Who’s That Girl le film est une comédie burlesque imprégnée de l’énergie vivifiante des années 80. Entièrement consacrée à l’icône des jeunes de l’époque, Madonna, le divertissement, au bide américain excessif, est surtout drôle, enlevé et cocasse.
Synopsis : Nikki sort de prison où elle a passé quatre ans, accusée à tort du meurtre de son petit ami. Le même jour, Louden Trott, avocat de Simon Worthington, doit prendre livraison d’un félin, Murray, signer le contrat prénuptial qui le liera à Wendy Worthington, et s’assurer – à la demande de son client – que Nikki quitte New York. Le jeune homme s’acquitte des deux premières missions, mais la troisième s’avère plus délicate : Nikki veut absolument prouver son innocence. Pour cela, il lui faut récupérer un dossier enfermé dans le coffre-fort d’une banque. Ces documents rassemblés par feu son petit ami compromettent quelqu’un qui a donc commandité le meurtre. Seuls deux malfrats connaissent le numéro du coffre. Avec l’aide de Louden, Nikki part à la recherche de ces preuves.
Madonna, star de l’année 1987
En 1987, Madonna devient donc l’idole des plus gros consommateurs de vinyles, les gamins âgés de huit quinze ans). A la une de tous les magazines pour ados (OK !, Salut, Top 50 magazine, Graffiti…), mais aussi d’une presse plus sérieuse (Rock’n’Folk, Best), elle connaît l’apogée de sa gloire au niveau des ventes de 33 tours, classant en France pas moins de quatre albums dans le top ten la même semaine, et deux titres dans le top 5 des singles en même temps. Du jamais vu. On n’est pas encore dans l’ère des featurings et des duos promotionnels. Il s’agit alors pour les artistes d’y arriver par soi-même sans copinage entre maisons de disques.
L’éternel ombre au tableau de Madonna, le cinéma
Pourtant, une ombre vient se hisser au tableau et elle n’arrivera jamais à s’en débarrasser : un nouveau raté au cinéma. Désireuse d’être sur tous les fronts et emportée par le succès du film indépendant Recherche Susan désespérément en 1985 (qui ressortira en août 1987), la petite fille du Michigan aspire également à la reconnaissance de Hollywood.
Le dossier Shanghaï Surprise
Pas refroidie par le bide estival de Shanghai surprise en 1986 (un navet d’aventures dans une Chine de pacotille, tourné avec son époux du moment, le bad boy Sean Penn, et produit par l’un des Beatles, George Harrison), elle enchaîne avec Slammer (titre de tournage), devenu Who’s That girl, le film, pour les besoins d’un contexte d’omniprésence. C’est en effet également le titre du single qui cartonne (numéro 1 aux USA et au Royaume-Uni), et de son tour.
Le film sort aux Etats-Unis au début du mois d’août alors que triomphe sa première tournée mondiale. Warner propose une première prestigieuse, la bourrasque est lancée. Mais si la bande originale cartonne aussi, la chanteuse est lapidée par les critiques américaines qui tirent à boulets rouges sur sa voix de Betty Boo et l’ensemble du film décrit curieusement comme un navet. Victime de son omniprésence, la madone ? Sûrement, car la comédie, certes pas inoubliable, est démontée. L’artiste recevra même un Razzie Award de la pire actrice, le second de sa carrière après sa piètre performance dans Shanghai Surprise.
La comédie loufoque sort en France fin novembre 1987. La presse hexagonale et le public sont alors plus réalistes, avec l’appui de médias comme Première, Studio, France Soir, Le Figaro ou Le Matin. La presse plus sérieuse trouve le film “trivial” (Télérama), “répétitif” (Positif), “insignifiant” (La Revue du cinéma). Le succès est réel au box-office hexagonal (800 000 entrées) même si ce n’est pas pour autant la panacée. Mais il partait de très loin.
