Cette dénonciation de la guerre sous toutes ses formes pâtit de nombreuses maladresses au niveau du scénario et de sa réalisation. Sympathique, mais raté.
Synopsis : Un futur indéterminé. La Troisième Guerre Mondiale s’étend. Jean-Marie Desprès, un chirurgien prestigieux, brisé par la vie et le départ de sa femmme, supervise un hôpital de campagne, à quelques kilomètres du front. Il fait la rencontre de la jeune et jolie Harmony. Idéaliste, elle lui redonne l’espoir.
Critique : Après avoir dirigé Alain Delon dans La veuve Couderc puis La race des seigneurs, le réalisateur Pierre Granier-Deferre collabore à nouveau avec son acteur fétiche pour cette adaptation d’un roman de Jean Freustié qui suit les tribulations d’une équipe de médecins de guerre durant la Seconde Guerre mondiale. Sans doute pour éviter des dépenses importantes en terme de reconstitution historique, Pierre Granier-Deferre choisit de transposer l’action du roman dans un futur proche (à l’époque 1983) miné par un troisième conflit mondial que l’on devine être la conséquence de la guerre froide. Dans ce climat d’anticipation, le but avoué des auteurs est de signer une œuvre de dénonciation des horreurs de la guerre. Peu importe qu’elle se situe dans un espace-temps flou puisque les scénaristes ont privilégié le message humaniste sur l’ancrage du métrage dans une réalité précise. Le tout est renforcé par l’excellence de l’interprétation. Effectivement, Alain Delon fait preuve d’une réelle intensité de jeu, soutenu par la vitalité de Bernard Giraudeau et la discrétion de Véronique Jannot, alors star de la télé imposée par Delon.
Malgré ces excellentes intentions et l’efficacité de certaines séquences, Le toubib s’avère être un film bancal à cause de nombreux choix malheureux. Tout d’abord, la représentation de cette Troisième Guerre mondiale manque de véracité et l’on ne ressent jamais la menace d’un conflit nucléaire ultra-moderne dans cette excursion au milieu de la campagne française. A aucun moment on ne frissonne car Pierre Granier-Deferre, grand cinéaste de l’intime, n’est clairement pas à l’aise lorsqu’il doit diriger des scènes plus impressionnantes. Son style très épuré ne convient absolument pas à la démesure que nécessitait le film. Nous ne sommes donc pas étonnés que les séquences les plus réussies (l’opération de Bernard Giraudeau, les scènes intimistes entre les deux amoureux) soient celles qui se déroulent entre quatre murs, tandis que toutes les scènes de bataille sont plombées par une réalisation statique. De même, si l’on peut apprécier le pessimisme radical d’un cinéaste au ton toujours désabusé, certains dialogues de Pascal Jardin sonnent faux (hésitant sans cesse entre vulgarité gratuite et phrases d’auteur sentencieuses). Dépourvu d’événements vraiment marquants, ce cri d’alarme face à la folie des hommes demeure franchement sympathique, mais marque surtout le spectateur par ses nombreuses maladresses. Si la critique de l’époque a bien ciblé tous les défauts de l’œuvre, le public français lui a réservé un accueil plutôt chaleureux avec un total de 1,7 million d’entrées / France.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 24 octobre 1979
Box-office & Promotion du film Le Toubib
1979. Alain Delon n’est pas à une contradiction. Il se plaint de l’état du cinéma français qui se laisse coloniser par le cinéma anglo-saxon mais, parallèlement, il confie la distribution de sa nouvelle super production à la CIC, consortium regroupant Universal et Paramount.
En 1978 et 1979, Cinema International Corporation distribue La fièvre du samedi soir, Grease, Les dents de la mer 2, American College, Galactica – la bataille de l’espace, American College, L’incroyable Hulk, L’évadé d’Alcatraz… CIC qui sortira également, en fin d’année 1979, un certain Airport 80 Concorde, film catastrophe d’époque avec Alain Delon en pilote de choc d’un Concorde en danger de crash.
Néanmoins, face à la maestria du cinéma anglophone de 1979 (Alien le huitième passager est l’un des films de la rentrée), Alain Delon y croit et, producteur qui a beaucoup investi dans Le Toubib, projet couteux, 100% français, réalise une promotion impeccable, à la télévision ou dans la presse. Il accorde une belle interview au magazine Première contre – très certainement – la couverture, alors qu’en octobre 1979 sortent les très attendus Moonraker et Tess.
