Peur bleue est une adaptation de Stephen King fignolée pour plaire au public adolescent des années 80, avec son combat contre un lycanthrope dans une charmante bourgade américaine post E.T. Très classique, mais séduisant, le film pèche par le scénario inoffensif du King de l’horreur mais enthousiasme par sa mise en scène léchée.
Synopsis : Des meurtres sont perpétrés en série les nuits de pleine lune dans une petite bourgade tranquille des Etats-Unis. Une véritable psychose s’installe dans la ville. Le shérif décrète le couvre-feu. Marty, un jeune handicapé moteur qui passe le plus clair de son temps à se déplacer dans des engins fabriqués par son ivrogne d’oncle, est persuadé que le mystérieux meurtrier est un loup-garou !
Le monde avait-t-il encore besoin d’un film de loup-garou?
Critique : 1985. Le monde a-t-il encore besoin d’un film de loup-garou? Après les succès de Hurlements de Joe Dante et du Loup-garou de Londres de John Landis, moins de cinq ans plus tôt, le nabab italien Dino de Laurentiis semble y croire, surtout si celui-ci porte la patte velue de Stephen King. Aussi, il valide l’idée d’une adaptation du roman illustré du romancier, L’année du loup-garou (1983). Une mise en chantier qui a un fort potentiel pour le box-office américain après les réussites de Carrie, Shining, Creepshow, Cujo, Christine, Dead Zone ou encore Horror Kid/Les démons du maïs. Seules ombres au tableau, les productions plus récentes, mise en chantier par Dino en personne et qui se sont plutôt soldés par des flops, en l’occurrence Firestarter et Cat’s Eyes. Mais le producteur, qui produira la première réalisation de Stephen King, Maximum Overdrive, dans la foulée, croit énormément en Stephen King qui lui-même semble apprécier le confort financier autour des tournages.
Pour réaliser cette oeuvre issue du “backcatalogue” du King – le scénario du King fait davantage de l’ombre au roman qui est très différent (il sera d’ailleurs publié par J’ai Lu, en parallèle à la sortie du film, en 1986) -, on ne retrouve pas de sommités du genre. A la barre, point de Tobe Hooper, John Carpenter, David Cronenberg, Stanley Kubrick, George Romero, Brian de Palma (difficile de faire mieux pour voir son oeuvre adaptée en début de carrière, non?).
Un néophyte pour adapter le scénario de Stephen King
Le producteur a décidé de faire plutôt confiance à un débutant, Daniel Attias, issu du théâtre, mais qui a assisté Spielberg sur E.T., mais aussi Francis Ford Coppola sur Coup de cœur. Il a par ailleurs réalisé un court métrage malin qui avait pas mal tourné. Ce dernier en portera la lourde responsabilité en cas d’échec, mais n’aura pas le poids de ces prédécesseurs pour se défendre. Et effectivement, le bide commercial sera effroyable, doublé d’un acharnement critique aux Etats-Unis au vu de la réalité honorable du projet qui n’est ni une série B fauchée ou un navet navrant. Mais il est vrai que dans un film stupidement intitulé Peur bleue en France, d’effroi, il n’en est guère question, tant Daniel Attias s’attèle à mettre en place un décor sociologique typique des microcosmes du romancier. Un rapport atavique à la religion, la tentation du lynchage adoubé par le deuxième amendement de la constitution, des portraits de péquenauds frustres, alcooliques et méchants, au sein d’un village où les braves gens existent sans que pour autant on puisse prendre pour argent comptant leur choix éthique du bien ou du mal. La recherche d’un borgne qui serait la créature loup-garou par l’héroïne, dans tout le village, et qui découvre chez chaque habitant, un suspect potentiel, démontre la nature animale de l’homme. Chez chacun d’entre eux réside éventuellement une bête.