Warner Bros accepte que Madonna investisse son logo
Il est vrai que la comédie était calibrée pour ratisser un maximum de dollars, avec sa sortie estivale de blockbuster friqué (beau budget de 17M$). Dans la lignée des hits commerciaux avec Whoopi Goldberg (Pie voleuse de Hugh Wilson et Fatal Beauty de Tom Holland en 87), Kim Basinger (Boire et déboires de Blake Edwards, 1987) et Bette Midler (Y-a-t-il quelqu’un pour tuer ma femme des ZAZ, 1986 ; Une chance pas croyable d’Arthur Hiller, 1987), ce produit estampillé Warner permet à une Madonna animée façon Betty Boo de s’extirper du sacrosaint logo de Warner Bros, lors de l’ouverture pop du générique qui surprend et donne le ton très bande dessinée.
Dans Who’s That Girl, James Foley, qui avait déjà travaillé avec Aidan Quinn, la star masculine de Recherche Susan désespérément, s’éloigne de ses premiers efforts pour une œuvre radicalement opposée dans le ton, le genre et l’approche artistique. En réalisant une comédie lumineuse, légère, loufoque et cocasse, il s’affranchit des codes psychologiques troubles de son œuvre en construction pour un divertissement consensuel, avec un rythme et un savoir-faire qui rendent son travail d’une efficacité à toutes épreuves.
Who’s that Girl ? Une tornade, un tourbillon, un ouragan
La bande originale aligne les tubes (le générique s’ouvre sur la bourrasque Causing a Commotion, numéro 2 aux USA). The Movie Soundtrack comprendra en fonction des pays trois singles de la chanteuse sur les quatre titres inédits qu’elle a composés pour le film. Le réalisateur s’inspire particulièrement de Causing a Commotion, puisqu’il filme une jeune femme au tempérament volcanique, de tornade humaine, qui, à sa sortie de prison, emporte tout sur son passage. Dans sa quête de l’identité du tueur qui l’a fait jeter en cabane, elle dévaste l’existence d’un jeune avocat d’affaires promis à un mariage avec un magnat new-yorkais. Déchaînée, l’héroïne dévergondée explose tout sur son passage. Oui, le film entier est une mise en images du fameux incipit Causing a Commontion. L’intrigue policière, prétexte pour buter quelques malfrats et visiter Harlem dans tout ce qu’il avait de ravagé à l’époque, s’inscrit typiquement dans le divertissement new-yorkais des années Reagan. La tendance principale des comédies citées plus haut, mais aussi de Dragnet (1987) et Le flic de Beverly Hills (1984), était leur appétence pour les intrigues avec flics, flingues et voyous. Autre réalité à ne pas sous-estimer, la proximité narrative avec Dangereuse sous tous rapports de Jonathan Demme avec Melanie Griffith et Jeff Daniels, présenté à Cannes, cette même année. C’est tout simplement la version plus indépendante, plus politiquement incorrecte de Who’s That Girl. Les deux films ont plus ou moins la même histoire, mais Demme est plus audacieux. Là où on aurait pu attendre James Foley justement, qui se laisse dicter sa ligne de conduite par la production, The Guber-Peters Company (Rain Man, le premier Batman, La couleur pourpre, Les sorcières d’Eastwick, L’aventure intérieure, Gorilles dans la brume et le film Vision Quest – Crazy for you, en VHS en France, où Madonna fait une apparition).
