A la croisée des genres, La guerre des gangs est un poliziottesco qui se distingue surtout par sa violence et son nihilisme. Le scénario, lui, est aux abonnés absents.
Synopsis : Salvatore Cangemi gère un réseau de prostitution à Milan tout en se faisant passer pour un marchand de légumes sans histoire. Quand il refuse une proposition d’un trafiquant français nommé Roger Daverty, c’est toutes les affaires de Cangemi qui risquent de s’écrouler…
Le premier poliziottesco d’Umberto Lenzi
Critique : Toujours à l’affût d’un nouveau genre à exploiter, le cinéaste italien Umberto Lenzi vient d’enchaîner depuis la fin des années 60 une série de gialli qui ont connu un certain succès en salles. Il vient notamment d’achever Le couteau de glace (1972) avec l’iconique Carroll Baker qui s’avère une petite réussite au sein d’un corpus assez inégal en termes de qualité. Mais l’heure ne semble déjà plus à la mode du giallo et la nouvelle tendance qui fait fureur au box-office est celle du néo-polar, autrement appelé poliziottesco.
Umberto Lenzi n’a aucun mal à se mettre à l’œuvre, lui qui vénère le cinéma américain des années 40 et il écrit très rapidement le script de La guerre des gangs (1973) avec son complice Franco Enna. Il s’agit donc officiellement du tout premier poliziottesco du cinéaste qui trouvera dans ce genre un parfait exutoire de ses noires pulsions et de ses fantasmes.
Une pincée de giallo et une grosse louche de néo-polar
Pourtant, La guerre des gangs n’est encore qu’un brouillon assez mal dégrossi de ce qui fera le style Lenzi sur son corpus comprenant des œuvres majeures comme les excellents La rançon de la peur (1974), Un flic hors la loi (1975), Brigade spéciale (1976), SOS Jaguar Opération Casseurs (1976), Le cynique, l’infame, le violent (1977) et Echec au gang (1978) qui comptent assurément parmi les meilleures créations de l’artiste stakhanoviste.
Encore à la croisée des genres, La guerre des gangs commence davantage comme un giallo avec la découverte d’un cadavre de femme dans une piscine, puis l’arrivée de la police et un mystère qui plane sur le mode opératoire. Même la réalisation semble se conformer à la charte très stylisée du genre avec notamment des décors très colorés. Pourtant, ces pistes initiales sont éventées au bout du premier quart d’heure et le long-métrage devient alors une simple lutte de pouvoir entre un proxénète incarné par Antonio Sabato, toute moustache dehors, et un trafiquant de drogue français joué par Philippe Leroy.
De l’art de maltraiter ses personnages
Malheureusement, le script n’a rien de plus à proposer qu’une escalade progressive de la violence entre les deux camps opposés. Au milieu se dressent bien quelques personnages féminins interprétés par Marisa Mell et Carla Romanelli, mais l’ensemble souffre véritablement d’un manque de structure narrative. Dès lors, le spectateur doit patienter entre chaque scène de violence qui, pour le coup, sont plutôt réussies. On notera d’ailleurs que le cinéaste ne faisait rien pour arranger son cas, lui qui fut souvent accusé d’être réactionnaire. Effectivement, les femmes sont ici systématiquement maltraitées, abusées ou manipulées par des hommes qui sont tous des machos. Des relents d’homophobie peuvent également être signalés.
Toutefois, le pessimisme et la misanthropie du réalisateur parviennent à minorer ces éléments et son regard cruel n’épargne aucunement les personnages masculins, qui sont tous plus détestables les uns que les autres. Ainsi, lorsque le réalisateur insiste sur la solidarité entre Siciliens pendant quasiment tout le film, il balaie cette idée d’un revers de manche lors du final où la trahison est de mise. Même les gros machos du film peuvent parfois révéler des tendances sexuelles contrariées (c’est le cas du Français incarné par Philippe Leroy qui torture ses ennemis au niveau de leurs parties intimes et dont l’on découvre ensuite l’homosexualité refoulée).
La guerre des gangs ou comment tenter de compenser l’absence d’un script
Alternant les passages musclés tournés à l’arrache avec une caméra très mobile et des moments plus calmes où le cinéaste fait un peu plus d’efforts esthétiques, La guerre des gangs (1973) est donc une œuvre inégale qui souffre surtout d’un manque évident de scénario, ainsi que d’une absence d’identification du spectateur avec quelque personnage que ce soit. Pour autant, on notera une interprétation plutôt de qualité, notamment de la part des seconds couteaux. Ainsi, on aime beaucoup la prestance d’Antonio Casagrande en fidèle compagnon de route du Sicilien, ainsi que celle d’Alessandro Sperli en parrain de la pègre américaine dont le rôle apparemment anecdotique se révèle central in fine.
Doté d’une bande originale correcte de Carlo Rustichelli, dont on regrette seulement les accents jazzy – une tendance lourde au sein du cinéma de Lenzi – La guerre des gangs est donc un film de gangsters passable, mais qui n’apporte pas grand-chose à l’histoire du genre. Le réalisateur fut nettement plus inspiré lors de ses expériences postérieures dans le domaine du poliziottesco.
Un poliziottesco mineur à ne pas confondre avec celui de Lucio Fulci au titre français identique
La guerre des gangs – à ne pas confondre avec le très bon film de Lucio Fulci – est sorti en salles en France très tardivement puisqu’il trouve une place sur nos écrans le 26 septembre 1979, jour de la sortie événement d’Apocalypse Now de Coppola. Le poliziottesco déjà vieux de six ans n’a connu qu’une carrière très limitée en salles, avant d’être édité en VHS par VIP en 1980, puis par Proserpine en 1988.
A Paris, La guerre des gangs trouve sa place dans trois cinémas de quartier pendant une seule semaine d’exploitation. On le retrouve ainsi au Concordia, à la Cigale et au Barbizon pour 7 228 entrées salles.
Largement oublié depuis cette époque, le métrage a intégré la récente collection d’Elephant Films consacrée au néo-polar italien des années 70. La copie est tout à fait correcte et permet de découvrir le film dans les meilleures conditions possibles.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 26 septembre 1979
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Umberto Lenzi, Marisa Mell, Antonio Sabàto, Philippe Leroy, Antonio Casagrande, Carla Romanelli, Alessandro Sperli
Mots clés
Cinéma bis italien, Poliziottesco, La prostitution au cinéma, La drogue au cinéma