Sous le titre racoleur Les dossiers rouges de la mondaine se cache La police a les mains liées, un poliziottesco d’excellente facture qui décrit parfaitement l’ambiance paranoïaque des années de plomb en Italie. A ne pas négliger.
Synopsis : Dans un hôtel milanais où se déroule une conférence internationale, une bombe explose et fait plusieurs morts et blessés. Le commissaire Balsamo parvient à retrouver l’un des terroristes mais manque son interpellation. Quand le policier est assassiné, Matteo Roland, qui était présent le jour de l’attentat, reprend l’enquête de son collègue…
Un poliziottesco à titres multiples en France
Critique : Au cœur de la vague du poliziottesco, La police a les mains liées (1975) a immédiatement été classé dans le cinéma d’exploitation à cause de son réalisateur Luciano Ercoli, surtout connu pour ses gialli comme Photo interdite d’une bourgeoise (1970), Nuits d’amour et d’épouvante (1971) et La mort caresse à minuit (1972). Le cinéaste qui fut surtout scénariste n’a effectivement jamais été identifié comme un auteur par les critiques sérieux de l’époque. Dès lors, son poliziottesco a été acheté tardivement par des distributeurs français peu scrupuleux qui ont maquillé le long-métrage en pur film d’exploitation.
De manière assez surréaliste, le long-métrage a été distribué en province sous le titre très racoleur de Boites à fillettes en 1979, avant d’être finalement diffusé à Paris cette fois-ci sous la dénomination mensongère Les dossiers rouges de la mondaine. Autant de titres putassiers qui n’entretiennent absolument aucun rapport avec le film. Il a donc fallu l’exploitation en VHS pour que le polar retrouve son titre d’origine traduit littéralement en La police a les mains liées. La valse des titres fantaisistes n’était toutefois pas terminée puisque l’éditeur VHS Cocktail Vidéo a aussi exploité le film en tant que L’assassin à l’imperméable vert.
Où se situent le bien et le mal ?
Pourtant, ce poliziottesco n’est clairement pas à ranger du côté du cinéma bis de l’époque, mais bien dans la catégorie du film politique sérieux. Ainsi, le script rédigé par Mario Bregni et Gianfranco Calligarich s’inspire directement de l’attentat de la piazza Fontana commis à Milan en 1969. Ici, l’événement a été transposé dans un hôtel milanais et les auteurs tentent de mettre à jour les mécanismes à l’œuvre en Italie durant les années de plomb. Preuve du sérieux de l’entreprise, le personnage de flic incarné par l’excellent Claudio Cassinelli n’est aucunement une brute épaisse, mais un intellectuel qui entend rendre la justice de la manière la plus éthique possible.
Dans sa quête pour découvrir la vérité et venger la mort de son collègue (sympathique Franco Fabrizi), le policier peut également compter sur la collaboration d’un procureur incorruptible joué avec assurance et autorité par Arthur Kennedy. Toutefois, les auteurs osent abattre la barrière classique entre bien et mal en démontrant que les terroristes sont instrumentalisés par des hommes politiques corrompus, tandis que les services secrets tirent les ficelles d’une intrigue dont le spectateur n’aura finalement pas la solution.
Un modèle de cinéma paranoïaque
C’est justement cette absence d’explication finale qui inscrit le long-métrage dans la mouvance si passionnante du grand cinéma paranoïaque des années 70. Ainsi, le film peut être rapproché des œuvres politiques d’un Damiano Damiani, mais aussi de cinéastes américains comme Alan J. Pakula ou Sydney Pollack. Dans La police a les mains liées, le spectateur a le sentiment que tous les personnages sont manipulés par une puissance omnisciente dont on ne comprendra jamais vraiment l’origine ni les desseins, si ce n’est de créer une psychose dans la société.
Pour créer cette atmosphère de défiance permanente, le réalisateur a pu s’appuyer sur des acteurs d’excellente tenue. Outre ceux cités plus haut, on peut aussi évoquer la prestation fiévreuse de Bruno Zanin (découvert dans Amarcord de Fellini). Passionnant de bout en bout grâce à des personnages mieux écrits que dans la plupart des films de l’époque, La police a les mains liées bénéficie également d’une excellente musique composée par un Stelvio Cipriani particulièrement inspiré. Sa ritournelle dont il livre de nombreuses variations s’inscrit parmi les meilleures compositions de l’époque par son efficacité immédiate, proche des créations d’Ennio Morricone.