Un faux navet par réputation, mais une vraie bonne comédie
Malgré un nombre record de razzies et la réalité assez désastreuse de son jeu monocorde dans bien des longs métrages (elle était nulle dans Shanghai Surprise et sera aussi très mauvaise dans Body of Evidence, Un couple presque parfait, et même à l’occasion d’un caméo chez James Bond de quelques secondes, il fallait le faire…), la chanteuse Madonna est ici bonne actrice. Elle excelle dans sa composition friponne et facétieuse. Elle aime s’adonner à la gouaille rétro punk de son rôle de Nikki Finn, une bombasse blonde gentiment vulgaire, égocentrée et intrépide, qui mélange les clichés de femme fatale des années 50 et le personnage new-yorkais underground de Susan qu’elle créa de toutes pièces. La superstar des années 80 se laisse complètement aller dans le délire, libre des inhibitions qu’elle développera au fil des échecs, confiante dans l’entreprise humoristique, qui est réellement bien écrite, et les qualités du cinéaste qui est un proche de son couple. Son jeu est donc à l’identique du film, plein de relief, et loin des interprétations constipées auxquelles elle échappera qu’à de très rares moments, notamment dans la comédie sportive à succès Une équipe hors du commun, pour Alan Parker dans le puissant Evita, ou dans le méta-cinématographique et masochiste Snake Eyes d’Abel Ferrara.
Sorties de la semaine du 18 novembre 1987
Box-office :
C’est le 18 novembre que Warner lance en France Who’s That Girl. La tournée de Madonna est passée par Paris et le Parc de Seau, et à Nice à la fin du mois d’août, rassemblant environ 200 000 fans sur deux dates. Le single Who’s That Girl a été de nombreuses semaines classé numéro 2 des ventes de single, dépassant le retour décevant de Michael Jackson, son pendant masculin, avec I Just Can’t Stop Loving You. Curieusement, WEA Music fait l’impasse sur le 2e single, Causing a Commotion, qui cartonne partout dans le monde, pour sortir le titre mélancolique The Look of Love, comme ultime titre de la B.O. qui s’avèrera le single le moins apprécié de la chanteuse sur tous ses derniers singles…
Warner ne mobilise pas excessivement les écrans après l’échec américain qui est un peu loin dans l’esprit des Français. 25 écrans sur Paris-Périphérie pour son lancement, c’est autant que le nanar français Les nouveaux tricheurs, mais moins que House 2, film d’épouvante raté qui fait suite à un beau succès de 1985. Au total 10 nouveautés jalonnent ce mercredi et c’est logiquement la chanteuse qui prend la tête, avec 8 110 fans qui se précipitent pour la retrouver sur le grand écran.
Who’s That Girl numéro 1 du box-office français
A l’issue de cette première semaine, la comédie Warner scrute la deuxième place hebdomadaire derrière le phénomène Les incorruptibles qui certes est en 5e semaine, mais bénéficie de 47 écrans. La madone amuse 56 869 spectateurs majoritairement adolescents. En province en revanche, les fans de l’artiste sont plus nombreux. Who’s That Girl investit la première place dans le pays, avec une razzia sur Bordeaux, Caen, Grenoble, Lille, Nancy, Montpellier, Metz, Marseille, Rouen, Nice, Nantes, Toulouse ou encore Saint-Etienne. En fait, seuls Strasbourg (où elle n’est que 4e !) et Lyon (2e) ne la placent pas en tête. Pour cette dernière ville, cela se joue à 40 spectateurs près.
En 2e semaine, Madonna s’accroche, avec 44 757 spectateurs. Elle ne souffre en rien de la sortie épique du Dernier empereur, l’un des événements cinématographiques de 1987, réalisé par Bernardo Bertolucci. Elle a gagné en écrans et en 3e semaine se maintient dans le Top 5, avec 29 933 fans. En province, elle est encore 4e. Sans jamais s’effondrer, la comédie Warner descend lentement, avec 19 188 spectateurs dans encore 31 salles. Avec les fêtes de Noël, il est temps pour les cinémas de se débarrasser du film pour laisser la place à des divertissements de saison (Kevin Costner dans Sens unique, Balasko dans Les keufs, L’aventure intérieure de Joe Dante, Ishtar avec Adjani, Dustin Hoffman et Warren Beatty), puis la semaine suivante Les Dents de la mer 4, Dirty Dancing, Big Foot et les Henderson… Il faut de la place.
