Angel est un classique du vigilante qui a fait carrière en VHS grâce à sa phrase d’accroche choc, “bonne élève le jour, bonne p… la nuit.” Un petit fleuron de son époque.
Synopsis : Molly Stewart, 15 ans, mène une double vie. Lycéenne modèle le jour, elle devient à la nuit tombée Angel, une prostituée officiant sur Hollywood Boulevard. Alors qu’un dangereux tueur en série fait son apparition dans les rues de Los Angeles, assassinant sauvagement deux de ses amies, Angel refuse de céder à la peur…
Angel : un film New World Pictures !
Critique : 1984. Exit Roger Corman. La société New World Pictures qu’il a fondée en 1970 est revendue et change de PDG. Le producteur mythique Robert Rehme revient avec de grandes ambitions à la tête de la société dont il avait été vice-président à la fin des années 70.
A Cannes en 1984, au Marché du film, New World Pictures vend aux distributeurs des quatre coins du globe, Horror Kid, les démons du maïs d’après Stephen King et Tuff Turf/Quartier chaud, tous deux réalisés par Fritz Kiersch, The Stuff de Larry Cohen, The Philadelphia Experiment, Sans issue, Voeux sanglants (The Initiation) et de nombreuses autres fantaisies inoubliables pour les enfants des années 80, parmi lesquelles Angel.
P… comme putassier ou pitch putassier
Angel trouve acquéreur dans le monde entier grâce à sa phrase d’accroche : High school honor student by day, Hollywood hooker by night. C’est sur cette vilaine blague de potache putassière que la New World Pictures fut elle-même convaincue d’investir dans ce thriller en 1983.
A l’époque, les films, tellement nombreux à être distribués chaque semaine, n’existaient que par leur bande-annonce, leur titre et leur tagline accrocheuse qui restaient dans les esprits. Celle d’Angel assura un carton au marché du film cannois. Chaque distributeur international s’appropriera avec plus ou moins de bonheur ladite phrase culte à forte tendance pédophile.
Des droits cinéma français pour LMD/Coline
En France, c’est le distributeur LMD/Coline qui en récupère les droits d’exploitation pour le grand écran. Il est décidé d’une sortie en salle à la rentrée 1984. Le distributeur indépendant est connu pour Le loup-garou de Londres, L’invasion des piranhas, Le chevalier du monde perdu, Violences sur la ville, Le piège à cons de Mocky, Cujo, Le policeman, Les vampires de Salem ou Racket du sang sur la tamise de John MacKenzie. Aussitôt, il obtient une variante de l’affiche internationale par l’affichiste ultra à la mode Michel Landi. On notera que Landi ne gardera pas la typographie internationale que l’on retrouve en 2021 sur le blu-ray français.
Pédophile mais pas trop ?
Contrairement à beaucoup de productions urbaines ultra-violentes et sexy, Angel s’en tire avec une petite interdiction aux moins de 13 ans. Et ce en dépit de la phrase d’accroche mémorable pour tous ceux qui ont pu passer devant un cinéma le programmant : “Bonne élève le jour, Bonne p… la nuit”.
Dans un marché où la pédophilie était un thème omniprésent en littérature, en vidéo et au cinéma, l’étiquette controversée était loin d’outrer la commission de classification. La violence du film est très mesurée, jamais excessive ; quant à la sexualité, elle est réduite à peau de chagrin, avec très peu de scènes de nue, et en l’occurrence aucune incluant l’héroïne de 15-16 ans jouée par Donna Wilkes qui a obtenu une doublure pour une scène qui ne finira pas au montage. Et puis les Parisiens sont blasés. La même année, les distributeurs Audifilms, Alpha France, Auroch, Cinevog promettent des « Jeunes » Danoises au pair, des Adolescentes à s… (on censure). 7 750 Parisiens se précipitent pour découvrir le Traitement spécial pour petites filles ; Les petites filles étaient expertes en langue pour 6 626 spectateurs de passage. Et ce n’est qu’un tout petit exemple soft d’une époque ou un titre de film pornographique sur quatre faisait référence au viol ou à l’enfance.
Forcément, dans ces conditions, Angel, pur spectacle pour cinémas de quartier et soirée VHS, s’apparentait en France à un film quasiment grand public que les adolescents louaient en toute innocence, puisqu’après tout, la protagoniste de leur âge, n’était-elle pas le jour «bonne élève » de lycée ?
Angel sur le trottoir de la concurrence
La semaine du 29 août, Angel affronte une certaine concurrence au balcon : Conan le destructeur est un blockbuster bis avec Arnold Schwarzenegger (37 écrans), Roar et ses délires félins surprennent dans 18 cinémas, le grand Rohmer connaît l’un de ses plus gros succès personnels avec Les nuits de la pleine lune (17 écrans), CIC ressort en grande pompe La main au collet de Hitchcock (23 salles), et le polar érotique franco-espagnol A coup de crosse, qui pour le coup ultra-violent et malsain, avec Bruno Cremer et Fanny Cottençon, déroutait dans 23 cinémas.
LMD a peu de place pour positionner son film. A Paris, on lui propose tout juste 9 sites, soit 7 en intramuros et 2 en banlieue. Nous citerons le Gaumont Ambassade sur les Champs, pour le standing, l’UGC Ermitage, situé juste un peu plus haut sur la plus belle avenue du monde, le Rex, l’UGC Convention, le Gaumont Berlitz, le Ciné Beaubourg et le Paramount Galaxie dans le 13e. C’est peu et notre jeune héroïne devra se contenter de 12 653 imperméables pour sa première semaine, avant de michetonner sur 4 écrans parisiens la semaine suivante (5 188). Au final, Angel reste trois semaines à l’affiche sur Paris. Pas de quoi en faire un film culte, surtout que sur l’ensemble du territoire le drame adolescent ne reste qu’une seule semaine dans le top 30 national, avec 18 000 entrées pour son investiture. La VHS fera le reste.
