Série noire : la critique du film d’Alain Corneau (1979)

Thriller, Film noir, Drame | 1h56min
Note de la rédaction :
8/10
8
Série Noire d'Alain Corneau

  • Réalisateur : Alain Corneau
  • Acteurs : Patrick Dewaere, Bernard Blier, Marie Trintignant, Myriam Boyer, Jeanne Herviale
  • Date de sortie: 25 Avr 1979
  • Année de production : 1979
  • Nationalité : Français
  • Titre original : Série noire
  • Titres alternatifs : Serie negra (Espagne) / Czarna seria (Pologne) / Il fascino del delitto (Italie) / Bűnügyek (Hongrie) / Piru perii omansa (Finlande)
  • Autres acteurs : Andreas Katsulas, Charlie Farnel, Samuel Meck, Jack Jourdan, Fernand Coquet
  • Scénaristes : Alain Corneau, Georges Perec
  • D'après : le roman Des cliques et des cloaques de Jim Thompson
  • Monteur : Thierry Derocles
  • Directeur de la photographie : Pierre-William Glenn
  • Compositeur : -
  • Chef Maquilleur : -
  • Chef décorateur : -
  • Directeur artistique : -
  • Producteur : Maurice Bernart
  • Producteurs exécutifs : -
  • Sociétés de production : Prospectacle, Gaumont
  • Distributeur : Gaumont
  • Distributeur reprise : Tamasa Distribution
  • Date de sortie reprise : 11 avril 2018
  • Editeurs vidéo : Gaumont Columbia RCA Vidéo (VHS, 1981) / Gaumont Columbia TriStar (VHS, 1995) / Studiocanal (DVD, 2003, 2009) / Studiocanal (blu-ray, 2013)
  • Dates de sortie vidéo : 1981 (VHS) / 1995 (VHS) / 25 mars 2003 (DVD) / 28 juillet 2009 (DVD) / 11 juin 2013)
  • Budget : 2 000 000 francs (environ 300 000 €)
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 890 578 entrées / 321 886 entrées
  • Box-office nord-américain / monde :
  • Rentabilité :
  • Classification : Interdit aux moins de 18 ans (à l’époque), aux moins de 12 ans (de nos jours)
  • Formats : 1.66 : 1 / Couleurs / Son : Mono
  • Festivals : Festival de Cannes 1979 : en compétition officielle
  • Nominations : César 1980 : meilleur acteur pour Patrick Dewaere ; meilleur acteur dans un second rôle pour Bernard Blier ; meilleure actrice dans un second rôle pour Myriam Boyer ; meilleur scénario original ou adaptation pour Georges Perec et Alain Corneau ; meilleur montage pour Thierry Derocles
  • Récompenses :
  • Illustrateur/Création graphique : © René Ferracci. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Studiocanal. Tous droits réservés / All rights reserved
Note des spectateurs :

Mené magistralement par un Patrick Dewaere cabotin, Série noire est une œuvre radicale, parfois déplaisante, mais toujours pertinente dans sa description sans fard des aspects les plus sombres de l’être humain. Un classique indémodable.

Synopsis : La vie de Franck Poupart est terriblement minable et ennuyeuse. Petit représentant de commerce sans envergure, englué dans une vie sentimentale sans relief, Franck Poupart a des envies d’ailleurs. Et d’argent. Un jour, il rencontre Mona, pour le meilleur et surtout pour le pire. Franck et Mona décident de voler la fortune de la tante de Mona, mais ils iront jusqu’à la tuer. Et c’est l’escalade de la violence.

Un film cousu main pour Patrick Dewaere

Critique : Passionné de série noire américaine, Alain Corneau a déjà tourné deux polars qui ont connu un joli succès en salles grâce à la présence d’Yves Montand au générique : Police Python 357 (1976) et La menace (1977). De quoi le motiver pour enfin adapter un auteur américain qu’il admire, un certain Jim Thompson. Corneau travaille d’abord sur une adaptation de 1275 âmes (1964), mais il n’arrive pas à effectuer une transposition judicieuse du roman dans un contexte français. Pour la petite histoire, le cinéaste Bertrand Tavernier y parviendra quelques temps plus tard avec son magistral Coup de torchon (1981).

Pourtant, Alain Corneau ne s’avoue pas vaincu et reporte son ambition sur un autre récit du romancier intitulé Des cliques et des cloaques (1954). Il commence à travailler sur un script, rapidement rejoint par l’écrivain Georges Pérec qui contribue notamment à l’écriture des dialogues de ce qui deviendra Série noire (1979). Alain Corneau n’envisage à cette étape qu’un seul acteur pour incarner l’antihéros Franck Poupart, à savoir Patrick Dewaere. La rencontre entre les deux hommes se passe magnifiquement bien et le comédien s’engage corps et âme dans ce projet dont il sent instinctivement qu’il va pouvoir en tirer une prestation remarquable.

