Coup de cœur est le film qui coula le studio fraîchement créé par Francis Ford Coppola et fit basculer le Nouvel Hollywood dans l’histoire passée du cinéma. Néanmoins, il s’agit aussi d’une incroyable expérience visuelle, aussi vaniteuse que brillante, même si inlassablement froide.
Synopsis : Un 4 juillet, deux habitants de Las Vegas, Hank et Franny, un peu usés par leur vie de couple, se séparent le jour anniversaire de leurs cinq ans de rencontre et partent chacun de leur côté. Ils se retrouveront au bout de la nuit, après avoir fait chacun une rencontre.
C’est l’histoire d’un studio coulé au bout d’un film produit
Critique : Pur fantasme de réalisateur du début des années 80, Coup de cœur de Coppola pourrait se rapprocher de Diva ou La lune dans le caniveau de Beineix s’il y avait un peu plus de noirceur dans ses propos. Les éclairages artificiels, les reconstitutions de studio… Le réalisateur du Parrain a voulu tout contrôler après le tournage dramatique d’Apocalypse Now.
Exit les tornades, les coups d’État, les maladies en terres exotiques… Coppola devenu magnat de Hollywood a acheté son propre studio à Los Angeles et y a installé les bureaux de l’American Zoetrope Films au cœur de l’enclave hollywoodienne. Son objectif ? Essayer de restaurer la prestance des films des années 40, avec toute la magie technologique que lui offrait son époque. Coup de cœur est l’anti-Apocalyse Now, un besoin irrépressible de légèreté, de maîtrise de la situation, de la part d’un cinéaste génial, mais qui a pris la grosse tête après les compliments desservis pendant la décennie passée, conscient de son talent suprême.
La névrose du génie
Avec Coup de cœur, la romance intimiste et musicale, histoire d’un couple de cinq ans qui se déchire pour mieux se retrouver, devient soudainement superproduction dans des décors grandioses, où chaque plan confine à l’obsession cinématographique, à la névrose du génie qui repousse toujours plus loin son degré d’exigence pour tendre vers la lumière divine.
Pas de chance, si Coup de cœur est valeureux, voire même techniquement un chef-d’œuvre hors du temps, le film de Coppola est surtout un film miroir froid qui jette une image assez négative du cinéaste. Avec des acteurs devenus insipides, y compris le grand Frederic Forrest (comédien choyé du cinéaste, vu notamment dans Apocalypse Now, et The Rose de Mark Rydell) et surtout Teri Garr qui n’est pas loin de l’erreur de casting, il émane une étrange vacuité de cette contemplation du délitement inévitable du couple… Désormais messie du cinéma américain, Coppola voit ses chevilles enfler au détriment des autres et de ses propres personnages qu’il ne creuse pas, préférant nourrir cette image de technicien visionnaire. Il donne l’impression de n’avoir rien à dire sur ce sujet domestique ; il charge donc la photographie et les décors, voire l’omniprésente musique jazzy de Tom Waits, de combler les lacunes d’un script vide.
Mais aussi avant-gardiste soit-il, le gigantesque Coup de cœur, au montage royal, qui rappelle les plus belles heures du cinéma russe, reste une coquille creuse qui ne pouvait fédérer le public. Lâché par ses financiers, puis par Paramount, Coppola y risqua tous ses biens, et évidemment l’abandon de l’audience le précipita vers sa perte.
Sans panache, dénué de rythme, languissant, Coup de cœur court après la vie sans jamais capter les étincelles de la passion qui la caractérise et qu’il aimerait suggérer durant les sémillants numéros musicaux. Il y a bien le joli minois de Nastassja Kinski en équilibriste, mais est-ce suffisant pour réchauffer le spectateur refroidi par la lecture binaire d’un script peu psychologue ? Non.
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Mais attention, que l’on ne se méprenne pas sur la valeur de ce désastre financier qui obligea Coppola à enchaîner les tournages pour rembourser les créanciers : aujourd’hui, la restauration blu-ray et la valeur historique de ses suppléments permettent à ce monument d’artifices de retrouver ses marques et de refaire honneur à son auteur déchu… Son visionnage est même un impératif pour des réjouissances artistiques inimaginables à notre époque de CGI. Coup de cœur n’est pas le plus chaleureux des films de son époque, mais une leçon de cinéma en tous points. Par ailleurs, son accident industriel fut tel qu’il enterra les tournages hors normes d’une tradition hollywoodienne. Un an auparavant, La porte du paradis de Michael Cimino avait ruiné United Artists. La réitération du désastre par Coppola (plus de 26 000 000$ de budget pour moins de 700 000$ de recettes aux USA!) enterra à jamais une conception du cinéma d’auteur américain à grand spectacle au profit de productions de divertissements à effets spéciaux, dont les films de Steven Spielberg et de George Lucas furent les hérauts les plus célèbres.