© FDC / Philippe Savoir (www.filifox.com)
Tout s’est bien passé pour François Ozon qui réussit un drame familial dans la veine sombre et sobre de son univers, tirant le meilleur parti de ses acteurs.
Synopsis : À quatre-vingt-cinq ans, le père d’Emmanuèle est hospitalisé après un accident vasculaire cérébral. Quand il se réveille, diminué et dépendant, cet homme curieux de tout, aimant passionnément la vie, demande à sa fille de l’aider à mourir.
La vieillesse est un naufrage
Critique : François Ozon adapte ici le roman éponyme autobiographique d’Emmanuèle Bernheim (1955-2017). Tout s’est bien passé (éditions Gallimard, 2013) avait également fait l’objet d’un documentaire, Être vivant et le savoir, réalisé par Alain Cavalier en 2019, et dont le montage fut effectué après le décès de l’écrivaine. Ozon prolonge le matériau littéraire et l’approche de Cavalier, tout en apportant sa touche personnelle. Le thème du suicide médicalement assisté, et de l’euthanasie en général, est combiné à une réflexion sur les ravages de la vieillesse, une double thématique sociétale qui aurait pu faire dévier l’œuvre vers le didactisme du film à thèse et les excès du mélo familial, deux écueils heureusement évités par le cinéaste. Ce qui ne l’empêche pas de se soucier de réalisme et de référence à des institutions effectives comme L’Association pour le droit de mourir dans la dignité ou l’association suisse Dignitas, dont on parle beaucoup depuis la mort de la comédienne française Maïa Simon en 2007.
En fait, le métrage fait partie de la veine sombre et sobre du cinéma d’Ozon, qui a tendance à être prédominante depuis quelques années, qu’il aborde la pédophilie au sein de l’Église dans Grâce à Dieu (2019) ou le suicide adolescent avec Été 85 (2020). On est loin de la fantaisie de Potiche (2010) ou du lyrisme décalé de 8 femmes (2002). Le film adopte en outre une linéarité et des dialogues explicatifs qui tranchent avec l’onirisme et les faux-semblants de Sous le sable (2001). On retrouve pourtant de nombreux points communs avec des films antérieurs du réalisateur. La préoccupation de la mort est forcément omniprésente, comme cela fut notamment le cas dans Le temps qui reste (2005) ou Frantz (2016), quand les fragilités de la structure familiale font forcément écho aux déboires des personnages de Sitcom. Et les ex-amours gays du père ne sont pas raviver le souvenir de Gouttes d’eau sur pierres brûlantes (2000). Ces précisions permettent d’affirmer que Tout s’est bien passé n’est ni une commande de producteur, ni un simple « dossier de l’écran ».
Tout s’est bien passé, une adaptation littéraire subtile
Comme souvent, Ozon parvient à émouvoir sans pathos. C’est bien sûr le cas avec la relation entre cette fille intellectuelle et ce père industriel. Sans forcer le trait sur les rapports conflictuels qui ont pu être les leurs par le passé (des flash-back succints permettent au spectateur de se faire une idée de l’évolution de leur situation), Ozon montre la complicité entre deux êtres dissemblables, comme avait su le faire Maren Ade avec Toni Erdmann (2016). On appréciera aussi la description des rapports entre deux sœurs différentes mais restées unies dans le dilemme et la douleur communs. Il n’est pas superflu d’ajouter qu’Ozon confirme qu’il est un merveilleux directeur d’acteurs, jusqu’au moindre petit rôle (Judith Magre ou Jacques Nolot). On a plaisir à retrouver Géraldine Pailhas, huit ans après Jeune et jolie : la mère désemparée face à la prostitution de son ado devient ici une fille déboussolée face aux exigences de son vieux père.
Et quel bonheur de croiser Charlotte Rampling en épouse blessée ou Hanna Schygulla en ex-magistrate ambigüe. Même Sophie Marceau nous étonne et échappe aux minauderies ou à l’inexpressivité de son jeu, trouvant peut-être le meilleur rôle de sa carrière. Elle n’a en tout cas jamais été aussi bonne actrice depuis Police (1985) de Maurice Pialat. Comme quoi tourner avec de grands cinéastes permet souvent à un interprète de donner le meilleur de lui-même. D’aucuns regretteront le caractère un peu convenu et lisse de certaines séquences (la consultation chez l’avocat, un dernier repas au restaurant). Et il est évident que sur un thème similaire, Ozon n’atteint pas la force d’un Michael Haneke avec Amour (2012), ni même de Florian Zeller avec le récent The Father (2021). Ces quelques réserves n’empêchent pas d’apprécier la qualité globale d’une œuvre digne et profondément humaine.
Critique de Gérard Crespo
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