas dirigé, Shanghaï Surprise n’est rien d’autre qu’une variante soporifique d’A la poursuite du diamant vert, distribué en salle en 1984, avec son duo mal appareillé constitué d’un aventurier mal rasé et rustre et d’une jeune femme introvertie, sans la finesse et la fantaisie du tandem Michael DouglasKathleen Turner. Madonna a raison d’être furieuse. Cette aventure aux confins de la terre va être sacrifiée.

Une sortie cinéma kafkaïenne aux Etats-Unis

Au vu du contexte médiatique inflammable – les journalistes veulent du sang -, et de la médiocrité de la superproduction, Metro-Goldwyn-Mayer prend la décision difficile d’acter l’accident industriel avant même de livrer le film au public. Il s’agit de limiter la casse lors de la sortie américaine en condamnant le produit à l’anonymat pour éviter d’avoir à tirer des copies inutiles et de provoquer une rage destructrice contre le film, et donc ne viser que les éventuels fans de la chanteuse. L’affiche romantique, elle, cherchera à séduire exclusivement le public féminin.

Le distributeur américain, pas en très grande forme commerciale, sort le vilain petit canard lors de l’ultime semaine d’août, c’est-à-dire une semaine marquée par le plus faible taux de remplissage car étant celle du retour des vacances et des préparatifs de la rentrée. Le nombre de salles dérisoire (à peine 401) expliquera un score misérable par rapport à d’autres bides distribués en 1986 qui bénéficiaient de plus de 1 200 cinémas (Howard le Canard avait été tiré à plus de 1 500 copies !) et surtout de dates de sortie plus favorables à des moments clés de l’été.

Shanghaï Surprise en laserdisc

Laserdisc anglais de Shanghaï Surprise © 1986 Hand Made Films

Evidemment, la presse exécute le film. La comédie PG-13 entre en 18e position du classement, lors du week-end à rallonge du Labor Day, entre le 29 août et le 1er septembre 1986. Les salles sont vides, avec 730 000$ de recettes et une moyenne faible. La rentrée effective vide toutes les salles le week-end suivant, avec un numéro 1 à 3 436 615$. Shanghaï Surprise s’écroule à 238 000$ de recettes, tout en perdant 120 cinémas. Au moins, le nanar tant décrié remonte de cinq positions dans le classement, avec une 13e place presque réconfortante. Mieux, avec son petit circuit et son lot de fans de Madonna, il parviendra à tripler ses premiers chiffres et à rester 9 semaines dans le Top 20, pour finir néanmoins à 2 315 683$ de recettes, très loin de la mise de départ de 17M$.

France. UGC y croie

En France, la trajectoire de Shanghaï Surprise est différente. Les critiques ne seront pas aussi assassines. Et le distributeur français UGC – Europe 1 choisira une exposition optimale lors d’une semaine de forte fréquentation. Madonna et Sean Penn se baladeront en salle pendant la deuxième semaine des vacances scolaires du 29 octobre 1986, deux mois à peine après la sortie étasunienne, ce qui était rare à l’époque puisque l’exercice de doublage pouvait repousser les sorties de parfois six mois avant la sortie nationale. En cas d’échec américain, la sortie pouvait aussi être annulée pour une exploitation exclusive en vidéo.

Le distributeur français qui a acheté les droits depuis longtemps y croit et décide de jouer la carte de l’aventure et du glamour. L’affiche définitive dessinée par Jean Mascii prend le contre-pied de celle, exclusivement romantique, et particulièrement ratée, qui illustrait le film de Jim Goddard aux USA. Le poster français vend de l’action, de l’exotisme, un duo glamour, et Madonna y est présentée comme une femme forte, ce qu’on attend d’elle et qu’on ne trouvera nullement à l’arrivée. Le marketing visuel reprend celui des campagnes pour les séries B d’action de la Cannon qu’UGC distribuait en France en 1986, avec un succès répété.

Shanghai Surprise, vidéocassette allemande

Vidéocassette allemande de Shanghaï Surprise Illustration © Reneto Casaro © Warner Bros – © 1986 Hand Made Films

En septembre 1986, UGC n’envoie pas le film à Deauville pour éviter tout départ d’incendie. Une grosse dizaine d’années avant l’avènement d’internet, on a encore la possibilité de dissimuler les échos américains. Outre le marketing, il faut surtout compter sur la notoriété exponentielle de Madonna qui est restée de nombreux mois à l’affiche de Recherche Susan Désespérément encore en 1986, et qui est omniprésente à la radio. En 1986, Live to Tell s’est positionné en 6e place du Top 50. Durant l’été, Papa don’t Preach a été l’un des plus gros tubes annuels, avec une 3e position formidable, et le nouveau single de la chanteuse, True Blue, apporte une note glamour qui sied bien à la sortie du film sur les écrans. Un nouveau tube en perspective, avec une 6e position méritée dans le sacro-saint Top 50. Quant à l’album du même nom, depuis son forcing estival dans le top album, il restera classé plus d’un an dans le top 30 des meilleures ventes.

Fort des succès récents de L’effrontée, Chorus Line, Allain Quatermain et les mines du roi Salomon, 9 semaines ½, ou des séries B Invasion USA, Le justicier de New York, Delta Force et American Warrior – ces fameuses productions Cannon également marketées avec des affiches puissantes de Jean Mascii -, UGC se donne les moyens de son marketing. A Paris, l’affiche de Shanghaï Surprise est omniprésente la semaine précédant la sortie, avec d’impressionnantes 4X3 dans la plupart des stations de métro de la capitale. Jean Mascii a également été chargée d’illustrer l’oeuvre d’une affiche pantalon différente, plus glamour, mettant l’accent sur le visage de Madonna. La cible est cette fois-ci un public plus féminin.