Patrick Dewaere dans le rôle de sa vie

Grâce aux succès précédents du réalisateur, le projet se monte assez facilement, d’autant que l’enveloppe débloquée est très raisonnable. Les sources évoquent le chiffre de 2 millions de francs pour six semaines de tournage. Autant dire une production très chiche où chaque participant allait devoir se surpasser pour parvenir à boucler le tout dans les délais impartis. Pour se préparer à son rôle, Patrick Dewaere a perdu une dizaine de kilos, et, comme à son habitude, il a commencé à vivre comme son personnage. Son investissement est tel qu’il a refusé d’être doublé lors des passages plus dangereux. Ainsi, lorsque Franck se fracasse la tête sur le capot de sa voiture, le comédien s’est réellement fait très mal.

Investi dans ce projet jusqu’à la névrose, Patrick Dewaere, déjà passablement envahi par sa dépendance à la drogue, se révèle tout à fait étonnant dans cette œuvre où il semble se consumer à chaque instant. On retrouve ici un type de jeu qui correspond à celui d’une Romy Schneider ou d’une Isabelle Adjani à l’époque. Ces actrices étaient capables de se mettre en danger sur le plan psychologique pour vivre pleinement à l’écran les situations paroxystiques de leurs personnages. Au risque d’y laisser leur santé mentale. Patrick Dewaere en fait certes des tonnes et on peut légitimement lui reprocher un cabotinage excessif, mais son engagement total contribue aussi beaucoup à la puissance dramatique d’un film déjà fort pessimiste.

Dans la lignée des œuvres de Martin Scorsese

Tourné majoritairement dans des banlieues pavillonnaires glauques, ainsi que dans des quartiers modernes encore en construction (et donc sur des terrains vagues), Série noire bénéficie également d’une incroyable photographie du grand Pierre-William Glenn. Ce dernier développe une gamme chromatique éteinte qui renforce un peu plus le sentiment de désolation se dégageant de l’œuvre. Enfin, l’absence de musique originale vient accentuer l’aspect décharné d’un film où seule la musique intradiégétique est présente (avec des tubes populaires entendus à la radio).

Série noire, jaquette blu-ray

© 1979 Studiocanal. Tous droits réservés.

Cette utilisation de la musique populaire permet de faire le lien entre le cinéma d’Alain Corneau et celui de Martin Scorsese. Effectivement, le cinéaste français a avoué s’être inspiré du Mean Streets (1973) de Scorsese, auquel on pourrait ajouter Taxi Driver (1976), pour réaliser Série noire. Cela se retrouve non seulement sur le plan stylistique, avec la volonté d’explorer les bas-fonds de manière quasiment documentaire. Mais les thématiques abordées sont également proches en confrontant un personnage à la folie, mais aussi en mettant en avant une relation étrange entre un homme mûr et une jeune prostituée (Jodie Foster et Robert De Niro dans Taxi Driver, Marie Trintignant et Patrick Dewaere dans Série noire).

Des acteurs très impliqués dans le processus créatif

D’ailleurs, le cinéaste n’hésite pas à faire de son protagoniste principal un homme insaisissable, capable d’être charmant comme inquiétant. Les séquences entre Patrick Dewaere et sa femme, l’excellente Myriam Boyer, mettent particulièrement mal à l’aise tant elles relèvent encore du patriarcat traditionnel, allant jusqu’à la violence et même le meurtre. Enfin, on signalera l’excellente prestation du vieux routier Bernard Blier en patron veule et cupide, ainsi que le courage de la toute jeune Marie Trintignant dans un rôle dénudé.

Toutefois, il est important de signaler que ces scènes de nu ont été très encadrées, les témoignages insistant sur la protection offerte par Patrick Dewaere à l’adolescente. Enfin, rappelons que Marie Trintignant était alors la belle-fille du cinéaste Alain Corneau et que celui-ci allait ensuite officiellement adopter la jeune fille. D’ailleurs, malgré le contexte sordide de l’œuvre, Marie Trintignant n’a pas de scène vraiment scabreuse à tourner puisque la plupart des éléments sexualisés sont uniquement suggérés par les dialogues.

Un film interdit aux moins de 18 ans à l’époque

Pourtant, Série noire n’en demeure pas moins une œuvre troublante par bien des aspects. La description du protagoniste principal inquiète fortement, tandis que le contexte social semble totalement désespéré. D’une noirceur extrême, le thriller n’a pas fait que des heureux lors de sa sortie au mois d’avril 1979. Certains critiques ont pointé du doigt l’outrance du jeu de Patrick Dewaere, tandis que d’autres n’ont guère apprécié la peinture d’une France décadente où la misanthropie n’épargne personne. D’ailleurs, la commission de censure semble également avoir été sensible à cela puisque le long métrage a écopé d’une lourde interdiction aux moins de 18 ans (ramenée depuis lors à 12 ans). On notera que le film a représenté la France au Festival de Cannes en 1979 alors qu’il était déjà sorti dans les salles. Le métrage en repartira bredouille, mais il était difficile de s’imposer face à Apocalypse Now ou encore Le tambour, qui repartiront avec la Palme d’or ex-aequo.

