Quand la Nouvelle Vague croise le comique troupier, cela donne Tire-au-flanc 62, une œuvre sympathique mais aux gags un peu trop téléphonés pour pleinement satisfaire.
Synopsis : Jean Lerat de la Grignotière, jeune homme issu de la noblesse, est appelé à faire son service militaire en compagnie de son domestique, Joseph. Ce dernier s’accommode fort bien de cette nouvelle situation, contrairement à son maître, qui vit mal les brimades de ses camarades et accumule les bévues, s’attirant ainsi les foudres de ses supérieurs. Jean tombe amoureux de la fille du colonel, Catherine. Lors d’une représentation de Tire-au-flanc, il joue le rôle du valet, tandis que Joseph incarne le maître…
Un premier film tourné entre potes
Critique : Ami de François Truffaut et critique aux Cahiers du Cinéma, Claude de Givray a d’abord été assistant-réalisateur sur Les mistons (François Truffaut, 1957) et Le beau Serge (Claude Chabrol, 1958) avant d’être appelé sous les drapeaux alors que la France était plongée dans la guerre d’Algérie. A son retour des terres algériennes au bout de deux ans, Claude de Givray constate l’explosion de la Nouvelle Vague qui s’est un peu faite sans lui. Il est toutefois toujours soutenu par son ami François Truffaut qui lui propose de réaliser un premier long métrage pour sa nouvelle société de production, Les Films du Carrosse.
Et pourquoi ne pas se lancer dans une nouvelle adaptation d’une comédie à succès comme la pièce de théâtre Tire-au-flanc d’André Mouëzy-Éon et André Sylvane datant de 1904 ? Après tout, cette pièce n’a-t-elle pas déjà été adaptée par Jean Renoir en 1928 avec Michel Simon dans le rôle principal ? Rappelons que Jean Renoir était considéré comme un grand maître par François Truffaut. Les deux compères se lancent donc à corps perdu dans une nouvelle adaptation plus moderne, l’écriture se déroulant en moins de trois semaines.
Des techniciens de haute volée
Comme Tire-au-flanc 62 est le premier film de Claude de Givray, François Truffaut suit le tournage de près et devient donc un producteur très présent, au point d’assumer dans les crédits le titre de coréalisateur. Pourtant, Claude de Givray semble bien être le maître d’œuvre principal des prises de vues. Il faut dire qu’il est particulièrement bien entouré puisque le directeur de la photographie n’est autre que Raoul Coutard (Tirez sur le pianiste, A bout de souffle), tandis que la scripte est Suzanne Schiffman qui officiera sur tous les films de Truffaut.
En ce qui concerne les acteurs, les compères choisissent de faire confiance à des comédiens inconnus venus du cabaret. Ainsi, ils engagent des gens comme Christian de Tillière, Ricet Barrier ou encore Pierre Maguelon. Pour des rôles plus secondaires, ils font appel à des copains comme le dessinateur Cabu, mais aussi des apprentis cinéastes comme Serge Korber, Jean-François Adam ou Pierre Etaix. Enfin, la jeune vedette Bernadette Lafont vient faire un petit tour sur le tournage le temps d’une séquence de rêve où elle interprète son propre rôle.
Souvenirs de tournage de Bernadette Lafont
La comédienne se souvient de sa prestation en ces termes (dans le livre Bernadette Lafont, une vie de cinéma, Bernard Bastide, Atelier Baie, 2013, page 66) :
C’était très bref. J’avais une seule journée de tournage. Cela se passait dans une véritable caserne sur la Côte d’Azur, vers Mougins. Il y avait toute une bande de jeunes gens, des comiques très marrants et notamment Ricet Barrier qui chantait La Servante du château et que Truffaut adorait. En fait, je jouais mon propre personnage, comme un clin d’œil à la Nouvelle Vague. Je suppose que l’on m’a confié ce rôle parce que ma petite notoriété était susceptible d’attirer un peu de public dans les salles.
Et de fait, si Tire-au-flanc 62 est bien une énième variation autour de la pièce d’origine, les auteurs ont pris de grandes libertés par rapport à celle-ci. Ils ont notamment ajouté de nombreux gags inédits et surtout un nombre conséquent de références à la Nouvelle Vague. Celle-ci est explicitement citée lors d’une scène en extérieur, tandis qu’un comédien évoque le cas d’un Petit soldat, clin d’œil au film de Jean-Luc Godard. En outre, François Truffaut apparaît à l’écran dans un rôle muet et d’autres amis de la bande viennent faire un tour devant les caméras de Claude de Givray.
