Envisagé comme une dystopie ambitieuse, Les traqués de l’an 2000 est devenu, en raison d’une amputation de dernière minute de son budget, une série B putassière sur fond de camp disciplinaire sadique et gore. Un spectacle qui fit scandale en son temps pour sa surenchère dans la violence à redécouvrir avec plaisir en HD.
Synopsis : Dans un futur proche, un gouvernement totalitaire fait arrêter les citoyens considérés comme déviants et les interne dans de terribles camps de rééducation où se pratiquent humiliations, sévices, tortures. Le directeur de l’un des camps décide d’organiser une chasse à l’homme : quelques prisonniers seront lâchés dans une forêt proche et serviront de gibier.
Critique : Série B notoire des années 80 pour son ultra violence, Les traqués de l’an 2000 a été vendu à un casting international, dont quelques vedettes mainstream (l’Américain Steve Raislback, la star de Roméo et Juliette de Zeffirelli, Olivia Hussey, et le Britannique Michael Craig), comme une ambitieuse épopée de science-fiction sur les dérives autoritaires du pouvoir, à une époque thatchérienne et reaganienne qui ébranlait les idéaux humanistes des artistes.
Le cinéaste Brian Trenchard-Smith (la coproduction australo-chinoise L’homme de Hong Kong) avait en tête une version moderne des Chasses du comte Zaroff, mâtinée de 1984 d’Orwell. C’était sans compter, à quelques jours du début du tournage, le désengagement financier de coproducteurs, portant sur une somme de 700 000$ sur un budget de 3.2M$, lorsque le gouvernement australien décide de diminuer considérablement ses aides au film qui va devenir le vilain petit canard de la production australienne.
Au croisement entre Mad Max et Lucio Fulci règne la folie du cinéma australien
Le réalisateur, efficace artisan de la série B qui offrira à Nicole Kidman par la suite l’un de ses premiers rôles dans Le gang des BMX (1983), doit faire face à une réalité qui aurait pu le conduire à jeter l’éponge, mais il ravale sa fierté et décide de mener le projet à bien en s’inspirant des formules à succès chez les Italiens contemporains comme Lucio Fulci tout en n’oubliant pas l’ADN australien de son film, en pleine Mad Max mania.
Les premières pages politiques du script, qui permettent de donner du sens à l’histoire et apporter un véritable point de vue critique sur la société, étant supprimées, le cinéaste abandonne donc toute velléité de pamphlet pour réaliser ce qui pourrait commercialement réussir à vendre le film à l’étranger, une satire vulgaire et gore, ostentatoirement ouverte à la mode de l’exploitation, avec nudité gratuite et maquillages que l’on croirait issus d’un slasher tranchant.
Olivia Hussey dans un camp de tortionnaires
Les acteurs découvrent le pot aux roses sur le tournage et font avec. Notamment la très timide comédienne Olivia Hussey, rétive, qui n’est en rien dans son environnement et refusera toute scène dénudée, cela va sans dire. La vedette de productions académiques comme Jésus de Nazareth ou Mort sur le Nil, que l’on sent dans le creux de la vague, laisse dégager un désespoir face à une intrigue sans queue ni tête, où la narration amputée devient l’objet de déviances inappropriées. Le jeu des acteurs ne restera pas dans les annales, en particulier celui de seconds rôles qui ne sont tout simplement pas dirigés (en tortionnaire Roger Ward est en roue libre ; Lynda Stoner qui déteste le tournage est juste mauvaise).
En cela commence l’histoire notoire d’un film que la prude Australie réprouvera et n’exploitera pas sur son territoire, mais qui fera le bonheur des vidéo-clubs dans le monde entier, voire des marchés alternatifs, en salle, comme aux USA ou au Royaume-Uni.
Une série B à la thématique trash d’une redoutable efficacité
Filmé avec talent, efficacité et rythme, Les traqués de l’an 2000 n’a rien de noble dans sa démarche et l’on retrouve parfois le sens de la débrouille d’un Jess Franco sur des productions Eurociné, avec des stock-shots de répression policières brutales ou d’archives militaires, mais c’est pour la bonne cause, la rentabilité par la formule d’une œuvre qui ne peut plus exister par la pertinence de son histoire, puisque de script ou de psychologie, il n’y en a point. Même le temps du tournage sera drastiquement réduit. Il faut faire vite, avec moins d’argent, dans des conditions de filmage absurdes.
Mieux que le postnuke italien…
Qualitativement, on ne comparera en rien ce Turkey Shoot en VO (c’est-à-dire “chasse à la dinde” ou plutôt, “chasse à courre”, en bon français) à du cinéma estampillé Eurociné ou à du postnuke rital. Ce camp de l’enfer n’est nullement fauché visuellement, ni Z, mal fichu ou ennuyeux. Il est plutôt bien troussé grâce aux idées du réalisateur qui n’hésite jamais à recourir à la surenchère inhérente à son époque, pour compenser les aléas de production. Tantôt drôle dans son esprit satirique (le cinéaste valide l’idée d’une comédie noire) ou dans l’ajout de scènes incohérentes qui n’apportent rien au script, Les traqués de l’an 2000 l’emporte néanmoins dans le témoignage d’une époque féroce capable de défoncer les conventions et la bienséance, tout en imposant sa noirceur jusque dans la musique de Brian May qui sortait à peine du Mad Max 2 de George Miller. Le compositeur, au sommet de sa carrière, n’a pas les ambitions financières pour accomplir les prouesses attendues. Il joue donc d’une musique au synthétiseur poisseux pour créer une ambiance assez réussie de B movie nihiliste.
Les traqués de l’an 2000 vaut mieux que sa réputation sulfureuse
Si on a pu ne pas trop apprécier le film dans un passé lointain en raison des mauvaises conditions de visionnage en VHS, l’apport de la HD convie à une relecture bienvenue celle d’un plaisir non dissimulé de se retrouver face à ces séries B jadis méprisées, celles des produits underground des petits circuits, dont les magnifiques affiches promotionnelles percutaient et restaient dans l’inconscient collectif de toute une génération de jeunes cinéphiles des années 80 locataires abonnées aux vidéo-clubs.
Malgré ses nombreux défauts, Les traqués de l’an 2000 relève du cinéma culte, d’une exploitation australienne canonisée par Tarantino et ses apôtres. Il n’y a pas de honte à cela, surtout en ces temps de politiquement correct.