En 5e semaine, avec seulement 5 sites en intra-muros, mais 12 petits écrans de périphérie, la gloire des années 80 aguiche encore 12 229 clients. C’est en 6e semaine qu’intervient sa plus grosse baisse (-60%), avec 4 979 spectateurs. Elle n’est plus qu’au Publicis Matignon, au Lumière, et de façon symbolique, au cinéma de fin d’exploitation Le Cinoche où elle demeurera jusqu’à sa 13e semaine.
Un bide cinglant aux USA
In fine, avec 170 939 spectateurs en 13 semaines, Who’s That Girl le film, ex-Slammer, parvient à largement tripler sa mise de départ, signe d’un bon bouche-à-oreille, très loin de l’échec impitoyable aux USA. Pour mémoire, le film de James Foley avait affolé son distributeur en ne réunissant que 2 548 000$ de recettes lors de ses 3 premiers jours d’exploitation, n’entrant qu’en 10e position du B.O. hebdomadaire. Même le nanar de la Cannon, Les maîtres de l’Univers qui ouvrait ce week-end là, grappillait 2 fois plus de recettes. On notera que le James Bond Tuer n’est pas jouer restait en tête pour son 2e week-end, avec 7 706 000$, ce que Who’s That Girl peinera à atteindre en fin d’exploitation salle sur toute l’Amérique du Nord. La Bamba, Génération Perdue, RoboCop et la reprise de Blanche Neige, tous en continuation, se positionnaient loin devant. C’était les films à voir cette semaine-là.
Exploitation vidéo :
Le premier film en vidéo à connaître une campagne publicitaire à la radio
En 1987, le débat sur les délais de mise en location et s’il faut ou non envisager de mettre les cassettes vidéo directement à la vente pour le grand public, est sur toutes les lèvres. Les majors commencent à se positionner. Warner Bros Vidéo, qui a réalisé un très beau coup avec Le nom de la Rose en début d’année, fait de Who’s That Girl sa 2e plus grosse sortie du semestre. L’éditeur décide de sortir le film
moins de 7 mois après la sortie salle. L’objectif n’est plus seulement locatif comme pour 90% des titres sur le marché, mais bel et bien de vendre des vidéocassettes dans les supermarchés auprès de la masse adolescente. Une grosse promotion est lancée, notamment une campagne à la radio, ce qui est une première dans l’histoire du support vidéo. NRJ, partenaire cinéma sur le film, est évidemment largement associée à l’opération.
Who’s That Girl passe à la trappe pendant l’ère DVD & blu-ray
Warner Home Vidéo casse les prix pour cette sortie exceptionnelle. 149 francs, pour un film de major, soit l’équivalent d’un compact disc, ou de deux 33 tours. Il faut que le produit soit accessible aux adolescents. Chose rare, le film comporte un supplément, le clip vidéo de la chanson Who’s That Girl, une opération, dix ans avant l’avènement des DVD, très rare. En mai 1987, en quelques semaines de présence, le film se hisse à la 8e place des locations. Un très beau score, effectivement.
Madonna et Warner, guerre et paix ?
Pour une édition DVD, il faudra attendre en France mars 2006. Sorti peu après le triomphe de l’album Confessions on a Dancefloor, le film passe inaperçu dans une édition bon marché dont le seul supplément est une bande-annonce. Depuis inaccessible sur ce support, l'”eighties movie” n’est toujours pas disponible en HD, sur aucun marché de la planète. Un rapprochement de la chanteuse, qui vient de quitter Interscope, après 10 ans de contrat, avec Warner, son ancienne maison de disques, pourrait ouvrir la voie à des rééditions en pagailles. Toute exploitation de son catalogue est bloquée depuis une dizaine d’années quand la chanteuse et la major ont divorcé dans le ressentiment. Depuis, Warner a soigneusement évité de lui faire l’honneur de sortie prestigieuse, avec, il est vrai, l’indifférence de l’artiste toujours peu décidée à revenir sur ses œuvres passées.