Faux film politique et vrai film d’amour, Le petit soldat déjoue les attentes du spectateur avec brio et s’impose comme une œuvre majeure dans la filmographie de Godard.
Synopsis : Bruno Forestier, petit tueur à la solde de l’OAS, tout à coup et sans raison apparente, hésite à honorer un contrat.
Un film qui interroge la notion d’engagement
Critique : Grâce à A bout de souffle (1960), son tout premier long-métrage, Jean-Luc Godard est devenu la nouvelle coqueluche du cinéma mondial. Non seulement son œuvre séminale a révolutionné la manière de concevoir des films, mais elle a également rencontré un immense succès public, faisant de Jean-Paul Belmondo une star. Tout le monde attendait donc de pied ferme le second film de celui qui était désormais encensé par les uns et détesté par les autres.
Mais Godard ne va pas vraiment là où on l’attend puisqu’il décide de signer avec Le petit soldat (1960) une œuvre engagée, mais sans ornière. Effectivement, Jean-Luc Godard aborde bien le sujet alors brûlant de la guerre d’Algérie, mais il le fait à sa manière inimitable, c’est-à-dire en tournant autour de l’événement sans vraiment le prendre à bras le corps. En réalité, si Godard s’inspire bien évidemment de ce qui se passe en Algérie, il préfère raconter l’aventure intime d’un homme pris au milieu d’événements qui le dépassent et livre ainsi une réflexion sur ce qu’est l’engagement.
Godard suit encore les traces d’un antihéros
Celui qui, par la suite, épousera la cause maoïste, surprend par sa volonté de ne surtout pas privilégier un camp plutôt que l’autre. Tout d’abord, son héros incarné avec justesse par Michel Subor est employé par un groupuscule poujadiste que l’on devine être l’OAS (Organisation de l’armée secrète). Après avoir suivi les traces d’un meurtrier sympathique dans A bout de souffle, Godard reprend cette formule en faisant du héros de son histoire un sympathisant d’un groupe armé colonialiste et raciste.
Pourtant, si le personnage suit bien les directives de ce groupe, il n’en épouse pas pour autant l’idéologie, se plaignant même d’être au centre d’un conflit sans idéaux. Le personnage possède donc une vision très littéraire de l’action politique et ne semble aucunement intéressé par les implications de ses actes au plan international. Il est en cela un vrai « petit soldat ».
Comment renvoyer les belligérants dos à dos
Face à lui, Godard positionne des membres du FLN (Front de libération nationale) qui organisent depuis la Suisse où se déroule l’action des attentats pour parvenir à obtenir l’indépendance de l’Algérie. Alors qu’ils sont soutenus par le Parti communiste français et une grande partie des intellectuels de gauche dont Godard fait clairement partie, le cinéaste ne semble guère plus conciliant envers eux. Il préfère montrer qu’ils pratiquent eux également la torture et l’exécution sommaire d’opposants. Pour autant, même si le réalisateur cherche à opposer les deux camps et les renvoyer dos à dos, on sent poindre à plusieurs reprises une dénonciation des exactions menées par la France. Godard montre ainsi la couverture du livre La Question de Henri Alleg qui dénonce l’usage de la torture par l’armée française. Le livre est alors publié en Suisse, mais interdit en France.
Autre provocation qui n’est pas passée à l’époque, le réalisateur fait de son héros un déserteur de l’armée française réfugié en Suisse. Et parmi ses nombreux aphorismes, l’auteur répète à l’envi que la France va perdre ce conflit, ce qui est vu en temps de guerre comme du défaitisme. Mais ce qui fait du Petit soldat une œuvre qui dépasse largement son statut de film politique vient de l’intrusion d’une histoire d’amour magnifiquement écrite entre le héros et une jeune fille incarnée par la belle Anna Karina. Godard vient effectivement de découvrir cet ex-mannequin venu du Danemark et il tombe éperdument amoureux d’elle. Il en fait ici sa muse et l’histoire d’amour n’est rien d’autre que la sienne.
Une ambiance de film noir américain
Misant sur l’amour plutôt que la politique ou l’engagement, Le petit soldat est également une œuvre puissante portée par un style vif et novateur. Le réalisateur joue à nouveau avec l’art du montage en éliminant le son de certains plans, en effectuant des coupes franches ou tout simplement en précipitant la fin de manière abrupte après avoir signé quelques beaux plans-séquences. Godard en profite aussi pour filmer Genève et la Suisse qui deviendra plus tard son pays d’accueil dans un style documentaire saisissant. Il affirme une fois de plus son attachement à la citation – qui deviendra systématique plus tard, parfois jusqu’à l’indigestion – avec des références au cinéma, à la peinture et à la littérature.
Car Le petit soldat peut également se voir comme un vrai film noir où le héros serait pris entre deux feux. Le style visuel adopté par le fidèle Raoul Coutard va dans ce sens, de même que l’aspect pesant de la musique de Maurice Leroux, avec ses notes menaçantes au piano. On ne doit donc aucunement réduire Le petit soldat à une œuvre politique, d’autant que le constat final du réalisateur est bien davantage désabusé qu’autre chose.
Le petit soldat est resté interdit pendant quelques années
Pourtant, cela n’a pas suffi à convaincre les censeurs de l’époque qui ont surtout vu le long-métrage comme une critique de l’intervention française en Algérie – toujours en cours à ce moment précis. Ils ne pouvaient pas laisser passer une œuvre vantant les mérites d’un déserteur qui ne cesse de répéter que les deux camps torturent. Finalement, le ministre de l’Information Louis Terrenoire décide d’une sanction exemplaire : le film est tout bonnement interdit de sortie à cause « des circonstances actuelles ». Il faudra donc patienter jusqu’au mois de janvier 1963 – une fois le conflit algérien terminé donc – pour que le deuxième long-métrage de Godard sorte en salle, bien après ses troisième et quatrième film.
Avec 192 464 entrées sur tout le territoire français, Godard connaît alors son plus gros échec commercial (mais pas le dernier) et devra attendre de nombreuses décennies avant que le film soit enfin réévalué au sein de sa filmographie. Il s’agit assurément de l’un de ses meilleurs.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 23 janvier 1963
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