Avec Mon ami le traître, José Giovanni livre sa vision sans concession de l’épuration dans une œuvre radicale et inspirée, uniquement plombée par un style télévisuel. Le reste est aussi passionnant que polémique.
Synopsis : Georges, qui s’était enrôlé dans la police allemande pour sortir de prison veut réhabiliter son passé trouble. Par l’intermédiaire de Louise, il rencontre le commandant Rove qui accepte d’utiliser Georges contre la promesse de son rachat pour des missions de déminages du métro et de chasse aux collaborateurs.
L’adaptation d’un roman polémique sur l’épuration
Critique : En 1977, José Giovanni publie le roman Mon ami le traître où il revient sur la période trouble de l’épuration sauvage intervenue au moment de la libération du territoire français entre 1944 et 1945. Après le triomphe obtenu par Le ruffian (1983) et la semi-déception des Loups entre eux (1985), José Giovanni envisage donc d’adapter son roman polémique au cinéma. Il propose initialement l’un des rôles principaux à son ami Lino Ventura, mais celui-ci refuse de s’impliquer dans une œuvre qu’il juge trop complaisante à l’égard des collaborateurs. Malgré ce mauvais signal, José Giovanni persévère et parvient à signer un script satisfaisant à l’aide de Claude Sautet et Alphonse Boudard.
Séduit par l’audace de la démarche, le producteur Alain Sarde débourse une somme que l’on imagine assez conséquente afin d’offrir une reconstitution convaincante des années 40 au réalisateur. Celui-ci réunit au casting André Dussollier, alors davantage connu pour ses prestations chez Alain Resnais, Valérie Kaprisky en recherche de rôles plus habillés et étoffés que précédemment, ainsi que le jeune Thierry Frémont qui vient de mettre tout le monde d’accord avec sa prestation dans Les noces barbares (Hansel, 1987).
Giovanni ausculte le phénomène de la collaboration
Pourtant, Mon ami le traître (1988) ne va soulever aucune vague d’enthousiasme, ni auprès des critiques, ni du grand public, qui va copieusement l’ignorer. Il faut dire que José Giovanni cherche ici à sonder les poubelles de l’Histoire et notamment la face trop souvent cachée de la Libération. Certes, Louis Malle avait déjà suivi les traces d’un jeune collaborateur dans son chef-d’œuvre Lacombe Lucien (1974), mais remuer une période obscure a rarement payé, surtout lorsque le point de vue adopté contredit la pensée commune.
En débutant son film par la cavale effrénée de Thierry Frémont et Philippe Dormoy, deux frères collaborateurs et gestapistes, José Giovanni a pris le risque de ne provoquer aucune empathie de la part des spectateurs envers d’odieux personnages. Et de fait, on sent Giovanni assez mal à l’aise durant ce premier quart d’heure. Heureusement, le cinéaste propose assez rapidement au protagoniste de se racheter auprès des autorités françaises (incarnées avec beaucoup d’autorité par André Dussollier, très juste). Certes, le but du jeune homme est purement opportuniste, mais il correspond tout à fait aux objectifs recherchés par bon nombre de collabos de l’époque, soucieux de se refaire une virginité avec la fin de la guerre.
Un film qui propose un point de vue inédit sur la fin de la guerre
Mais le plus audacieux dans Mon ami le traître vient de ce point de vue assez rare porté sur certains membres de la résistance, et surtout sur les autorités de Libération qui se sont servies, comme leurs prédécesseurs, de petits criminels pour effectuer leurs basses œuvres. Finalement, Giovanni renvoie ici dos à dos toute forme de pouvoir en s’attachant à décrire des petites gens un peu médiocres qui se retrouvent broyées par la grande machine de l’Histoire. Certains y ont vu une complaisance vis-à-vis des collaborateurs, alors que Giovanni condamne bien les idéologues (voir les personnages odieux incarnés par Jean-Pierre Sentier et Michel Peyrelon). Il est effectivement plus compatissant envers ceux qu’il considère comme des victimes de la grande histoire, comme le personnage joué avec maestria par Thierry Frémont.
Le passé trouble de José Giovanni – accusé par certains d’avoir été un collaborateur, puis un résistant de la dernière heure, et enfin un criminel qui n’a pas le droit au rachat – n’a pas aidé et on peut se demander aujourd’hui si de nombreux éléments ne sont pas purement autobiographiques. Peu importe finalement, puisque Mon ami le traître a le mérite d’explorer une période rarement abordée sous cet angle. On y retrouve une autre obsession du réalisateur, à savoir un vibrant plaidoyer contre la peine de mort. Lui-même un parfait exemple de la possibilité pour tout être d’évoluer et de s’amender, José Giovanni milite une fois de plus pour une plus grande tolérance envers ceux qui ont commis des actes répréhensibles. Son discours engagé ne fera bien entendu jamais l’unanimité, mais on ne peut nier l’extraordinaire sincérité qui innerve son cinéma.
De l’ambition pour un terrible échec commercial
On peut bien évidemment reprocher au réalisateur une forme assez télévisuelle qui semble effectivement une constante de son cinéma, mais on ne peut nier la belle pertinence de son approche des personnages et de leur psychologie (un apport de Claude Sautet ?). Il propose en tout cas une vision différente, et donc forcément intéressante par-delà les débats qu’elle peut susciter, d’une période historique qui n’a décidément pas livré tous ses secrets.
Encore une fois peu soutenu par la critique – une constante pour un cinéaste systématiquement snobé – Mon ami le traître est sorti en pleine crise du cinéma français au mois d’octobre 1988. Si le distributeur AMLF a sans doute voulu jouer la carte de la contre-programmation, le film très sérieux de José Giovanni a dû affronter des mastodontes comme L’ours et Rambo 3 en deuxième semaine, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? en troisième semaine et un Crocodile Dundee 2 très attendu en première semaine.
Mon ami le traître arrive donc en sixième position à Paris lors de sa première semaine avec seulement 23 586 fans d’Histoire. Au total, le film de Giovanni ne va attirer que 39 472 spectateurs à Paris et 140 226 dans toute la France. Il s’agit d’un véritable accident industriel qui a d’ailleurs condamné José Giovanni à la télévision durant les années 90. Il ne reviendra au cinéma qu’en 2001 pour un dernier film biographique (Mon père) qui sera encore un énorme flop.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 26 octobre 1988
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