Madonna dossier discographie les singes

© Les Archives de CinéDweller – Madonna, 40 ans de singles dans les charts

Un démarrage costaud, une chute vertigineuse

Tous les éléments sont donc en place pour une bonne première semaine essentielle pour une oeuvre ratée qui n’a pas vraiment les jambes pour de l’endurance. Et cela marche. Présent dans 37 salles franciliennes, Shanghaï Surprise trouve sans mal la tête des nouveautés le mercredi 29 octobre, où il n’y a guère de concurrence, puisque les gros films (la reprise importante de Bambi, Cobra avec Stallone, le blockbuster du rire Twist Again à Moscou) sont sortis au début des vacances de la Toussaint. Avec 13 797 spectateurs en un jour, Madonna démontre son pouvoir d’attraction dans un marché bouché (on citera aussi les continuations de Jean de Florette, Les frères Pétard, Mission, Aliens : le retour de James Cameron, Top Gun, Nuit d’ivresse, La couleur pourpre).

La première semaine parisienne est très solide avec une formidable 4e place à 92 927 spectateurs. La production britannique marketée comme un gros film américain est belle et bien présente dans toutes les 15 plus grandes villes de France. Mais le public populaire y est moins tenté qu’à Paris, préférant Cobra, Bambi, et Les frères Pétard. C’est un enseignement pour UGC qui devra se contenter d’un score toutefois convenable de 239 227 spectateurs sur l’Hexagone en première semaine.

Madonna, dossier et bandeau Who's that Girk

© Warner Bros

Dossier Who’s That Girl

Malheureusement, la fin des vacances scolaires et la réalité artistique du nouveau film avec Madonna, précipitent une grosse baisse en deuxième semaine. Plus de 50% de spectateurs en moins sur Paname (43 835 entrées) ; il en va de même sur toute la France. « La surprise de Shangaï » est désormais dépassée par un autre couple de cinéma, celui de Meryl Streep et Jack Nicholson dans La brûlure qui, sorti le même jour, rattrape un peu son retard.

En troisième semaine, Shanghaï Surprise plonge encore, victime d’un bouche-à-oreille assassin et de la perte de 19 écrans sur Paris-périphérie qui ont compris qu’il n’y avait pas grand-chose à en tirer. Désormais la fréquentation du film est réduite à 14 920 spectateurs sur la capitale : pas de doute, les spectateurs n’aiment pas le film et le font savoir. A l’échelle française, le film est 18e avec 54 000 spectateurs, pour un total de 408 000.

Avec 6 704 Parisiens en 4e semaine dans désormais 5 cinémas (dont 3 UGC) et le cinéma de quartier le Gaîté Rochechouart, les Penn semblent donc au bout de leur peine, y compris à l’échelle nationale (20 176).

Affiche d'In bed with Madonna, France mai 1991

© Boy Toy, inc. & Dino de Laurentiis Communications. Tous droits réservés

Dossier In Bed With Madonna

Sur Paris et sa périphérie, la production George Harrison ne restera que 5 semaines à l’affiche, avec une ultime présence dans la capitale à 2 848 spectateurs, à l’UGC Danton et au Hollywood Boulevard, cinéma d’exploitation de la dernière chance, appartenant à René Chateau. La province trouvera encore quelques écrans retardataires pour permettre à UGC de cumuler 478 430 tickets en toute fin de carrière. Une semi-déception pour une 84e place annuelle loin d’être honteuse.

Au final, Shanghaï Surprise est une vraie mésaventure cinématographique, que l’on peut qualifier de naufrage commercial, mais dont l’histoire demeure l’une des plus passionnantes d’une décennie riche en flops spectaculaires. Produit anachronique au cœur des années 80, pas assez industriel pour le public de son temps, cette œuvre malade mettra à mal la stabilité du couple Sean Penn Madonna. Quand l’acteur subissait deux échecs en 1986, son épouse pouvait compter sur le triomphe aussi phénoménal que sociologique de sa carrière musicale que rien ne semblait pouvoir éteindre.

Shanghaï Surprise toujours invisible en France

Raillé par la presse et détesté du public, l’exotisme de pacotille de Shanghaï connaît très vite une carrière en VHS, chez UGC Vidéo en France. Un laser disc sera commercialisé au début des années 90. Dans l’Hexagone, Shanghaï Surprise sera mis à l’écart, pendant plus de 35 ans, puisqu’aucun DVD français ne sera jamais édité, contrairement aux nombreuses éditions américaines et européennes. Un DVD collector zone 1, truffé de bonus, reviendra notamment avec autodérision sur l’histoire rocambolesque de cette œuvre. En France, toujours rien, on trépigne.

En 1987, Madonna connaissait de nouveau l’échec cinématographique avec le pourtant sympathique Who’s that girl mais savourait en contrepartie l’année la plus triomphale de sa carrière de superstar. Sean Penn, lui, allait trouver la rédemption en 1988 après quelques mois passés en prison, dans le percutant Colors de Dennis Hopper. Les deux époux terribles divorcèrent en 1989. La suite, tout le monde la connaît.

Vous avez aimé ce dossier? Découvrez ceux consacrés à In Bed With Madonna, Who’s That Girl et Evita.

Frédéric Mignard

Sorties de la semaine du 29 octobre 1986

Affiche de Shanghai Surprise avec Sean Penn et Madonna

Illustrateur Jean Mascii – © 1986 HandMade Films

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