Du comique troupier assez basique
Cela fait-il de Tire-au-flanc 62 une œuvre inoubliable pour autant ? Certainement pas. Plutôt sympathique et disposant d’une jolie photographie de Raoul Coutard, le spectacle n’en demeure pas moins typique d’un certain comique troupier qui était déjà démodé au début des années 60. Pour mémoire, le genre a surtout connu une grande popularité dans les années 30 avec comme meneur Fernandel. Par la suite, le sous-genre est tombé en désuétude jusqu’à ce qu’il redevienne à la mode durant les années 70 avec le phénomène des films de bidasses initié par la bande des Charlots et Claude Zidi.
Lorsqu’il paraît sur les écrans durant les fêtes de Noël 1961, Tire-au-flanc 62 est donc une incongruité qui demeure sympathique grâce à l’investissement des comédiens, mais qui souffre clairement d’un manque d’écriture. Ainsi, les gags s’enchaînent sans aucune vraie logique si ce n’est la description amusée du service militaire que tous les hommes de l’époque devaient subir. Ici, tous les clichés du genre passent en revue, de la visite médicale en passant par la corvée de patates ou encore les épreuves sportives destinées à humilier les plus faibles. Enfin, les auteurs n’ont pas oublié les tentatives de faire le mur pour aller visiter des jolies pépées, ainsi qu’un classique quiproquo de genre.
Ce n’est assurément pas très fin et finalement plutôt réservé aux amateurs d’un humour burlesque assez primaire. Plutôt étonnant de trouver donc quelqu’un comme François Truffaut à l’origine d’un tel film. Certes, le résultat n’est jamais désagréable et profite même des jolis paysages de la Côte d’Azur, mais cela est un peu court tout de même. Sans le nom de Truffaut, Tire-au-flanc 62 aurait-il fait l’objet d’une restauration 4K superbe ? Pas certain.
Tire-au-flanc 62, une carrière sur la durée
La comédie démodée sort à Paris le 20 décembre 1961, le même jour que l’événementiel Les 101 Dalmatiens de Disney. Elle se retrouve donc à la 13ème place du classement hebdomadaire parisien avec 18 597 conscrits pour sa première semaine d’exploitation. Grâce aux fêtes de fin d’année, le métrage gagne pourtant des entrées en deuxième septaine avec 25 177 retardataires. Pourtant, la suite de sa carrière parisienne se fera en toute discrétion, avec pour finir 201 362 entrées. Il faut dire que ce type d’humour n’était pas vraiment du goût du public parisien.
La province, elle, a davantage adhéré à cette proposition de cinéma quand le long métrage a commencé à circuler vers la fin du mois de janvier 1962. En réalité, la comédie se promène de province en province, arrivant à générer près de 340 000 entrées à la fin du mois de février 1962. Mieux, début avril, Tire-au-flanc 62 est toujours valeureux et a déjà dépassé les 500 000 tickets vendus. Deux mois plus tard, début juin, le métrage dépasse les 700 000 entrées, faisant ainsi le tour de France des villages. Au bout d’une carrière parfaitement menée en province, la comédie a réuni 1 290 967 spectateurs.
Tire-au-flanc 62 ou Tire au flanc “62” ?
En ce qui concerne le titre, on notera que le générique du film propose bien Tire-au-flanc 62, alors que toutes les affiches de l’époque ont fait sauter les traits d’union, ajoutant même parfois des guillemets à 62. Largement oubliée depuis l’époque de sa sortie, la comédie militaire ressort de la naphtaline en 2024 avec l’édition du film en blu-ray dans une version restaurée en 4K.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 20 décembre 1961
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Biographies +
Claude de Givray, Jean-Claude Brialy, Bernadette Lafont, Pierre Étaix, François Truffaut, Jean-François Adam, Jacques Balutin, Pierre Fabre, Serge Korber, Henri Serre, Christian de Tillière, Ricet Barrier, Pierre Maguelon
Mots clés
Comédies françaises, Comédies franchouillardes, Le service militaire au cinéma, Les bidasses au cinéma