Proposé dans les salles par Gaumont dès le 25 avril 1979, Série noire entre à la quatrième place du box-office parisien avec 72 122 curieux. Il est la première nouveauté de ce mercredi à s’imposer, mais doit rendre les armes face aux continuations de Le coup de Sirocco (Alexandre Arcady) avec Roger Hanin, Flic ou voyou (Georges Lautner) avec Belmondo et la reprise du Disney Bambi. Ce démarrage paraît quelque peu décevant par rapport aux œuvres précédentes du cinéaste, mais l’aspect très sombre du film, ainsi que son interdiction peuvent expliquer une telle entame.

Série noire, une carrière sur la durée

Le film allait devoir construire sa notoriété sur la durée. En deuxième semaine, le métrage remonte en deuxième place du classement hebdomadaire parisien avec 49 873 retardataires. La baisse est minime en troisième septaine avec toujours 35 833 dépressifs pour un total qui dépasse les 157 000 entrées. Il faut dire que la concurrence est faible et Série noire profite de son exposition cannoise pour progresser au bout d’un mois de présence dans les salles avec encore 39 235 clients, approchant ainsi les 200 000 tickets vendus.

Grâce à un bouche à oreille très favorable, le thriller s’accroche et se maintient magnifiquement bien en cinquième semaine, avec toujours 36 444 amateurs de polar. En sixième semaine, Série noire est toujours proposé dans une quinzaine de salles et continue à susciter l’intérêt de 23 126 spectateurs. Le métrage commence à ralentir la cadence au début du mois de juin et le besoin de trouver de la place pour les nouveautés le précipite peu à peu vers la sortie. Au total, le thriller a convaincu 321 886 Parisiens.

Un box-office marqué par un très bon bouche à oreille

Pour sa carrière sur l’ensemble de la France, Série noire a démarré timidement en province car les copies étaient massivement concentrées sur la capitale. Il a fallu attendre sa deuxième semaine pour que le film se distingue un peu en montant à la quatrième place du classement. Après un démarrage poussif, le film s’impose là aussi sur la durée, générant près de 300 000 entrées en trois semaines. Comme à Paris, le métrage se maintient bien grâce au bouche à oreille et tutoie les 400 000 tickets en quatre semaines. Ce n’est pas un raz-de-marée, mais la vague est régulière.

Le thriller glauque dépasse les 500 000 entrées en cinq semaines et dépasse même les 600 000 tickets à la mi-juin. A noter qu’il est resté pendant plusieurs semaines dans le top 10 du classement français, avec là encore une régularité de métronome. Fin juin, Série noire quitte le top 10, mais continue à voguer, avec plus de 700 000 entrées à son compteur. Les mois d’été lui seront moins favorables, même si le métrage va finir par cumuler 890 578 entrées. Certes, cela peut apparaître comme des chiffres décevants par rapport aux œuvres précédentes du cinéaste et à la popularité de Patrick Dewaere, mais le métrage n’a pas coûté cher et a su parler à son public cible. C’est le principal.

Les César et la postérité d’un film majeur

Lors de la cérémonie des César 1980, Série noire a tout de même eu droit à cinq nominations dont trois pour les comédiens. Toutefois, Patrick Dewaere a été obligé de s’incliner face à Claude Brasseur pour La guerre des polices (Robin Davis). Quant à Bernard Blier et Myriam Boyer, ils ont été doublés par Jean Bouise (pour Coup de tête, de Jean-Jacques Annaud) et Nicole Garcia (pour Le cavaleur de Philippe de Broca) dans les catégories du meilleur acteur et actrice dans un second rôle.

Depuis, cette époque, le métrage est devenu culte grâce à plusieurs sorties en VHS, puis DVD et même blu-ray, mais aussi par plusieurs passages à la télévision dans les années 80-90. Arte est également devenu un diffuseur régulier de l’œuvre au noir. A noter la reprise du long-métrage en avril 2018 par les bons soins de Tamasa. Plus que jamais dérangeant, Série noire demeure l’un des polars français les plus marquants de la décennie 70, annonçant le déferlement de néo-polars sombres du début des années 80.

Critique de Virgile Dumez

Les sorties de la semaine du 25 avril 1979

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Série Noire d'Alain Corneau

Affiche © Ferracci – Gaumont

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Alain Corneau, Patrick Dewaere, Bernard Blier, Marie Trintignant, Myriam Boyer, Jeanne Herviale

Mots clés

Polars français des années 70, L’argent au cinéma, Le chantage au cinéma, Les affiches de Ferracci, La prostitution au cinéma

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