Aux États-Unis en revanche, avec près de 18 millions de recettes, le film se classe en 54e position annuelle devant de grosses productions comme Firestarter, Supergirl, Body Double… Il fait presque autant que Cotton Club de Coppola et, à 10 millions de recettes près, s’approche de Dune au budget pourtant éléphantesque.
D’Embassy en VHS à Carlotta en blu-ray, Angel voue un culte à la vidéo
Et la VHS, c’est l’éditeur américain Embassy qui s’en charge, avec une sortie à peine trois mois après la sortie salle. Un an plus tard, le 29 octobre 1986, l’actrice d’Angel changera de visage et reviendra grandie, au cinéma, pour Angel II, la vengeance. Face au blockbuster raté avec Madonna et Sean Penn, Shanghai Surprise, elle devra toutefois s’écraser avec une 29e place en salle… Angel sort peu à peu des esprits. Les modes changent. Et des générations n’entendront jamais parler de ce petit classique des vidéoclubs.
En 2021, Carlotta ravive sa Midnight Collection qu’elle avait abandonnée en 2018. Une bonne idée commerciale pour l’éditeur, puisqu’avec le déclin du format physique, les films de genre, sous forme de coffret et de collectors, avec pléthore de bonus, font un malheur en éditions limitées chez les indépendants. Carlotta au catalogue prestigieux a su apprendre de ses erreurs passées dans le domaine (ne pas proposer de bonus sur ses anciens Midnight Collection, comme sur les VHS d’antan) et passe à la vitesse supérieure avec Angel. Le titre est proposé en édition simple, ou en coffret avec les deux autres volets de la trilogie qui, pour mémoire, se referme sur un DTV pour le marché français.
Carlotta, droit dans ses bottes, reprend le visuel d’antan, légèrement modifié, gonfle les suppléments… On est loin des choix moins heureux commis à l’époque de Blue Jean Cop ou A armes égales, deux midnight movies qui n’avaient pas impressionné tant ils n’étaient pas représentatifs de l’heure de gloire de la VHS.
Le polar de Robert Vincent O’Neil, lui, s’impose comme une évidence en 2021. Il ravive l’authenticité d’une époque telle qu’elle est dépeinte dans son décor (la faune du Hollywood Boulevard, dans la première moitié des années 80, pas piquée des hannetons), ses faits divers et le jeu convaincu d’acteurs solides.
Un casting culte et attachant incluant Susan Tyrrell
Impossible de ne pas citer dans un second rôle punk la présence de Susan Tyrrell, icône underground totalement démente dans Forbidden Zone (l’un des premiers DVD du Chat qui fume, pour mémoire). L’actrice a connu une existence bien plus folle, pittoresque, tragique et sordide que ce que l’on voit dans ce film où elle veille, en matrone, sur une résidence où logent des prostituées, l’ado Angel, ou un vieux travesti attachant joué par Dick Shawn dans l’un de ses derniers rôles. Cet acteur est une autre figure fantasque qui a su jouer avec la contre-culture ; il démontrait une fois de plus ses prises de risque dans ses choix. Il y est aussi attendrissant qu’amusant dans ce rôle paternel/maternel de vieille michetonneuse qui protège la jeune fille tel un ange gardien.
Une œuvre très contemporaine qui parle aussi de la Californie d’aujourd’hui
Le casting global d’Angel fonctionne, autant que son histoire simpliste, mais qui sait aller à l’essentiel sans porter de jugement sur les choix de ses personnages. Le langage cru des années 80 donne davantage d’authenticité aux caractères qui traversent le film qu’il n’engrange les clichés. Le film traite de façon un peu pop documentaire une face hallucinante d’un Hollywood peu reluisant où, comme l’affirmait Donna Wilkes dans ses interviews d’époque, la majorité des filles du trottoir avaient entre neuf et dix-huit ans. Une époque peu glorieuse pour la jeunesse, mais la prostitution en 2020 ne s’est-elle pas tournée sur Internet ? Dans les bonus du coffret, le lien est d’ailleurs établi entre la jeune Angel se tournant vers la prostitution pour s’en sortir et la celle d’étudiants pour pouvoir payer leurs frais de scolarité…
Le fond dramatique d’Angel est sûrement sordide, mais le film évite soigneusement les pièges du voyeurisme et du glauque. Même son psychopathe échappé de Psychose d’Alfred Hitchcock ou du Justicier de minuit de J. Lee Thompson, habilement joué dans le silence par John Diehl, confère au film plus de souffrance psychologique qu’une fascination quelconque pour le sadisme.
Joliment troussé, mis en boîte avec professionnalisme, Angel est une réussite dans son genre. Sa vision d’une certaine misère californienne est d’autant plus pertinente qu’en 2021 l’État ne fait plus rêver, avec ses loyers inaccessibles qui forcent la jeunesse, les immigrés et ses classes moyennes à côtoyer la rue pour trouver un coin minuscule où poser leurs bagages. Un reboot d’Angel pourrait être envisagé. La face cachée de l’État doré nous plongerait sûrement dans une situation encore plus sordide qu’avant. Pas de bol, Steven Spielberg a préféré refaire West Side Story. On aurait aimé le voir moins sage…