Initiant un cycle de films historiques impeccables dans la riche filmographie de Tavernier, Que la fête commence… est une œuvre majeure, à la fois drôle, cynique et touchante par la grâce d’une écriture ciselée.
Synopsis : Cette chronique historique oppose, au XVIIIe siècle, le siècle des lumières, trois types d’hommes : un réformateur, un politique et un idéaliste.
Que la fête commence…, premier grand film historique de Tavernier
Critique : Alors qu’il n’a encore qu’un unique film à son actif, le polar simonien L’horloger de Saint-Paul (1973) qui a connu un certain succès d’estime, le cinéaste Bertrand Tavernier souhaite se frotter à l’œuvre d’Alexandre Dumas et notamment son roman Une Fille du Régent publié en 1845. Pour cela, il s’adjoint les services du grand scénariste Jean Aurenche, mais les deux hommes butent sur la structure même du roman initial et ne parviennent pas à se sortir d’une impasse narrative. A force d’effectuer des recherches sur la période de la Régence, Tavernier et son complice découvrent l’existence réelle d’un conspirateur breton excentrique nommé Pontcallec, puis font la connaissance de l’abbé Dubois, sorte d’âme damnée du régent Philippe d’Orléans.
Sur les conseils d’Aurenche, Tavernier choisit donc d’abandonner l’adaptation du roman de Dumas pour écrire à quatre mains un scénario original. Bertrand Tavernier le précise notamment dans son livre d’entretien avec Noël Simsolo intitulé Le cinéma dans le sang, Ecriture, 2011, pages 184-185 :
Et, au hasard de l’écriture – on écrivait tout ce qui nous amusait avec Aurenche, sans plan – je me suis retrouvé avec ce trio, l’idéaliste, le pragmatique et le rêveur. Sans manipuler l’Histoire, nous explorions des thèmes contemporains. Le plus drôle c’est que certains ont cru que nous avions inventé le médecin Chirac, qui a pourtant existé, il était vraiment le médecin du Régent !
Un budget difficile à réunir
Un tel sujet nécessitait toutefois une débauche de costumes, de décors et de comédiens et le budget fut très difficile à réunir. Comme l’a affirmé Bertrand Tavernier dans plusieurs entretiens, seule la ténacité de la productrice Michelle de Broca a permis la naissance sur grand écran de ce projet atypique évoquant une époque de l’histoire méconnue du grand public. Pour autant, même si Tavernier et Aurenche se sont offerts la possibilité d’interpréter certains faits historiques, Que la fête commence… (1975) initie un cycle de films d’Histoire particulièrement brillants de la part d’un réalisateur qui a toujours eu à cœur de retranscrire au mieux à l’écran la période abordée. Passionné d’histoire, Tavernier n’a eu de cesse de livrer des œuvres remarquables comme Le juge et l’assassin, La passion Béatrice, La vie et rien d’autre, Capitaine Conan ou encore La princesse de Montpensier.
Pour Que la fête commence…, le cinéaste dispose d’un budget contraint mais qu’il parvient à optimiser grâce à des décors richement ornés, mais aussi par la grâce de la magnifique photographie du grand Pierre-William Glenn, faisant du long-métrage un plaisir visuel constant. Conscient de l’aspect très littéraire de son script, ciselé par des dialogues qui nous ramènent aux grandes heures du cinéma français des années 30 qu’adorait Tavernier, le réalisateur a tenu à faire preuve de maniabilité dans sa mise en forme. Ainsi, il s’est fait plaisir avec de longs travellings et des mouvements d’appareil particulièrement travaillés et parfaitement fluides. Il peut ainsi dynamiser des joutes verbales jubilatoires entre personnages d’un cynisme assez revigorant.
Portrait d’une monarchie sur le déclin
Qu’il soit drôle, grinçant, grivois ou carrément cynique, le ton du film se veut également sombre dans ce qu’il démontre. En faisant de Philippe d’Orléans un jouisseur qui se noie dans la fête pour masquer sa détresse intime, Tavernier en profite pour cibler les défauts d’une monarchie entièrement fondée sur des inégalités sociales scandaleuses. Il décrit donc ici un monde en déclin qui va petit à petit s’effondrer, à mesure que le peuple va prendre conscience de sa capacité à agir. Les auteurs terminent ainsi leur film par une scène anticipant de manière symbolique la future révolution française, qui n’interviendra pourtant que plusieurs décennies plus tard. Cette fin fut d’ailleurs reprochée au cinéaste, alors qu’elle préfigure justement un basculement entre deux mondes, l’un en déclin et l’autre émergent.
