Après plusieurs œuvres mineures, Potiche marque le retour d’Ozon. Bien lui en a pris. Potiche est jubilatoire !
Synopsis : En 1977, dans une province de la bourgeoisie française, Suzanne Pujol est l’épouse popote et soumise d’un riche industriel Robert Pujol. Il dirige son usine de parapluies d’une main de fer et s’avère aussi désagréable et despote avec ses ouvriers qu’avec ses enfants et sa femme, qu’il prend pour une potiche. À la suite d’une grève et d’une séquestration de son mari, Suzanne se retrouve à la direction de l’usine et se révèle à la surprise générale une femme de tête et d’action. Mais lorsque Robert rentre d’une cure de repos en pleine forme, tout se complique…
La 9e femme de François Ozon
Critique : Après quelques œuvres mineures, pour la plupart marquées par l’insuccès commercial, François Ozon reprend sa carrière en main et il le fait bien ! Exit le drame (Angel, Ricky et Le refuge), le cinéaste est d’humeur taquine comme dans les années 90 où il révéla son inclination pour le trash, mais surtout comme dans 8 femmes, pour mémoire le plus gros « hit » de sa carrière. Il est d’ailleurs ici impossible de ne pas voir en Potiche une sorte de tentative de goûter à nouveau au succès de ce 8 Femmes fort de plus de 3 700 000 spectateurs. Potiche est aussi l’adaptation d’une pièce de boulevard, ici un succès de Pierre Barillet et Jean-Pierre Gredy : on y retrouve une avenue de stars (dont Deneuve, pont direct entre les deux œuvres), une mise en scène délicieusement kitsch et des dialogues qui font mouche à chaque fois. C’est cocasse, légèrement « bitchy », souvent irrévérencieux sans jamais être vulgaire ! Du Ozon trait pour trait…
La revanche de la gourde
Comme son illustre film précédent, Potiche a été réalisé par un cinéaste folâtre, amoureux des comédies de caractère habitées par des personnalités fortes. Et surtout, ce nouveau blockbuster exigeant de la comédie française a été mis en scène par un amoureux de rencontres cinématographiques hors norme. Ozon réunit un casting royal avec des seconds rôles succulents (Godrèche en garce du libéralisme, Karin Viard en secrétaire aux gros seins éperdument amoureuse de son patron…) et des têtes d’affiche tout simplement énorme, notamment Fabrice Luchini hilarant en chef d’entreprise et époux odieux !
Mais au milieu de toutes ces rencontres cinématographiques, ce sont les retrouvailles entre Ozon et Deneuve, qui fut il y a près de dix ans l’une de ses “8 femmes”, qui s’avèrent les plus délicieuses. Le cinéaste fait montre à chaque instant de l’admiration qu’il porte à la comédienne. L’hommage qu’il lui rend consiste notamment à la replonger dans les années 70, cette décennie de libération de la femme où la comédienne était un authentique symbole de féminité et une image sexuée de femme forte.
Deneuve à contre-emploi incarne ici la « potiche » bourgeoise des années 70, épouse de grand patron gentillette à qui l’on ne demande jamais son avis, son rôle se réduisant à être présente à la maison au retour de Monsieur. Son ascension à la tête de l’entreprise lorsque son mari hyperactif doit se remettre d’une double attaque, fait naître en elle un désir de revendications insoupçonnées. Elle se fait alors le chantre de ses propres frustrations, des revendications sociales de ses employés, des droits de la femme (notamment celui à l’avortement et au travail), et, loin d’être une coincée de l’entrecuisse, elle cautionne même la libération des mœurs, contestant le conservatisme irascible de son époux.
Catherine Deneuve, la Potiche qui n’en était pas une
La femme charismatique que Deneuve incarne devient politique (elle se présente même aux législatives) ; son personnage évoque forcément l’ascension de Ségolène Royal vers des ambitions présidentielles, à la fin des années 2000. Deneuve excelle dans un rôle plus complexe que ce qu’il laisse paraître au premier abord, jouant ironiquement avec les apparences, celle de la femme au foyer godiche qui n’aurait d’avis sur rien. Elle s’amuse dans une reconstitution des années 70 plus vraie que nature, au ton d’une émission de télé hilarante de misogynie pour ménagères de l’époque. Manipulée manipulatrice, fausse ingénue, la star est surtout révélatrice d’une grande nostalgie partagée par tous, cinéaste et spectateurs réunis, à l’égard de l’actrice immense qu’elle a pu être dans sa jeunesse.
En plaçant Catherine Deneuve à la tête d’une usine de parapluies, François Ozon fait un clin d’œil magique aux Parapluies de Cherbourg (1963) ; quant au face-à-face entre l’actrice et Gérard Depardieu, il renvoie encore une fois à tout un pan monumental de notre patrimoine cinématographique, et distille pour les plus cinéphiles d’entre nous une vraie émotion. Depardieu en syndicaliste communiste est moins démesuré qu’attendrissant dans sa relation avec la femme du grand patron qu’elle interprète. Le comédien, forcément grandiose en homme de tempérament de gauche – aussi contradictoire que cela puisse être avec ses dérapages d’époque dans les médias – est encore une fois vertigineux. Ensemble, ils irradient l’écran ; les stars complices offrent ainsi dans leur réunion les meilleurs moments d’un métrage où pourtant le rythme comique ne faiblit jamais.
Le star system un peu papier glacé que le cinéaste place sur un piédestal n’est évidemment pas très loin de sa démarche artistique dans 8 femmes où l’on ressentait le même besoin d’idéaliser, sacraliser les idoles dans un glamour euphorique (Fanny Ardant, Emmanuelle Béart…). Mais que les mauvaises langues baissent leurs armes. Grand auteur qu’il est, Ozon est bien trop fin pour dupliquer ses réussites d’antan et exploiter des filons faciles. Cette fois-ci la démarche du réalisateur de Gouttes d’eau sur pierres brûlantes dépasse le cadre étroit de la simple comédie pour se charger d’un riche contexte historico-social. Ozon resitue l’action dans une décennie politique certes datée, mais inextricablement reliée à nos préoccupations contemporaines. Et il le fait sans manichéisme primaire ou méchanceté gratuite !
En période de grogne sociale et de manifestations contre la réforme des retraites sous Nicolas Sarkozy, Potiche avec ses salariés lésés qui se révoltent contre leur direction ne pouvait pas mieux tomber. Son sous-texte sarcastique à l’égard des délocalisations et du dégraissage de personnel prend une valeur inestimable. Si l’auteur ne définit pas son film comme un authentique manifeste politique, derrière l’habillage de comédie rose acidulée, il traite bien de considérations complexes, avec une certaine ironie sur les rapports ambigus entre la gauche et la droite (la “potiche” couronnée de succès n’est-elle pas elle-même un pur paradoxe politique ?). Cette profondeur manquait sûrement à la comédie policière 8 femmes, qui s’assumait en son temps entièrement comme un conte vénéneux, mais léger, plus sulfureux et glamour qu’engagé !
En 2010, Ozon, fort d’une décennie d’œuvres dramatiques souvent intenses (Sous le sable, 5X2) évoluait vers plus de maturité. Et son irrésistible Potiche, aussi déjanté soit-il, en attestait remarquablement.