Affiche : © Bernard Bernhardt (Agence : A.R.P/L.P.C)
Levée de soutane les soirs de pleine lune
Curieusement, Stephen King a souhaité révélé très tôt l’identité de l’animal humain qui sévit dans cette bourgade, depuis le mois de mai 1976 (pour revenir aux sources calendaires du roman). Et il s’agit très certainement du point faible de son script. Le suspense est limité par une connaissance de l’identité du psychopathe aux poils de loup qui n’est personne d’autre que l’homme d’église du patelin, joué par le longiforme Everett McGill, déjà vu en bête humaine dans La guerre du feu de Jean-Jacques Annaud (1981), puis dans Dune de David Lynch (1985), et que l’on retrouvera pour la Cannon Inc dans Les Lauriers de la gloire (1986). L’acteur est bon et éclipse d’ailleurs la bête. Son regard d’aliéné s’avère bien plus efficace que celui du masque élaboré par Carlo Rambaldi (King Kong de Guillermin), plutôt crispé. Le loup n’impressionne pas, même quand, lors d’une séquence de cauchemar attrayante dans une chapelle, toute une paroisse se mue en loups-garous, battant le record de transformations à la minute. L’accoutrement de la créature vedette est peut-être ce qui a valu au film le plus grand nombre de ricanements à sa sortie, après la réussite d’An American Werewolf in London et du clip de Michael Jackson, Thriller, de John Landis.
Un look garou qui ne passe pas
Avec des décennies de recul, on sera nettement moins sévère tellement les transformations numériques dès les années 90 ont trahi le genre que l’on croyait acquis à la cause du latex et des animatroniques. Le loup-garou de Peur Bleue (Silver Bullet) jouit au moins une certaine existence poétique dans ce décor fascinant de petit bourg américain replié sur lui-même, symbole d’une Amérique déconnectée de la modernité, où la seule forme de technologie est un fauteuil roulant aérodynamique ou plutôt un fauteuil au moteur de 50 cm3, forcément baptisé “Silver Bullet”, la “Balle d’argent”, pour préfigurer l’affrontement final entre le gamin joué par Corey Haim et la bête sur deux pattes (et aux pieds plats, ce qui lui va très mal).
Au-delà du postulat intéressant d’un loup-garou religieux qui représente la morale étriquée du conservatisme séculaire de l’Amérique profonde, avec toutes ses contradictions (il en vient à zigouiller un môme, certes pas très sympathique envers les filles, mais sans que cela ne justifie un tel acte de barbarie), ce qui séduit le plus dans Peur Bleue, c’est évidemment sa peinture d’une société datée que Daniel Attias, futur roi de la série télévisée (plus de 200 épisodes de 80 séries à son actif), dépeint avec le sérieux d’un metteur en scène peintre. Tout est savamment cadré, élégamment réalisé, et toujours esthétiquement érigé, de fait qu’on ne peut en rien lui attribuer l’échec de cette entreprise gamine, celle d’une production dévoilée en France à Avoriaz, certainement trop orientée adolescent, alors que son affiche classique mais emballante, semblait vouloir attirer un public un peu plus mature, capable de percer la brume de l’immédiateté.
Visuels internationaux du film Peur Bleue / Silver Bullet. Copyrights : Dino De Laurentiis Company, Famous Films Productions, International Film Corporation. Tous droits réservés.
Sûrement trop classique, Peur Bleue, production charmante et cinématographiquement gratifiante, a fini sa carrière américaine en 75e place annuelle, en 1985, avec 12 300 000$, faisant à peine mieux qu’un autre flop emblématique de son temps, Lifeforce de Tobe Hooper (11.6M$). Le garou de l’épouvante se situait donc très loin de la comédie garou Teen Wolf, avec Michael J. Fox, qui s’attribuera cette année-là une 23e place exaltante, avec 32M$. Parallèlement, Vampire, vous avez dit Vampire ? (24.9M$),Vendredi 13 N°5 (21.9M$), et à un moindre niveau Le retour des morts-vivants (14.2M$), ont su démontrer qu’avec plus d’effets-spéciaux, du gore et du fun, l’horreur était toujours bankable aux Etats-Unis.
Des décennies après, Silver Bullet est surtout le souvenir d’une superbe musique de Jay Chattaway, rééditée en CD dans les années 2000, et restera à jamais le long métrage qui révéla la bouille du jeune Corey Haim, vu par la suite dans Génération perdue, et décédé prématurément en 2010 à l’âge de 38 ans. Sa tragédie humaine résonne toujours comme un avertissement à donner des peurs bleues aux parents d’adolescents…