D’une belle délicatesse d’écriture, Que la fête commence… ne serait pas aussi jubilatoire sans l’apport majeur des nombreux comédiens qui le peuple. Bien sûr, Philippe Noiret fait un Régent à la fois pathétique et émouvant. Face à lui, Jean Rochefort est un arriviste qui ne cherche même pas à dissimuler sa rouerie. Enfin, Jean-Pierre Marielle incarne une sorte de Don Quichotte un peu ridicule qui échoue dans tout ce qu’il entreprend. Autour d’eux gravitent des acteurs exceptionnels qui parviennent à exister malgré un temps de présence réduit à l’écran. On adore notamment le personnage de prostituée incarné par Christine Pascal, ainsi que la marquise débauchée jouée par Marina Vlady.
Que la fête commence…, un beau succès parisien
Porté par des critiques généralement bonnes, Que la fête commence… débarque sur les écrans le 26 mars 1975 et se positionne à la deuxième place du box-office parisien lors de sa semaine d’investiture, avec 88 787 historiens dans les salles. Il ne parvient toutefois pas à déloger de sa première place la phénoménale Tour infernale (Guillermin) qui en est à sa quatrième semaine consécutive en pole position. Toutefois, le film de Tavernier prend sa revanche la semaine suivante puisque l’excellent bouche à oreille lui permet d’augmenter ses performances parisiennes avec 91 488 Franciliens supplémentaires et donc de se hisser à la première place du box-office de la capitale.
Il faudra l’arrivée sur les écrans de l’excellent Peur sur la ville (Verneuil) avec Belmondo pour que le Tavernier rétrograde en deuxième place en semaine 3 (69 054 entrées de plus). Au bout d’un mois de présence, Que la fête commence… entame une chute, devant notamment laisser la place à de nombreuses nouveautés. Le film atteint quasiment les 300 000 spectateurs en un mois d’exploitation. La suite de sa carrière tient en quatre autres semaines qui l’amènent à générer 534 538 rien qu’à Paris.
Le million dépassé sur la France
Sur la France entière, Que la fête commence… n’arrive qu’en sixième position lors de sa première semaine, surtout portée par ses bons chiffres parisiens. Pourtant, là aussi, la progression se fait en province par un bon bouche à oreille et le film gagne plusieurs places en une semaine, se situant à près de 250 000 entrées en quinze jours. Ensuite, le métrage demeure en troisième place du box-office pendant plusieurs semaines, dépassant les 500 000 entrées à la fin du mois d’avril. Mi-juin, Que la fête commence… est toujours exploité et dépasse ainsi les 900 000 tickets vendus. Avec ses différentes exploitations, le métrage est parvenu à se hisser au-delà du million d’entrées.
L’année suivante, l’Académie des César a entériné le beau succès de ce superbe deuxième film en lui attribuant quatre récompenses, dont celle du meilleur réalisateur, du meilleur second rôle pour Jean Rochefort, du meilleur scénario original et des meilleurs décors pour Pierre Guffroy. Sans cesse réédité en vidéo, mais également diffusé à la télévision, Que la fête commence… est toujours considéré comme l’un des meilleurs films de son auteur. Il est récemment ressorti en salles (le 15 février 2023) dans une version restaurée qui permet de profiter au mieux de son esthétique travaillée.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 26 mars 1975
Acheter le film en blu-ray
Voir le film en VOD
© 1975 StudioCanal / Affiche : Michel Landi. Tous droits réservés.
Biographies +
Bertrand Tavernier, Christine Pascal, Gérard Jugnot, Christian Clavier, Jean Rochefort, Michel Blanc, Philippe Noiret, Thierry Lhermitte, Nicole Garcia, Jean-Pierre Marielle, Hélène Vincent, Jean-Luc Moreau, Brigitte Roüan, Christophe Malavoy, Marina Vlady, Daniel Duval, Michel Beaune, Marcel Dalio, Monique Chaumette, Jean Rougerie, Bernadette Le Saché, Bruno Balp, François Dyrek