Le Toubib en guerre avec les César
Le Toubib n’a pas les critiques les plus positives, de par son côté classique : la musique de Philippe Sarde (désormais disponible en streaming légal) divise, les dialogues manquent de naturel… Delon producteur y croyait et a même remis des copies du film à disposition de quelques directeurs de journaux pour qu’ils puissent le diffuser auprès de leurs collaborateurs. L’hebdo professionnel Film Français cite, à l’époque, Le Matin, Le Figaro, France-Soir, Elle, V.S.D., Le Point, L’Express et d’autres, qui auraient bénéficié de projections hors du cadre traditionnel des salles privées des Champs Elysées.
Alain Delon, fier de son film, finit son année française (on laisse sa contribution à Airport 80 de côté), avec un métrage efficace qui mélange les genres : guerre, anticipation, histoire d’amour. Le roman Harmonie ou les horreurs de la guerre a été rebaptisé à l’écart du nom du personnage d’Harmony (ie- dans le roman, -y, dans le film) joué par la frêle Véronique Jannot. Ironiquement, cette dernière ne figurera pas dans Airport 80 mais chantera un jour le tube Aviateur. Exit la poésie noire du titre littéraire pour l’efficacité d’une estampille à la Delon (Delon flic, Delon professeur, Delon Gitan, Delon toubib de ces dames…). Mais la décennie 70, comme les décennies précédentes, était celle des corporations D’ailleurs, les Italiens n’avaient-ils pas lancé des comédies coquines comme La toubib du régiment, La Prof donne des leçons particulières, La Flic chez les Poulets ? Alors oui, la star Delon peut être “Le Toubib” s’il le souhaite et s’accaparer de ce fait tous les suffrages, même si c’est Bernard Giraudeau, également star de Et la tendresse bordel, en février 1979, qui remportera la seule nomination aux César, en l’occurrence pour un second rôle, en 1979. De toute façon, entre Alain Delon et les César, la guerre allait bien au-delà du Toubib.
Avec Le Toubib, Alain Delon n’existe plus que pour servir la star à part qu’il incarne dans le paysage du cinéma mondial, et ainsi lui permettre de garder le sommet. Après l’échec d’Attention les enfants regardent, probablement l’un des projets les plus étranges et surtout invendables de son incroyable filmographie (457 000 entrées, en 1978), il lui faut reprendre les choses en main.
Quand Jean-Paul Belmondo bat des records avec Flic ou Voyou…
La concurrence symbolique avec Jean-Paul Belmondo est évidente, même si Delon refuse la facilité commerciale des projets du divertissement pur de Bébel. Et en 1979, Delon qui opte pour une histoire d’amour au milieu des horreurs de la guerre, c’est toujours moins vendeur que Jean-Paul Belmondo dans Flic ou Voyou, troisième au box-office annuel en 1979, avec 3 950 691 spectateurs. Alain Delon, de son côté, n’atteint que la 18e place annuelle, avec 1 713 247 spectateurs. Pour Belmondo, le score est énorme et symbolique. C’est la première fois que l’un de ses films atteint le million d’entrées à Paris en fin de première exclusivité. Historiquement, Flic ou voyou est le 18e film de l’histoire à parvenir à cet exploit. Le 7e de nationalité française.
Avec le recul d’une décennie qui s’achève, les deux idoles ont tenu des carrières avec de nombreuses correspondances, celles de méga-star franco-françaises totales. D’ailleurs, elles ouvraient ensemble cette décennie splendide avec Borsalino de Jacques Deray (4 710 381 spectateurs, mais seulement 850 096 entrées à Paris).
Toutefois Delon, dans sa compétition avec le monde, doit aussi faire face à l’américanisation des goûts. Le public se découvre une passion pour les effets spéciaux et la science-fiction. D’ailleurs, les triomphes d’Alien (6e annuel en 1979, 2 809 000 entrées) et la sortie d’un James Bond aux vrais airs de Guerre des étoiles (Moonraker, 5e annuel, 3 171 000) vont sûrement jouer contre Le Toubib, forcément anachronique dans son approche d’un divertissement poétique antimilitariste. Pis, c’est Apocalyse Now, Palme d’Or cannoise, d’un certain Francis Ford Coppola, qui ringardise l’ultime gros succès de Pierre Granier-Deferre (le cinéaste est à l’aube d’une décennie 80 qui lui sera moins favorable).
