Œuvre bancale à cause d’un scénario aux abonnés absents, Le Gitan est une cruelle déception, malgré la présence d’un Delon toujours charismatique.
Synopsis : Opposé à une société qui a condamné les siens à l’errance et à la misère, le Gitan pille et vole par révolte. Le hasard met plusieurs fois sur sa route un perceur de coffre…
Critique : Sortant tout juste du succès remporté par son très beau Deux hommes dans la ville (1973) qui militait avec ferveur et dignité contre la peine de mort, l’écrivain et cinéaste José Giovanni fait à nouveau équipe avec Alain Delon en adaptant l’un de ses romans. Si l’annonce d’un film sur les gitans interprété par Delon pouvait faire très peur, force est d’admettre que l’acteur se sort plutôt bien de ce défi hautement casse-gueule. Sans essayer de coller à la réalité, la star compose avec une autorité toute naturelle une belle figure de truand dont le code d’honneur constitue à la fois sa force et sa faiblesse. Malgré l’implication de Delon, Le gitan (1975) est pourtant loin d’être une œuvre réussie. La faute en revient à un script totalement vaseux qui cherche à tout prix à mêler dénonciation des conditions de vie des gitans et histoire policière classique.
Sans doute à court d’inspiration, Giovanni n’est parvenu à mener à bien aucune des deux pistes qu’il tente laborieusement d’emprunter : son plaidoyer pour une meilleure intégration des gens du voyage sonne faux, plombé par des dialogues sentencieux, tandis que la trame policière ne tient absolument pas la route. Fondée entièrement sur des hasards et coïncidences – nombreux et peu crédibles – l’histoire contée se dilue dans d’interminables digressions qui ne mènent nulle part. Ainsi, le personnage incarné par Paul Meurisse traverse le film sans trop savoir pourquoi, de même pour la pauvre Annie Girardot dont le rôle est réduit à de la figuration. Le talent de ces acteurs chevronnés n’est pas à mettre en cause puisqu’ils n’ont tout simplement aucun rôle consistant à défendre. Sans être un naufrage total, l’ensemble se suit d’un oeil distrait et fort peu concerné. Même si certaines scènes font apparaître de temps à autre ce qu’aurait pu être ce Gitan, elles sont en nombre insuffisant pour combler les attentes légitimes d’un public pourtant conquis d’avance par un genre alors très populaire.
Voir le box-office du Gitan et le contexte de sa sortie ci-dessous.
Critique de Virgile Dumez
Sorties de la semaine du 4 décembre 1975
Box-office du film Le Gitan
Le Gitan est inévitablement encore un beau succès de cinéma pour le duo Giovanni – Delon.
Ecrit par le cinéaste pour Delon en personne, le projet réunit 1 788 000 spectateurs en France, dès la fin de l’année 1975, soit à peine 500 000 entrées de moins que Deux hommes dans la ville, la précédente collaboration entre les deux artistes, avec également Jean Gabin (sortie octobre 1973).
Le troisième Alain Delon en 1975 après Zorro et Flic Story
Le Gitan, troisième Delon de l’année en 1975, fait suite à l’échec du film d’aventures Zorro (1 218 000) et au succès de Flic Story de Jacques Deray, sorti deux mois auparavant, en octobre 1975 (1 970 000).
Sur 29 films avec Alain Delon distribués dans les cinémas dans les années 70, Le Gitan est le 9e plus gros succès de la star.
Distribué par la Fox Lira (Les seins de glace avec Delon et Mireille Darc en 1974, 1 462 000), Le Gitan marque le pas par rapport aux deux opus commerciaux de Jean-Paul Belmondo de 1975. Ce dernier se réinvente dans l’action avec Peur sur la ville (3 848 000) et la comédie à la mode L’incorrigible qui déboule un mois et demi auparavant (2 568 000).
Delon, lui, est en plein tournage de son film le plus ambitieux, le drame douloureux sur l’antisémitisme Monsieur Klein, de Joseph Josey, en ce décembre 1975, lors de la promo du Gitan. Parallèlement, la boîte de Delon, Adel Productions, annonce le tournage du Gang de Jacques Deray (Flic Story, justement), d’après Roger Borniche, comme pour bien souligner l’omniprésence du mythe. Ce film mineur dans la carrière de Delon en Pierrot le fou, est prévu pour mai 1976.
Le Gitan sort un vendredi 5 décembre et ne connaîtra qu’une première semaine d’exploitation de 5 jours, avant une sortie progressive en province, d’abord à Bordeaux (le 10/12), à Lyon, Rouen et Nice… (17/12).
A Paris, la Fox Lira lui trouve environ 17 écrans à Paris-Périphérie sur ses 5 premiers jours. On peut voir le film noir dans le circuit Gaumont, au Gaumont Ambassade, Berlitz, Cluny Palace, Gaumont Bosquet, Gaumont Sud, Montparnasse Pathé, Wepler Pathé et Gaumont Gambetta pour l’intra-muros. La première semaine de 5 jours n’est pas foudroyante pour ce Delon dit mineur, puisque le film rate la première place. Avec 74 496 spectateurs, notre félin ne parvient pas à déloger Le sauvage, comédie d’aventures en 2e semaine, avec deux stars : Yves Montand et Catherine Deneuve. Mais Delon se classe devant 7 morts sur ordonnance, avec Depardieu, Birkin et Piccoli, qui entre 3e, dans une combinaison plus ou moins équivalente. Au Berlitz, ce sont pas moins 15 750 spectateurs qui s’immiscent dans la communauté de Delon.
Avec 62 671 entrées, Le Gitan de Delon est légèrement en baisse à P-P en deuxième semaine. Est-ce déjà fini pour le polar qui se pose à 137 000 entrées ? Non. Cette semaine-là est marquée par les sorties tonitruantes d’Adieu Poulet et On a retrouvé la 7e compagnie.
Dans un classement remarquablement dominé par le cinéma français des auteurs (Pierre Granier-Deferre, Jacques Rouffio, Jean-Paul Rappeneau…), Le Gitan va faire preuve d’une vraie longévité à Paris, puisqu’il va multiplier par six ses chiffres de première semaine, pour finir au-delà des 400 000 spectateurs.
Le Gitan passera 8 semaines consécutives dans le top 5 hexagonal, 9 semaines consécutives dans le top 10… A la fin du mois de mars, Alain Delon est déjà à 1 500 000 curieux, face à 7 morts sur ordonnance qui est aux portes du million, quand Le sauvage a amusé plus de 2 millions de spectateurs, et Adieu Poulet 1 700 000 coqs.
Qu’Alain Delon profite bien de l’enthousiasme du public en cette belle année 1975. En 1976, Comme un boomerang (787 000) et Monsieur Klein (711 000) seront des bides commerciaux totaux.
Biographies +
José Giovanni, Alain Delon, Annie Girardot, Bernard Giraudeau, Renato Salvatori, Mario David, Florence Giorgetti, Paul Meurisse, Marcel Bozzuffi, Maurice Barrier, Paul Beauvais, Jacques Rispal