Tout bonnement le meilleur film de Luciano Ercoli
Renvoyant dos à dos tous les extrémistes, qu’ils soient de droite ou de gauche, le réalisateur livre donc une œuvre particulièrement sombre et désabusée où personne ne semble avoir la solution face à une violence sociétale endémique. Son constat fait froid dans le dos et permet au réalisateur de signer le meilleur film de sa carrière. Malheureusement maltraité par un doublage français calamiteux et des titres d’exploitation ridicules, La police a les mains liées devrait enchanter les amateurs de poliziottesco dans son versant politisé et auteurisant. Le métrage peut aujourd’hui être redécouvert dans une bonne copie chez Elephant Films qui l’a intégré à son catalogue de polars à l’italienne en 2023.
Critique de Virgile Dumez
Box-office de Les dossiers rouges de la mondaine
C’est le 26 septembre 1979 qu’Audi Film propose Les dossiers rouges de la mondaine dans les salles parisiennes. Avec une affiche léchée dans le style de son illustrateur, Michel Landi, très à la mode en cette fin de décennie, la production italienne trouve à peine 7 écrans : l’UGC Ermitage, le Mistral, le Convention St-Charles, l’UGC Caméo, la Maxéville et Les Images où il trouve son plus fort taux de remplissage. Le Carrefour Pantin ajoute 383 spectateurs à une triste première semaine de 7 164 spectateurs. Il faut dire que son distributeur lançait la même semaine La guerre des gangs d’Umberto Lenzi dans 3 cinémas concurrents (le Concordia, la Cigale, et le Barbizon).
La concurrence était impressionnante avec la première semaine de la Palme d’Or Apocalypse Now (195 104 entrées), Le tambour qui suivait en 2e place et 2e semaine (85 019), Alien, le 8e passager en 3e position (81 082) pour une troisième semaine convenable. En première semaine, on note même l’arrivée d’un Max Pécas (On est venus là pour s’éclater, 27 862), d’un Catherine Breillat (Tapage nocturne, 21 459), de la comédie avec Hélène Rolles et Jacques Dutronc Le mouton noir (15 215), d’un porno culotté en 14e place (Déculottez-vous mesdemoiselles, 15 891). En revanche, Oh ! J’ai rien d’ssous, porno avec Jean-Pierre Armand, était moins chaud, avec 9 101 renifleurs dans 5 salles. Echec du côté du cinéma anglo-saxon avec le bide de Peter Hyams, Guerre et Passion, qui permettait aux spectateurs de retrouver Harrison Ford (7 116 entrées, semaine 1), également à l’affiche dans Le rabbin au Far West (7 304 entrées en semaine 4).
Du côté du cinéma de kung-fu, Dans les griffes du dragon assurait ses combats auprès de 9 182 amateurs dans 3 sites spécialisés, ce qui était mieux que Premier secret, production néerlandaise mise en boîte par Nouchka Van Brakel, inexistante avec 3 070 spectateurs aventureux dans 6 cinémas.
Les dossiers rouges de la mondaine aura bien du mal à tenir la route en 2e semaine avec un plongeon de 50% de sa fréquentation parisienne. Les dossiers ne sont ouverts que par 3 588 coquins dans 3 salles (le Mistral, la Maxeville et les Images). Cela sera la fin de son exclusivité locale, avec un total de 10 752 tickets vendus sur Paname. La guerre des gangs de Lenzi, de son côté, n’est plus. D’autres films d’exploitation sont arrivées pour servir les amateurs de cinéma bis : Lady Dracula, Frissons d’horreur, Les Douze secrets du Kung-fu (aka Si ce n’est pas Lee, c’est donc son frère), S.O.S danger uranium (un sacré four celui-là, irradié avec moins de 6 000 entrées sur 11 sites contaminés)…
Box-office de Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 26 septembre 1979
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Biographies +
Luciano Ercoli, Arthur Kennedy, Claudio Cassinelli, Franco Fabrizi, Giovanni Cianfriglia, Carlo Gentili, Livia Cerini, Sara Sperati, Bruno Zanin
Mots clés
Poliziottesco, Les années de plomb au cinéma, Milan au cinéma, Les attentats au cinéma, Le terrorisme au cinéma