Alors que le grand public aime encore les grands auteurs et une certaine subtilité (distribués par AMLF et Gaumont dans la foulée du Toubib, Tess de Roman Polanski trouve 1 912 000 spectateurs et Don Giovanni de Joseph Losey réalise l’exploit d’attirer 1 000 000 d’aficionados d’opéra), la guerre des chiffres entre Apocalypse Now et Le Toubib jouera en la défaveur de ce dernier.
Le Toubib : un remède pour le moral d’Alain Delon
Face à un film qui n’est jamais catastrophique, ni totalement bon, le public célébrera néanmoins Alain Delon avec un authentique succès. Ainsi, Le Toubib qui sort pendant les vacances de la Toussaint, le 24 octobre, restera quatre semaines consécutives dans le top 5 français, certes, sans jamais atteindre la première place, à cause du succès de circonstance de Moonraker. Il atteint le million au bout de cinq semaines…
Le succès est réel, malgré la noirceur de certaines scènes et l’aspect mélodramatique qui feront des ravages dans les chaumières. A Paris, où les spectateurs sont censés être plus exigeants, la première place lui est assurée avec 117 301 spectateurs en semaine 1. Les Charlots en délire, l’autre grosse nouveauté du jour, est à la peine, avec 65 320 spectateurs en 6e place. Deux ans plus tôt, Mort d’un pourri, avec Delon, réunissait 114 771 spectateurs dans 21 salles. La marque Delon fonctionne indéniablement. Rien qu’au Marignan Pathé, le médecin de guerre arrache 9 677 spectateurs , 8 337 patients au Montparnasse 83, 7 187 tickets au Helder, 7 251 spectateurs à l’UGC Biarritz… Les chiffres sont satisfaisants.
Oui, Delon n’est pas à plaindre, même si, en deuxième semaine, dans 30 salles cette fois-ci, il perd la première place parisienne. Pour les vacances, les parents accompagnent leurs mômes voir Moonraker (123 481 entrées en 4e semaine). Elégant à sa façon, Alain Delon se permet toutefois de griller la politesse à Tess, avec Nastassia Kinski, qui entre en 4e place, avec 91 000 entrées (27 écrans), malgré une durée de près de 3h. Pour cette deuxième semaine, Le Toubib trouve encore 9 180 spectateurs au Marignan Pathé sur les Champs Elysées. Donc, le bouche-à-oreille n’est pas effroyable. Il tient carrément.
On notera qu’une fois les vacances passées, Tess la divine héroïne de Thomas Hardy, s’approprie la première place parisienne (72 000). Le Toubib, pour sa part, régresse en 5e place (55 000), Moonraker en 7e position (46 000). Miou-Miou dans La Dérobade, polar noir qui s’est installé en salle une semaine avant Le Toubib, fait preuve d’un meilleur bouche-à-oreille et double la star Delon. Notre ex-femme-flic finira à plus de 2 764 000 spectateurs en France, soit un million d’entrées de plus que le pamphlet romantique et pacifique de Pierre Granier-Deferre.
Dans 26 salles en 4e semaine, Le Toubib soigne encore 33 961 spectateurs, puis 20 662 blessés du cœur en 5e semaine. Il officiera au total pendant 11 semaines, quittant le top 15 parisien en 6e semaine, et l’affiche après une ultime semaine d’exploitation dans deux cinémas en intra-muros, au Berlitz et au Montparnasse 83 (1 960 spectateurs).
Les films de l’année 1979
Avec ses innombrables diffusions à la télévision et ses sorties vidéo multiples, en vidéocassette et DVD/blu-ray (VIP, René Chateau, Pathé entre autres), le film rapportera beaucoup d’argent pour soulager le cœur cabossé d’Alain Delon, même si Le Toubib ne comptera jamais comme un grand film du patrimoine national.
Box-office de Frédéric Mignard
Biographies +
Pierre Granier-Deferre, Alain Delon, Bernard Giraudeau, Jean-Pierre Bacri, Michel Auclair, Francine Bergé, Véronique Jannot, Bernard Le Coq, Catherine Lachens
Mots-clés :
1979, Les succès de l’année 1979, Cinéma français, Les docteurs au cinéma, Les histoires d’amour malheureuses au cinéma