Un budget démesuré pour toujours plus d’excentricités : souvent considéré comme un navet pour sa croisée des genres, Moonraker est un divertissement gonflé.
Synopsis : James Bond a pour mission de retrouver la navette spatiale Moonraker qui a disparu en plein vol. Son enquête le conduit de Venise à Rio où il soupçonne Hugo Drax, un milliardaire subventionnant la recherche spatiale, d’être à l’origine de ce détournement. Bond découvre que Drax veut devenir le maitre du monde…
Critique : Que du lourd ! 1978, après les cités sous-marines de L’espion qui m’aimait, l’équipe de production de la saga Bond, opportuniste sur ce coup-là, décide de surfer sur le principal phénomène commercial de l’époque, celui de la toute fraîche Guerre des étoiles. Pour nourrir l’amour du risque et le goût d’exotisme de l’espion globe-trotter, quitte à s’écarter toujours plus de l’esprit des classiques avec Sean Connery, la production est prête à tout, y compris à propulser son héros britannique dans les étoiles.
L’apogée fantaisiste de Roger Moore
Le succès inespéré de Roger Moore dans les pompes de l’espion de Sa Majesté donne du poids à la personnalité fantaisiste de la star du Saint et Amicalement vôtre au risque de dénaturer ce que les fans de la première heure adoraient en Bond. Albert Broccoli emploie à nouveau le scénariste de L’espion qui m’aimait Christopher Wood, spécialiste d’un humour pas toujours fin (Confessions d’un moniteur d’auto-école), pour mieux investir le potentiel fanfaron de la star qui peut s’adonner à la comédie pure. Des gags burlesques jalonnent le film : l’attaque de samouraïs à Venise (dont l’un finit planté les pieds en l’air dans un piano) où le badass Requin – qui plébiscité par le public, revient dans la saga -, joue à l’amoureux transi avec une Bavaroise ! Décidément, les temps changent.
Jouissant d’un budget doublement plus élevé que le précédent volet, le résultat est forcément d’une exquise connerie (sans aucun morceau de Sean à l’intérieur). Moonraker n’a aucune honte à préfigurer les blockbusters d’action pétaradants des années 90, en louvoyant entre le nanar de luxe et le blockbuster explosif qui refuse de se prendre au sérieux.
Le réalisateur Lewis Gilbert, qui rempile pour la troisième fois, soigne la réalisation et va titiller le grandiose et le sublime. Sa mise en scène réserve quelques joyaux d’esthétique très seventies, une attaque animale, par deux beaucerons de toute beauté, et surtout des plans terrestres et même spatiaux parfois éthérés, ou poétiquement cosmiques dans la dernière partie.
James Bond chez les Amazones et les Sélénites
Pendant deux heures, Roger Moore – particulièrement vieillissant physiquement, la haute définition du Blu-ray ne cache plus rien des crevasses sur son visage – tombe inévitablement toutes les femmes, et voyage dans un monde de carte postale qu’il dynamite. Il convole sur gondole électrique à Venise parmi les touristes (l’une des mauvaises idées du film !). Notre espion préféré débarque également en plein carnaval de Rio dont il va côtoyer les hauteurs vertigineuses, avant de se faire enlever par des Amazones qui lui réservent un combat royal avec un python. Il passe par le magnifique château de Vaux-le-Vicomte censé se trouver… en Californie. Cette fois-ci, le jalon britannique est coproduit par la France, d’où la présence étrange du comique George Beller au générique et du supersonique Concorde.
Le clou des pérégrinations bondiennes est évidemment l’argument commercial principal, surexploité par les bandes-annonces et l’affiche, la dérive extraterrestre du film qui propulse double zéro sept à bord d’une station spatiale d’anticipation, voir de space opéra. Le héros se met à contempler l’infini, lors de moments intenses lorgnant du côté de 2001 : L’odyssée de l’espace, avant de s’adonner à d’authentiques combats à l’arme laser. L’ombre de Dark Vador n’est jamais très loin. Une telle kitscherie relève du cinéma spectaculaire aussi grotesque que généreux et qui, aujourd’hui encore, impressionne par la qualité de ses nombreuses cascades et de ses effets spéciaux (nommés aux Oscar à l’époque).
Moonraker est un blockbuster moderne
Le charme patent de ce film faussement daté passe aussi par l’ampleur de sa composition musicale du formidable John Barry dans lequel on retrouve la gloire vocale de Goldfinger et des Diamants sont éternels, pour un titre certes plus mineur, mais majestueux.
Du côté du casting féminin, le charme envoutant de Loïs Chiles, revue par la suite en garce dans la série Dallas et le dernier sketch de Creepshow 2, l’impose comme une James Bond Girl évidente.
Le public américain fit de cette aventure par-delà les étoiles un triomphe, avec 70M$ de recettes, c’est-à-dire plus de 260 millions de dollars, si l’on ajuste les recettes au taux du dollar en 2021. En comparaison, L’espion qui m’aimait, le précédent volet, n’en avait engendré que 46 ! Évidemment, les Français, moins portés sur la conquête de l’espace, en firent un succès raisonnable à 3 millions d’entrées, ce qui établit Moonraker, score canonique pour Roger Moore sur notre territoire où Sean Connery est le gagnant au box-office.
Que l’on apprécie ou déteste ce que Moonraker peut représenter dans la saga James Bond, sa singularité en fait au moins l’un des titres les plus remarquables dont on se souvient aisément des séquences et audaces.