Premier long de François Ozon, Sitcom est une furieuse comédie trash qui ose absolument tout sans aucun filtre. Définitivement culte, malgré quelques défauts.
Synopsis : Le père est ingénieur, la mère partage son temps entre ses cours de gym et ses séances de psychothérapie, le fils est un étudiant en droit fort sérieux, la fille est artiste et la femme de ménage un peu fofolle. Bref, une famille ordinaire. Toute cette apparente harmonie va éclater avec l’arrivée d’un personnage inattendu : un rat.
Un premier film trash sur les traces de John Waters et Almodóvar
Critique : Sorti en 1994 de la Femis, François Ozon enchaîne les années suivantes les courts et moyens-métrages, produits par la toute jeune société Fidélité Productions dirigée par Olivier Delbosc et Marc Missonnier. Ils parviennent même à sortir dans les salles le moyen-métrage Regarde la mer (1997) avec Marina de Van, pourtant handicapé par une durée inhabituelle de 52 minutes. Cela préparait pourtant le terrain pour le premier vrai long-métrage du jeune réalisateur, la comédie trash Sitcom (1998) qui permettait à l’auteur de retrouver La Semaine de la critique à Cannes, deux ans après la diffusion de son court métrage Une robe d’été , une édition de la Semaine particulièrement trash puisqu’aux côtés de Sitcom figuraient Seul contre tous de Gaspar Noé et le premier Torrente de Santiago Segura
© 1998 Fidélité Productions – Le Studio Canal + / Affiche : Jean-Claude Moireau (photographe) – SKT7 (agence). Tous droits réservés.
Homosexuel déclaré, François Ozon s’inscrit avec ce premier long dans la mouvance d’un certain cinéma gay à forte tendance trash. On pense bien évidemment aux outrages de John Waters, aux premières œuvres de Pedro Almodóvar, ou encore aux excès d’un certain Rainer Werner Fassbinder. De ses maîtres à filmer, Ozon reprend une esthétique fondée sur des couleurs violentes, volontairement kitsch, et sur une mise en scène assez basique afin d’évoquer les fameuses sitcoms du titre.
Ozon ou l’art d’exploser toutes les conventions
Tout comme dans ce genre télévisuel qui décrit généralement les petits problèmes quotidiens de personnages issus de la bourgeoisie, François Ozon semble se lover dans les stéréotypes durant le premier quart d’heure du film. Il nous présente une petite famille qui semble initialement bien sous tous rapports. Toutefois, on sent déjà planer comme une ombre sur cet univers terriblement corseté, visiblement prêt à imploser.
Ozon suit alors les préceptes de Pier Paolo Pasolini et de son Théorème (1968) en introduisant un grain de sable dans cette formidable mécanique de précision. Ici, il s’agit d’un simple petit rat qui va cristalliser toutes les tensions internes de la famille et déclencher un tourbillon de réactions imprévisibles. La mécanique comique se met en branle avec le coming-out du jeune fils incarné avec talent par Adrien de Van. Au sein de cette famille bourgeoise, l’homosexualité n’est pas nécessairement mal considérée, mais elle fait ressortir toutes les frustrations sexuelles de l’entourage du jeune garçon.
Un festival de situations trash hilarantes
Dès lors, tous les personnages vont se livrer aux pires turpitudes sexuelles dans un grand bain de libération qui emporte toutes les valeurs morales sur son passage. Ozon ose tout dans ce premier long : l’homosexualité, les parties fines à plusieurs, la pédophilie, le sadomasochisme, la zoophilie et même une séquence d’inceste assez hallucinante où la mère de famille tente de remettre son fiston sur le droit chemin (entendez par-là l’hétérosexualité).
Dans ce grand défouloir général, le spectateur ouvert d’esprit ne pourra que rire aux éclats face à un tel déballage. Bien entendu, les autres risquent fort d’être indisposés devant cette volonté d’explorer les tréfonds de l’âme humaine par le trash.
Une partition exécutée au cordeau par tous les acteurs
Toutefois, l’air de rien, François Ozon évoque en filigrane le manque d’amour au sein des familles traditionnelles, la frustration sexuelle qui peut se nicher au cœur des vieux couples hétérosexuels (surtout si le patriarche réprime ses tendances gays) et la puissance de répression d’une société normée qui refuse la différence.
Tout ceci ne serait pas aussi drôle sans la partition impeccable jouée par tous les acteurs. On adore notamment le personnage borderline interprété par Marina de Van. Stéphane Rideau n’hésite pas à se mettre en danger en apparaissant dans une tenue SM improbable. Enfin, Évelyne Dandry s’impose comme une très grande actrice dans le rôle délicat de la mère angoissée et frustrée.
Sitcom apparaît donc aujourd’hui comme un premier film assez enthousiasmant, et ceci malgré une fin un peu précipitée qui n’est pas totalement convaincante. Il s’agissait en tout cas d’un film osé qu’il est bon de revisiter en ces jours de cinéma formaté où l’humour trash semble désormais banni de l’espace public pour cause de bienveillance institutionnalisée.
Critique du film : Virgile Dumez